L’Occident, écrivez-vous, a versé dans l’idolâtrie. Qu’entendez-vous par là, et qu’est-ce qui explique cette évolution ?
Jean-Philippe Trottier : L’idolâtrie est inscrite au cœur de l’homme depuis Mammon et l’adoration du Veau d’or. Elle a pris des formes différentes selon les époques, mais tout s’est accéléré sous l’effet de la modernité. La rationalité, la liberté, l’autonomie de l’individu… Tout cela est bel et bon, mais nous nous en sommes enivrés : notre appétit de conquête est inextinguible. Le progrès technologique n’est plus un instrument, il est devenu une fin en soi. On voue un culte au dieu-progrès, celui de la science et des droits de l’homme. Au Moyen Âge, à l’inverse, l’homme recevait le monde davantage qu’il ne le conquérait. Nous voulons aujourd’hui le contrôler, et même nous en affranchir.
Pourtant, la croyance religieuse perdure, même si la pratique est en baisse chez les catholiques.
Évidemment ! La croyance continue d’exister mais elle se replie dans des sphères plus intimes, plus morales. On a humanisé Jésus-Christ en occultant sa part divine ; l’homme moderne est moins chrétien que “jésusien”. En faisant reculer l’ancienne croyance, celle qui fédère une société, on prétend libérer l’homme mais pour mieux l’enchaîner. On a donc mal compris les Dix Commandements, perçus comme une sorte de Code civil qui intimerait à chacun : « Fais pas ci, fais pas ça. » On a éliminé des textes fondateurs, mais pour se voir imposer une multitude d’injonctions coercitives morales, au nom notamment des minorités qui sont devenues militantes.
La société n’a jamais été aussi attentive aux victimes. N’est-ce pas un bien ?
Même s’il y a eu et s’il y aura toujours de vraies victimes, gare aux faux-semblants ! Nous vivons paradoxalement une époque nietzschéenne : le faible prend sa revanche sur le fort, il tire de sa pureté une force de vengeance. Nous n’aurions jamais imaginé que, par une forme d’inversion des valeurs, celui qui se réclame d’une vulnérabilité, réelle ou imaginaire, puisse déployer une telle force de frappe ! Les ressorts qui président à ce phénomène sont psychiques mais aussi métaphysiques. Ils reprennent, en les dégradant, des images chrétiennes. Nous sommes encore mus par des automatismes religieux et pouvons de la sorte être désarçonnés par des gens qui se réclament de façon inconsciente du Christ en croix ou de la Vierge immaculée.
Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.
— Les illusions dangereuses. Comment les idéologies nouvelles asservissent l’homme, Jean-Philippe Trottier, éd. Artège, février 2023, 224 pages, 17,90 €.
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