On était le 24 décembre un peu avant minuit. “On était”… parce que c’est maintenant du passé bien que ça ne remonte pas à plus qu’hier. Mais bon, comme tout est fini maintenant, on “était” convient.
On était donc le 25 décembre. C’était sur un trottoir. Sur une grille de métro, même. Un endroit chaud quand le métro circule, mais vite froid quand le métro s’arrête. En gros, après deux heures du matin. Et vus les bas atteints par nos thermomètres ces derniers jours… ça vous donne une idée de la température qu’il faisait dans le pantalon du vieux.
Oui, c’était un vieux, un vieux bonhomme, un soûlot, un soûlard, un ivrogne, un clodo, et même un SDF ex RMiste, qui était là, sur sa grille, sur le trottoir. Assis sur des cartons. Deux bouteilles à ses pieds. L’une vide, l’autre à moitié, encore, pleine.
Sur des cartons, bien isolées qu’elles étaient, les fesses du vieux, parce que les grilles, quand elles sont chaudes, elles brûlent, elles brûlent terriblement la peau de celui qui s’endort dessus. Paraîtrait, d’après les toubibs du SAMU, que c’est parce que la peau est mal irriguée quand elle est froide, à cause du froid, et, ou, au choix les deux en même temps le plus souvent, grâce à l’alcool. Alors les grilles entament la chair, atroce. Mais le vieux en question, il connaissait ses grilles. Il en avait trop vu, des dos et des fesses rayées, rayées de traits noirs, bien profonds. Sans parler de l’odeur… presque appétissante quand on a faim. Une odeur de viande grillée !
Des cartons, il en avait aussi installés pour son chien. Un berger mâtiné carlin, son seul ami depuis que le vieux avait renoncé à fréquenter les foyers de nuit, on y fait des relations, puisque les foyers de nuit n’acceptaient ni les bêtes ni les femmes. Les femmes, ça ne le dérangeait pas trop, plus, au clodo, mais les bêtes si. Comment aller dormir tranquille en laissant Hubert dehors ? Hubert, c’était le prénom du chien allongé à côté de son maître le SDF.
Donc le vieux était sur ses cartons. Et il buvait son litron. Et le chien le regardait.
Soudain, il venait d’avaler une rasade qu’était décidée être la dernière avant un petit somme, il fallait en laisser pour le petit matin, il eut un hoquet, ouvrit la bouche, lâcha sa bouteille, et s’étala de tout son long, sur ses cartons. En plus de la bouche, il avait aussi les yeux grands ouverts.
Hubert sursauta, et resta, la langue pendante à regarder son vieux. Si un passant était passé par là, mais avec ces froids ils étaient plutôt rares, il n’aurait vu qu’un chien regardant un vieil ivrogne de clodo SDF en train de cuver son vin à côté de sa bouteille à présent preque déjà à moitié vide.
Mais le vieux ne cuvait rien du tout. La Mort était là. Il la voyait. Elle était sur lui. Elle le voulait. Mais lui, ne voulait rien du tout. En tout cas pas la Mort. Surtout un soir de Noël.
Noël… il en avait connu des mieux que ça sur ces grilles de métro sur ce trottoir. Mais c’était avant. Et il ne se rappelait plus très bien de cet avant. « Pas de regret, se disait-il, en se souvenant qu’il ne se souvenait plus de ce temps-là, si on se rappelle pas les bons moments, on les regrette pas ! »
La Mort s’approchait donc… et à côté d’elle, il y avait deux individus. L’un, barbu. Malingre. Noiraud. Les jambes maigres, aux pieds fourchotés. Des yeux de charbons froids. L’autre, moustachu, maigrichon, roussaud, les jambes malingres aux pieds sabotés. Des yeux de braises chaudes. C’était Belzébuth et Satan, maîtres l’un de l’enfer froid, l’autre du chaud.
Ils s’approchaient tous les trois, tout contents. En effet, le vieux était connu pour son mauvais caractère, son manque de gentillesse, de courtoisie, d’éducation. Ivrogne convaincu, il avait par exemple, encore tout récemment, insulté une généreuse donatrice, 20 euros en billet, qui, en plus, lui donnait des conseils de modération.
Et puis, ce vieux, sur sa grille, n’était pas charitable. Jamais un gorgeon de son litron, à un collègue. « Tout pour ma pomme. Quand je serai plus là, ça sera toujours ça de pris. »
Le vieux était même voleur. Enfin un peu. Il avait vendu, il y a plusieurs années de cela, quinze jours durant pas plus, un journal de rue, et, une fois, n’avait pas rendu la monnaie d’un billet de 5 euros… La vieille dame qui lui avait acheté son exemplaire, avait attendu la main tendue, mais le clochard avait grogné. La vieille était partie. Faut dire que c’était le troisième journal que le vieux vendait en une semaine… Mais quand même. Il avait volé et bien volé.
La Mort et ses deux compagnons souriaient donc, et, s’approchant du vieux la bouche ouverte.
