La récente publication d’une lettre du jésuite allemand Lohtar König à Pie XII, montrant qu’il fut informé sur les camps de la mort, a fait resurgir la vieille polémique contre ce pape. Pourquoi intenter ce procès au seul homme qui n’avait pas de pouvoir politique ? Ni Staline, ni Roosevelt ni Churchill n’ont publiquement dénoncé la Shoah. Qu’en aurait-il coûté s’il avait été plus explicite ?
Avant la pièce Le vicaire de Rolf Hochhuth de 1963, dont on sait qu’elle fut commanditée par l’espionnage soviétique à son metteur en scène communiste Erwin Piscator, l’image de Pie XII était universellement associée à un adversaire acharné d’Hitler. Le dossier à charge autour du livre Le pape d’Hitler de John Cornwell (1999) ou le film Amen (2002) de Costa-Gavras ne rendent pas justice au grand pape que fut Pie XII. Il est facile de donner des leçons a posteriori, comme si tout le monde avait résisté partout. Il fit ce qu’il put. Il parla mais surtout agit. Il chercha à ne pas nuire car il devait protéger son troupeau catholique dans les pays occupés. Il avait en tête l’exemple néerlandais.
Le martyre des Hollandais
Le 26 juillet 1942, un texte de protestation contre les déportations de juifs fut publiquement lu en chaire dans les églises des Pays-Bas. Geste courageux auquel les nazis répondirent en déportant immédiatement tous les catholiques d’origine juive, parmi lesquels figuraient sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix – ou plutôt « bénie par la croix » en latin –, Edith Stein et sa sœur, qui avaient fui Cologne et s’étaient réfugiées au carmel d’Echt. Elles furent gazées dès leur arrivée à Auschwitz, le 9 août 1942. Nombreux furent les martyrs ecclésiastiques. Rien qu’à Dachau, dans La baraque des prêtres (Guillaume Zeller, Tallandier, 2017), sur 2 720 prêtres et séminaristes déportés, 1 034 y laissèrent la vie. Certains avaient été déportés pour avoir regretté qu’Hitler ne fût pas tué dans un attentat, comme le bienheureux Karl Leisner qui y fut ordonné prêtre clandestinement le 17 décembre 1944.
Eugenio Pacelli connaissait très bien l’Allemagne où il avait été nonce d’abord à Munich puis à Berlin, de 1917 à 1929. Il vécut tant la république soviétique de Bavière (avril 1919) que le putsch manqué d’Hitler (8 novembre 1923). Dès 1929, il savait à quoi s’en tenir : « C’est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin […]. Qui, parmi tous ces gens, a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu’est Mein Kampf ? » (cité par Andrea Tornielli, Pie XII, éd. Artège, 2009).