« Le Vœu national du Sacré-Cœur est un acte prophétique » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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« Le Vœu national du Sacré-Cœur
est un acte prophétique »

Alors que le Conseil de Paris s'apprête à classer le Sacré-Cœur de Montmartre aux Monuments historiques, on entend à nouveau les critiques des défenseurs de la Commune. Mise au point avec le Père Jacques Benoist, historien et ancien chapelain de la basilique.
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© edmondlafoto / Pixabay

À l’origine du Sacré-Cœur, au XIXe siècle, il y a des catholiques sociaux…

Père Jacques Benoist : Il faut braquer le projecteur sur deux personnes : Alexandre Félix Legentil et sa femme, Marie. Ils font partie de ces grands bourgeois qui, durant le Second Empire (1852-1871), découvrent la question sociale et entrent dans les Conférences Saint-Vincent-de-Paul. Pour eux, la question sociale est très importante et ils estiment que Napoléon III ne la traite pas correctement. Les catholiques sociaux des Conférences Saint-Vincent-de-Paul sont d’ailleurs considérés par le pouvoir comme une force d’opposition. Ce sont eux qui porteront le Vœu national à l’origine de la construction de la basilique.

Comment en viennent-ils à le formuler ?

En 1870, tout se succède : la défaite de Napoléon III à Sedan, l’effondrement de la France sur la scène européenne, la « confiscation » de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, les milliards à donner aux Prussiens, la proclamation de la République le 4 septembre, le siège de Paris par les Prussiens… En tant que Français, ils sont abattus par la situation. Sans compter le fait qu’ils ont été très perturbés par le refus de Napoléon III de soutenir Pie IX contre Garibaldi et Victor-Emmanuel en Italie, ce qui conduira à la confiscation des États pontificaux, toujours en 1870. Ainsi, catastrophé par la déchéance de la France, de l’Église dans les États pontificaux et, bien que se rendant compte de la nécessité d’agir par des réformes et la guerre, Legentil dit : « Il faut s’en remettre à la Providence pour le salut de la France et la délivrance du Souverain pontife. » Il fait donc un Vœu privatif le 2 décembre 1870, qui sera rédigé en janvier 1871 et qui se répandra parmi les catholiques. En 1873, l’Assemblée nationale vote l’utilité publique de la future basilique et la première pierre est posée en 1875.

Le Vœu qu’ils formulent parle des « malheurs » que vous venez d’évoquer, mais aussi des malheurs « à venir »…

Legentil et ceux qui, avec lui, portent le Vœu national, flairent l’affrontement entre les républicains « bleus » et « rouges » que sera la Commune de Paris, de mars à mai 1871. Car la question sociale couve, maltraitée par Louis-Philippe puis par Napoléon III. Nous sommes quelques années après la fondation de la Première Internationale et les blanquistes [partisans d’Auguste Blanqui, théoricien d’extrême gauche, NDLR] et autres socialistes athées sont très actifs.

Justement : aujourd’hui, on entend que la basilique a été érigée « pour expier les crimes de la Commune ». Qu’en est-il ?

La raison d’être de la basilique est ce Vœu de janvier 1871, antérieur à la Commune et qui peut être résumé par cette inscription, postérieure, sur la mosaïque du chœur : « Sacratissimo Cordi Jesu Gallia pœnitens et devota et grata » : « Au Sacré-Cœur de Jésus, la France pénitente, fervente et reconnaissante ». Dans cette pénitence, il y a les péchés de la Commune, évidemment ! Il faut rappeler que les communards ont exécuté des dizaines d’otages, dont l’archevêque de Paris, Mgr Georges Darboy, et des religieux ! Mais le Sacré-Cœur est aussi érigé pour expier les péchés du Second Empire, de la Révolution… Car les États politiques ne sont pas « impeccables », au sens théologique du terme, c’est-à-dire exempts de tous péchés.

La pénitence est donc au cœur de Montmartre ?

Ce mot est capital. Dans la formule du Vœu, les Français font amende honorable. C’est le même concept : il va falloir que nous acceptions les conséquences de nos péchés et que nous ne blasphémions pas en disant à Dieu : « C’est de ta faute », comme firent les amis de Job. Nous sommes punis car il y a une solidarité entre les pécheurs, qui fait qu’il y a pu avoir des justes souffrants. L’essentiel n’est pas notre souffrance, mais notre libre consentement à nous dérober ou non à la volonté divine. Les catholiques contemporains du Vœu national savaient jeûner, expérimenter la souffrance. À l’image de certains mystiques comme sainte Marguerite-Marie, la pénitence permet de chercher le contact avec le Seigneur en communiant avec Jésus, ce Messie souffrant qui nous a aimés même dans les conditions de trahison et d’abandon.

N’est-il pas contradictoire de voir associées la pénitence et l’action de grâces ?

Le Vœu dit bien : « Nous nous humilions. » C’est là tout le thème : il faut nous convertir. Quand les choses vont bien, il faut rendre grâce à Dieu et nous sommes récompensés, car nous faisons de bonnes actions. Et quand les choses vont mal, cela est dû à nos péchés dont nous portons les conséquences et nous en sommes punis. C’est là qu’intervient la pénitence. C’est une logique imperturbable qu’on trouve dans toute la tradition biblique et chrétienne depuis qu’il y a des chrétiens au pouvoir, au point de vue politique comme au point de vue individuel : les bonnes actions seront récompensées au Ciel et un peu sur cette terre ; et les péchés seront punis en Enfer mais ont aussi des conséquences néfastes ici-bas.

Le Vœu est-il toujours valable aujourd’hui ?

Il faut bien comprendre que quelque chose de vrai à un moment donné est vrai pour toujours. Si c’est le Seigneur qui a parlé à travers Pie IX et les prélats qui ont soutenu ce projet de basilique au Sacré-Cœur de Jésus, alors cela veut dire que depuis 1870, l’Église enseigne aux Français qu’il leur faut faire pénitence, se confier à Dieu et rendre grâce. Ce Vœu est donc un acte prophétique, toujours devant nous.