La Mort dit au clodo SDF…« Mon ami, il est temps maintenant pour vous, de venir avec moi. Allons, debout, nous avons du chemin à faire jusqu’aux enfers, chaudes ou froides, à votre choix… Mais je crois que pour vous ce sera les chaudes, non ? Allons, partons ! »
L’ivrogne, referma la bouche, et d’un spasme de la jambe tira d’un coup sec sur la laisse d’Hubert attachée à sa cheville, un accord entre les deux, ça voulait dire “alerte ! un pilleur de sébile !”. Il voulait le lancer sur la Mort et ceux qui la flanquaient.
Mais hélas, Hubert ne voyait rien. Ne sentait rien. Des Fantômes, des Hors-Là, des Lutins, des Hobbits, des Fées, des Entes, et même des Gobelins, d’accord, voire même des Voleurs de pauvres, des Gueux pilleurs de plus gueux encore, il les voyait, les attaquait, et même, parfois, les repoussait, mais la Mort… non… il ne la voyait pas. Son maître était bien agité, c’est sûr… Alors, histoire de faire plaisir au vieux, il se décida à pousser un ou deux aboiements, et même un hurlement, bien sinistre, afin de compléter, mais l’affaire s’arrêta là. « Mon maître reprendrait bientôt sa bouteille, et après avoir un peu dormi, nous repartirons tous les deux faire les poubelles et trouver de délicieuses choses à manger. Wouaaah… ce vieux, quel maître ! si gentil ! si plein d’odeurs ! presque un vrai chien.»… se disait Hubert, en se rendormant.
La Mort, habituée par ces soirs d’hiver à ce que la promesse d’un bon feu, ou d’un Ciel ensoleillé, soit une tentation irrésistible, s’étonna de l’indifférence du vieux. Elle se tourna vers le barbu aux yeux de charbons froids, et lui demanda de remuer le vieux, de lui faire comprendre que les choses étaient sérieuses…
Belzébuth se pencha sur le SDF et lui dit ces mots : « Mon ami, reprenez-vous, il est temps de nous suivre. Votre jugement est prêt, car votre vie… si on peut appeler cela une vie… touche maintenant à sa fin. Soyez raisonnable levez-vous, et venez avec nous. Si comme je le crois votre âme est condamnée, vous aurez le choix entre nos deux enfers, le froid le mien, et le chaud, l’autre. Je crois d’ailleurs que vous choisirez le mien… car vous devez commencer à avoir l’habitude du froid… Allons, levez-vous !»
Mais le vieux ne bougea pas. Pas d’un pouce. Et Hubert hurla de nouveau. Son maître commençait à l’inquiéter sérieusement…
La Mort fit alors signe au barbu aux yeux de braises chaudes…
Satan s’avançant tout en repoussant Belzébuth, et tint au vieux ces propos : « Comme vous le disait mon confrère, il est, Monsieur, temps maintenant de nous suivre. Et, de plus, je vous garantis que si, après votre jugement et condamnation, vous choisissez de me suivre, vous n’aurez plus jamais froid, allons, songez-y, et partons !»
Mais le clodo soûlot SDF mendiant égoïste et même un peu voleur, ne se décidait pas, pas d’un millimètre. Il s’obstinait, se retenait, s’accrochait à la vie, au peu de vie qui lui restait, pour refuser l’offre qu’on lui faisait. Il n’avait, d’ailleurs, aucune envie d’être jugé. Les flics, les juges, et tout leur tremblement, il savait un peu de quoi il s’agissait. Il ne voulait pas en entendre parler.
Satan, vexé, regarda Belzébuth et la Mort, et leur dit qu’avec un mauvais élément de ce calibre… « il ne leur restait plus qu’à le juger sur place…»
Cette idée plut à la Mort, et Belzébuth, heureux d’avoir vu échouer son collègue, l’accepta également.
On fit donc venir les juges.
Ceux de service ce soir-là étaient St Dominique, ex patron des inquisiteurs, St Ignace de Loyola, actuel patron des Jésuites, les soldats du Pape, St Hubert, patron des chasseurs et par hasard patron du chien du vieux. Un chien qui, entre nous soit dit, avait la chasse en horreur. Même ses puces, il refusait de se les gratter de peur d’en écraser une !… Que des accusateurs… En effet, le cas de vieux avait été pratiquement déjà jugé en haut lieu et déclaré indigne d’un débat contradictoire.
Tous ces gens s’assemblèrent donc sur le trottoir.
Hubert grogna, ronfla, hurla même encore un peu à la mort, mais se calma, parce qu’après tout, ces gens qu’il ne voyait ni ne sentait, mais qu’il entendait maintenant, avaient l’air plutôt pacifiques. Ce n’était pas des policiers, ni les Sécurité-men du Métro, ni même des employés du SAMU Social, ni surtout l’Armée du Salut… Hubert se rendormit donc, tout en s’allongeant contre son maître, pour le réchauffer, il lui semblait en effet que le vieux se refroidissait un peu plus vite qu’à l’ordinaire lorsque le métro arrêtait de circuler en dessous des grilles, dix mètres plus bas.
