Parfois vous commencez à réfléchir (ou même à écrire) sur un sujet et cela devient soudain plus compliqué que vous ne l’aviez imaginé à l’origine. Les idées surgissent, pas de façon incontrôlable espérez-vous.
Le voile de Véronique est un tel cas en ce qui me concerne.
Comme converti au catholicisme – un converti dont la croissance dans la foi a débuté il y a plus de 43 ans – j’ai été à la fois attiré et repoussé par les reliques. J’ai, je le suppose, quelque chose de l’attitude de l’humaniste catholique Erasme de Rotterdam (décédé en 1536) qui écrivait à propos de fragments de la Vraie Croix que « si on les rassemblait, on pourrait en remplir tout un navire marchand ». Cela dit, Erasme croyait au Christ et supposait probablement que certains des éclats de bois enchâssés dans des autels ou présentés sous une vitre dans des églises et des cathédrales étaient authentiques ; il doutait simplement que tous le soient.
Mais je ne suis pas un sceptique. Par exemple, je crois vraiment que le Suaire de Turin est exactement ce qu’il prétend être. En ce qui concerne le Voile de Véronique, je ne suis pas si sûr.
Qui était cette Véronique ? Eh, bien, elle est présumée avoir été une des première chrétiennes, l’une de celles qui étaient le long de la Via Dolorosa le Vendredi Saint. Elle se serait agenouillée pour presser une serviette ou un linge (velum en latin d’où notre mot français voile) sur le visage de notre Sauveur souffrant quand Il est tombé sous le poids de la Croix.
Par contre, il est peu probable que son prénom ait été Véronique, parce que ce nom est un mot valise formé du latin vera, qui signifie vrai, et du grec eikon, qui veut dire image. Ce qui signifie que cette femme était porteuse de la Véritable Image, de la Vraie Icône, de la Veronica. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y ait pas eu de femmes nommées Véronique avant elle, bien qu’il soit un peu aventuré de supposer qu’une femme juive du premier siècle à Jérusalem ait porté ce nom. Si c’était vraiment son nom de naissance, ce serait un cas éclatant de la nature au service d’un dessein divin.
De toute façon, elle était suffisamment réelle pour l’Église pour que cette dernière l’ait canonisée en 1885.
Dans toutes les versions de son histoire, Véronique apporte son voile à Rome et c’est là que l’histoire se complique. Un fragment de bois de la Croix – il y en a un à l’église que je fréquente – c’est crédible parce qu’il est un parmi tant d’autres. Le bois peut aisément être brisé et distribué.
Mais il n’y a qu’un Saint Suaire. Pourquoi alors y aurait-il plus d’un Voile de Véronique ? Eh bien, parce qu’on suppose que le second (et le troisième etc) est une copie. Lesquelles sont diversement nommées le Mandylion ou le Mandelion (le Saint Tissu), surtout dans l’orthodoxie comme dans l’icône qui illustre ce texte.
Les actuels prétendants à la possession de la Véritable Image, pâlie par le temps, sont les frères capucins du sanctuaire del Volto Santo (de la Sainte Face) à Manoppello en Italie. Selon eux, le Voile a été volé dans la Basilique Saint Pierre de Rome durant une restauration du début du XVIe siècle et, par des chemins sinueux, a abouti au sanctuaire vers 1660.
Ce qui signifie que la version encore plus pâle toujours à Saint Pierre et exposée – de loin, chaque Dimanche de la Passion – est probablement une copie et non un acheiropoieton. Ce terme sonne comme un nom de dinosaure, mais il signifie « fait sans les mains » – en d’autres mots, un objet créé sans intervention humaine, créé miraculeusement.
Quant à cette image de Manoppello… elle me fait penser à une œuvre d’art du début du Moyen-Age. Ce qui ne signifie pas que son créateur n’était pas un intermédiaire pour le Créateur.
Quoi qu’il en soit, cela me fait penser à une autre sorte de voile. Et même à deux en fait : le voile du Temple d’Hérode, déchiré lors de la mort de Notre-Seigneur sur la croix, et le voile qui subsiste entre la Vérité et nous.
Quand le voile du Temple a été déchiré du haut en bas, le Saint des Saints – le lieu de résidence de Dieu parmi le peuple élu – a été exposé au monde entier.
Dans « Mercredi des Cendres » (de 1930, connu pour être son poème de conversion) T.S. Eliott a écrit du voile entre le ciel et la terre :
Où résonnera-t-elle ?
Pas ici, il n’y a pas assez de silence.
Pas sur la mer ni dans les îles,
Pas sur le continent, ni dans le désert ni dans les contrées fertiles.
Pour ceux qui marchent dans les ténèbres, de nuit comme de jour,
Le moment et le lieu propices ne sont pas arrivés.
Pas de lieu de grâce pour ceux qui fuient le visage,
Pas de moment pour se réjouir pour ceux qui marchent au milieu du bruit
Et rejettent la voix…
La foi et la pratique de la foi nous permettent d’entrevoir la gloire de Dieu, souvent avec crainte et tremblement. Mais, ainsi que Rudolf Otto l’a écrit dans « L’idée du sacré » (1917), de façon estompée, comme l’image d’un acheiropoieton :
Le sentiment qu’il dégage peut par moment nous balayer comme une douce marée imprégnant l’âme avec une humeur tranquille d’adoration plus soutenue. Il peut déboucher sur un état d’esprit plus ancré et durable de l’âme, perdurant, pour ainsi dire, profondément vif et évocateur, jusqu’à ce que finalement il s’affaiblisse, l’âme reprenant son humeur non-religieuse accoutumée.
Otto appelait cela le mysterium tremendum et fascinans – et la fascination peut survenir plus tard, après que votre cœur se soit calmé lorsque vous cherchez à vous expliquer ce phénomène à vous-même ou, par vantardise, à une autre personne. Et l’explication commence à tourner le numinous, le terme forgé par Otto pour le décrire – le tout autre – en quelque chose. Quand on prend de l’eau dans les mains en coupe, elle file entre les doigts. Disparaît. Les gouttes tombées à terre rebondissent, se mêlent à la poussière, tournent en boue.
Cependant, un jour, nous verrons tous la Sainte Face, et pas une version délavée sur un linge mais le vivant et éternel Seigneur de la vie.