Le vote catholique a historiquement joué un rôle de pivot dans plusieurs élections au niveau national, à celui des Etats ou localement. En 2012, dans un vote qui s’avère devoir être serré, il peut faire la différence et décider de celui qui prêtera serment comme président des Etats-Unis le 20 janvier 2013.
Au long du dix-neuvième siècle et du début du vingtième, le Parti Démocrate a défendu des principes clé de la doctrine sociale catholique, et recrutait tant parmi les immigrants catholiques des villes du Nord que parmi les nativistes protestant des agriculteurs du Sud. En 1928, le premier candidat catholique à la présidence, le démocrate Alfred E. Smith recueillit massivement les voix des immigrants catholiques. Smith l’emporta dans les plus grandes villes du pays avec 38 000 voix d’avance là où en 1920 et 1924 ses prédécesseurs avaient perdu par une marge respectivement de 1,6 et 1,2 million de voix. Ces catholiques urbains allaient provoquer une nouvelle évolution dans l’équilibre des forces politiques aux Etats-Unis.
Franklin Delano Roosevelt l’avait compris et fit de ces catholiques le noyau de sa coalition. FDR fut élu et réélu quatre fois avec le soutien massif des catholiques, qui adhéraient à son programme de « New Deal ». En 1948, son successeur, Harry Truman, candidat sur une plate-forme anticommuniste, recueillit environ 80 % du vote catholique et l’emporta avec 49,5 % des voix face à son adversaire républicain Dewey avec 45,2%. Les catholiques étaient très fiers de leur anticommunisme ; en participant à ce combat, ils se sentaient plus intégrés dans la société américaine majoritaire.
En 1960, le second candidat catholique de l’Histoire, le démocrate John F. Kennedy fut sauvé par le vote catholique des riches Etats du Nord-Est et du Centre. Dans ces régions, il recueillit 80% du vote catholique. Selon Michael Barone, Kennedy divisa le pays « selon des lignes de partage religieuses, c’est-à-dire culturelles, et non économiques, de classes sociales ». En d’autres termes, l’élection de Kennedy ne fut pas la victoire de la gauche, mais celle du Catholicisme.
En même temps, le Parti Démocrate commença à devenir un outil de réforme sociale. Son élitisme culturel et son mépris pour la base ouvrière catholique et ses valeurs engendrèrent une génération nouvelle qui toisa de haut cet électorat, « noblesse oblige », avec son sens de rectitude morale sinon de franche arrogance.
Par voie de conséquence, à la fin des années 60, le vote catholique commença à évoluer. Des catholiques rejoignirent le Parti Républicain, conservateur en matière morale, partisan du « New Deal » mais hostile à la « Grande Société » 1. On les appela les catholiques reaganiens. Depuis 1972, le vainqueur, quel qu’il soit, l’emporta avec une fraction du vote catholique.
Bill Clinton en 1992 cibla tout particulièrement le vote catholique, notamment les latinos et les catholiques vivant dans des zones en dépression. Cette stratégie sélective fonctionna et Clinton l’emporta avec seulement 43% des voix en gagnant les Etats les plus catholiques du Nord-Est et du Centre. Bush (père) perdit près de trois millions de voix catholiques — pour la majorité non-pratiquants (« cafeteria Catholics »).
Clinton en 1996 et Al Gore en 2000 l’emportèrent largement parmi ces catholiques. Les pratiquants votèrent en majorité pour les Républicains.
En 2004, le camp du président George W. Bush avait fait une croix sur les non-pratiquants, mais cibla les pratiquants et les latinos. A cette fin, Bush fit machine arrière sur des décrets pro-avortement, proposa des projets à caractère religieux (« faith-based initiatives ») et limita la recherche sur les cellules-souche. Il ratifia la loi contre « l’avortement par naissance partielle ». 2.
