«La grande question de notre pays, affirmait François Sureau dans son récent discours de réception à l’Académie française, est de s’arranger de la coupure révolutionnaire. » Coupure dont la violence politique est le signe, avec une révolution « franche ou larvée » tous les soixante ans en moyenne. Coupure entre, d’un côté, ceux qui considèrent que la liberté commence en 1789, et de l’autre, ceux qui pour qui les racines chrétiennes et le lent travail des siècles constituent un ciment inégalé. Mais aussi coupure entre l’élite et le peuple : Tocqueville avait ainsi prédit que le mythe révolutionnaire de la souveraineté du peuple conduirait à une forme de tyrannie du pouvoir, supprimant les libertés au nom de la protection du citoyen. À l’issue du premier tour de la présidentielle, nous y sommes toujours, avec des Français divisés, dont 45 % se considèrent comme un peuple laissé pour compte par une élite mondialisée.
Trésor de l’école populaire
Mais ce drame français n’est peut-être pas inéluctable, si l’on veut se souvenir qu’il existe un lien qui, historiquement, a uni les différentes catégories sociales. Ce trésor, c’est l’enseignement populaire, inventé par saint Jean-Baptiste de La Salle au XVIIe siècle. Le fondateur des Frères des écoles chrétiennes avait, soulignons-le, accepté de sacrifier sa vie, confortable, de chanoine, pour aller évangéliser les enfants pauvres par l’école. Et on pourrait multiplier les exemples… L’État dit « providence » n’a fait que reprendre ces intuitions, en les coupant de leur socle religieux. Aboutissant dès lors à une bureaucratie inefficace et dispendieuse.
Aujourd’hui, il est donc nécessaire de renouer avec ces inspirations, pour voir renaître une civilisation fondée en vérité. À cet égard, la coïncidence de l’élection et de la Semaine sainte invite à porter notre regard plus haut, là où se joue un dialogue saisissant entre le politique et le spirituel. « Qu’est-ce que la vérité ? », interroge Pilate, qui doit son pouvoir à l’empereur, face au Christ, Serviteur souffrant mais vrai roi, dont le règne est d’abord celui de la vérité.
C’est sur ce socle, la vérité, et elle seule, que le renouveau attendu deviendra possible. Vérité anthropologique, sur l’homme et la femme, la dignité de la vie du début à la fin, le souci des plus faibles ; vérité existentielle, pour ne pas en rester au seul horizon du matérialisme, de droite ou de gauche ; vérité religieuse aussi, à l’heure où le relativisme sévit jusqu’à l’intérieur de l’Église, suggérant de transformer la liturgie pour l’adapter aux desiderata de chacun et de chacune…
Ensuite, il faut des maîtres, qui enseignent ces vérités à une jeunesse fervente mais minoritaire, destinée à forger les rangs d’une élite future. Comme l’avait fait le prêtre Alcuin, sorte de conseiller culturel officieux de Charlemagne, et un des principaux architectes de la renaissance culturelle et morale de l’Europe à la fin du VIIIe siècle. Il fonda ce qu’on a appelé plus tard l’Académie palatine : un « think-tank » avant l’heure, une « nouvelle Athènes, disait Alcuin, ennoblie par le magistère du Seigneur Christ ». Son but était d’influer auprès du pouvoir afin de planifier une stratégie de diffusion de la culture et de la connaissance, du haut en bas de la société, et de former des chefs solides et résistants dans un climat hostile.
Tout en gardant la nécessaire humilité de celui qui sait que le vrai pouvoir, comme l’affirme Jésus devant Pilate, ne s’obtient pas par la force ou les élections : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais pas reçu d’en haut. »