Habitués sous Jean-Paul II à voir le Saint-Père parcourir leur continent (14 voyages dans 43 pays sur quinze ans), les Africains n’avaient plus reçu une aussi forte attention depuis que la maladie l’avait empêché de soutenir ce rythme et que son successeur avait réduit l’ensemble de ses déplacements à l’étranger. Quinze ans se sont écoulés depuis le dernier synode pour l’Afrique réuni en avril 1994. Le prochain est convoqué à Rome du 4 au 25 Octobre prochain.
Le Pape a remis à Yaoundé aux présidents des conférences épiscopales des pays d’Afrique l’instrument de travail qui doit servir de base à leurs travaux. Le thème retenu, « l’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix », est éminemment politique. Il situe bien l’originalité catholique en Afrique par rapport notamment à l’Islam ou aux nouvelles religions évangéliques ou syncrétiques. L’Église se veut porteuse d’un message temporel fort dans une relation institutionnelle aux gouvernants. La hiérarchie, mais aussi les communautés de base, se voient rappeler leur dimension prophétique. L’Église se veut instrument du développement, ainsi que du respect des droits de l’Homme et des peuples. Universelle, ou dans sa dimension européenne originelle, elle est aussi comptable des relations nord-sud, sans aucune commune mesure avec les autres religions.
Les deux pays choisis, Cameroun et Angola, sont particulièrement représentatifs. Non seulement parce qu’ils permettent de parler dans les trois langues européennes de l’Afrique : le Cameroun à la fois francophone et anglophone, l’Angola lusophone. Mais encore ils rassemblent l’ensemble des problématiques de gouvernement et de développement_: l’Angola, meurtri par des décennies de guerre civile mais qui, aujourd’hui, ne sait plus que faire de sa manne pétrolière, le Cameroun connu pour la corruption et le népotisme, qui s’interroge sur la succession de son président à vie. Les présidents angolais Eduardo Dos Santos et camerounais Paul Biya sont au pouvoir respectivement depuis trente et vingt-sept ans. À soixante-sept ans pour le premier, soixante-quinze ans pour le second, ils comptent bien briguer un nouveau mandat.
Le Cameroun est, comme le Nigeria voisin, sur la ligne de partage entre chrétienté au sud et islam au nord. Les Catholiques y sont moins de cinq millions sur plus de vingt millions d’habitants. En Angola, en revanche, ils sont près de la moitié (8, 5 sur près de dix-huit millions). L’Angola fête le cinquième centenaire de son évangélisation, un peu à l’égal de l’Amérique latine. C’était à l’époque le royaume Kongo (qui s’étendait sur le nord de l’Angola et les deux Congos contemporains). Le colonisateur était portugais comme au Brésil. Jean-Paul II avait déjà dit en 1992 (cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique) ce qu’il fallait en dire, ainsi que de la traite qui a commencé en même temps et a longtemps dépeuplé l’intérieur de l’Angola.
Mais l’Afrique d’aujourd’hui, sans gommer son Histoire, a explosé démographiquement. Les Catholiques suivent cette progression_: ils sont 160 millions, soit presque le double d’il y a vingt ans, dans un continent qui est passé de 600 à 900 millions d’habitants. L’exode rural et une urbanisation accélérée font craquer toutes les structures sociales, familiales, communautaires. Les crises identitaires ne sont qu’un symptôme. L’ethnie, et plus encore la nation, ne sont que des formes artificielles de regroupement quand on a perdu toutes les autres solidarités. Elles sont également des phénomènes transitoires. Les sectes, l’islamisme sont autant de nouveaux refuges qui recueillent les individus dès lors qu’ils sont sortis de leurs villages, de leurs familles élargies ou de leurs clans. Les guerres civiles, le SIDA, ont accéléré ici et là la décomposition du corps social. Les gangs urbains, les milices armées, les enfants-soldats sont d’autres exutoires pour la jeunesse.
L’Église, dans le document final du synode de 1994, avait mis l’accent sur le concept d’Église-famille. En octobre, il faudra tirer le bilan après quinze ans, période pendant laquelle sont nés la moitié des Africains vivant aujourd’hui. Quel défi immense à relever pour les prochaines quinze années, et pour l’Église et pour l’Afrique, et pour l’Europe !
Yves LA MARCK