Il gagna ainsi les voix d’une majorité de catholiques contre son adversaire, John Kerry, catholique baptisé. Les catholiques pratiquants furent déterminants dans quelques Etats-clé : par exemple en Ohio ils se prononcèrent à 65% pour Bush et en Floride à 66%. Les catholiques issus de familles ouvrières, souvent originaires d’Europe orientale, étaient plus en accord avec les options culturelles et morales du président, ces sujets leur paraissant plus importants que leurs problèmes économiques. L’évolution du vote catholique concernait même l’Etat dont le sénateur Kerry était originaire, le Massachusetts : les catholiques y étaient 32 % à voter Bush en 2000 et 49 % en 2004. Soit en termes absolus un gain de 166.000 voix pour Bush dans cet Etat. Ces catholiques faisaient partie d’un groupe d’électeurs de plus en plus nombreux qui donnaient la priorité aux questions morales et culturelles : 22% du total de l’électorat en 2004…
En 2008, la stratégie d’Hillary Clinton (lors des primaires démocrates) consista à peindre son rival Obama comme un candidat élitiste, ne sachant pas communiquer avec les « cols bleus ». Cela lui servit dans les Etats en dépression (« Rust Belt » la ceinture de la rouille) comme en Pennsylvanie. Lors des élections de 2008 néanmoins, Barack Obama, en dépit de ses positions pro-avortement, recueillit 55% du vote catholique, contre 45 % à son adversaire républicain pro-vie, le sénateur McCain. Ce dernier remporta toutefois 52% des voix des pratiquants mais seulement 32% des voix des latinos. Dans les Etats de Pennsylvanie, Ohio et Indiana, de nombreux catholiques pratiquants se réfugièrent dans l’abstention. Ils ne soutenaient pas Obama mais ne furent pas convaincus par la campagne de McCain. Celle-ci échoua à proposer une vision économique et sociale pour l’Amérique qui soit vivante et attractive.
Deux ans plus tard, en 2010, lors des élections à mi-parcours, la majorité catholique changea de bord. Ils furent 53% à voter Républicain. Ils permirent de faire échec à un candidat démocrate sortant en Indiana et à quatre chacun en Ohio et en Pennsylvanie, clé pour la reconquête de la majorité à la Chambre des représentants par le Parti Républicain. Au total, vingt députés catholiques en faveur de l’avortement perdirent leur siège. ..
Un sondage (Pew research center) publié le 23 Août dernier confirme l’évolution vers le Parti Républicain d’électeurs blancs appartenant à la classe moyenne et à la classe ouvrière : entre 2008 et 2012, la proportion des catholiques penchant pour les Républicains passerait ainsi de 37 à 44% et pour les Démocrates de 53 à 47% ; parmi les catholiques blancs, ces proportions passent respectivement de 41 à 50% et de 49 à 41% ; parmi les Latinos, de 25 à 28% et de 66 à 63%.
Tous les analystes politiques sont d’accord pour estimer que la course à la présidence sera déterminée principalement par les Etats en dépression de la ceinture de rouille : Pennsylvanie, Ohio, Michigan, Indiana et Wisconsin, où le vote catholique, notamment parmi les personnes âgées, est disproportionnellement élevé. La raison étant que leurs enfants et petits-enfants — en majorité non-pratiquants — ont émigré vers d’autres régions plus prospères. La plupart de ces catholiques, originaires de milieux ouvriers, sont attachés aux principes judéo-chrétiens traditionnels, qu’ils mettent en pratique dans leur vie quotidienne et veulent voir les élus en faire autant. Leurs convictions comptent plus pour eux que le profit matériel et transcendent les questions économiques. Dans une élection serrée, ces électeurs catholiques feront la décision.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-catholic-voter-an-overview.html
- ndt : slogan du président Lyndon Johnson, successeur de Kennedy
- NDT : L’avortement par naissance partielle est une technique d’avortement particulièrement abominable pratiquée jusqu’au terme de la grossesse