Dans l’assemblée de ce tribunal de trottoir, il y avait aussi un vieil homme en loques. Souffreteux, sale, si dépenaillé qu’on lui aurait donné un euro pas plus et encore s’il avait tendu la main. A moitié aveugle, un rat sur la sandale, une moinelle transie sur l’épaule, pauvrement vêtu d’un froc marronnasse qui n’aurait pas convenu à la plus humble des cloches… Mais comme personne ne semblait y prêter attention, nous n’y prêterons pas attention non plus. Le procès commença donc.
Le vieux était bien éveillé à présent. Se tournant vers St Dominique, il se mit à écouter le réquisitoire de ce saint qui faisait office de procureur… « Alcoolique au dernier degré, six litres par jour en hiver, fainéant au plus haut point cet ex RMIste ne s’est plus jamais présenté aux entretiens de sa dévouée assistante sociale afin de remplir les conditions du “I” d’Insertion de RMI, égoïste au maximum, n’a partagé son litron qu’une ou deux fois depuis qu’il est devenu SDF, et encore c’était sous la menace, luxurieux, à osé porter plusieurs fois, au cours des dix dernières années, un regard lubrique sur les affiches de film du métro, un peu voleur, et maladroit encore, n’a pas rendu la monnaie sur un billet de 20 euros mais s’est souvent trompé involontairement, et à son désavantage, en rendant la monnaie sur un billet de cinquante…»
Le vieux, toujours assis au milieu de la docte assemblée, la considérait de ses yeux ronds, se demandant si c’était du lard ou du cochon… des étudiants, peut-être… déguisés… qui me joueraient une farce… ne pas avoir l’air d’avoir l’air… ne pas me laisser avoir… Le triste St Dominique, patron des inquisiteurs de Languedoc et d’Espagne, des deux Amériques, des Indes de l’Est et de l’Ouest, lança ces derniers mots…
« Ô Pécheur grave, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »
Le vieux n’avait rien à dire pour sa défense. S’il avait osé, il aurait bien repris un petit coup de sa bouteille, même au risque de ne plus en avoir pour le petit matin… mais ces gens commençaient à lui donner froid dans le dos… Après une très brève inspiration, il leur lança la première phrase qui lui vint à l’esprit…
« Ayez pitié d’un pauvre SDF, dix centimes, dix centimes seulement, pour manger pas pour boire, mes bons messieurs ! »
St Dominique, La Mort, Belzébuth, Satan, St Ignace et St Hubert se regardèrent…
« Rien à faire avec ce quidam, condamnons-le une bonne fois pour toutes et qu’on l’emmène ! »… dit le patron des Jésuites.
« Affirmativus », affirma son collègue des inquisiteurs.
« Culpabilus est », décida fermement le patron des chasseurs et des chiens orthodoxes.
Belzébuth et Satan s’avançaient déjà pour se disputer l’âme vacillante de l’ivrogne, lorsqu’« un instant mes Pères ! » retentit derrière eux.
C’était leur collègue, le loqueteux, le souffreteux, le sale, le dépenaillé, à qui personne, comme on vous l’a déjà souligné, n’avait prêté attention, qui vint se mettre au premier rang du tribunal.
« Je crois mes Révérends Pères, et vous Frère Satan, et vous Frère Belzébuth, que vous allez un peu vite en besogne. Toute âme à droit à un procès digne de ce nom, et que serait un procès, un jugement, s’il n’y avait une défense ? J’ai l’honneur d’être l’avocat de mon frère SDF ici présent. » Les autres firent grise-mine…
« Tiens, on l’avait oublié celui-là ! », dit l’un.
« Le Fratello en campagne ! » , dit l’autre.
« Toujours à défendre l’indéfendable, rien que pour nous retarder, hein, St François ! », affirma St Hubert.
Il n’est pas nécessaire d’expliquer qu’il régnait une certaine antipathie entre St François et St Hubert. L’amour qu’ils portaient l’un et l’autre à la nature étant en effet de nature différente !…
St François ne s’attarda pas sur l’agressivité qu’il sentait à son égard chez ses collègues, mais, s’adressant au vieil homme…
« Voyons donc Frère SDF ce qui dans votre pauvre vie, votre chienne de vie, pourrait nous valoir l’indulgence du Père des Cieux… »
Mais le SDF resta aussi muet devant son avocat que devant ses accusateurs.
« Allons, petit frère, n’ayez pas peur de moi, je suis votre ami. N’auriez-vous pas fait, ou pas fait, quelque chose qui puisse servir à votre défense ? Une bonne action, une petite bonne action, une minuscule bonne action ? »
Le vieux regarda St François… mais ne dit rien. Il reprit de sa bouteille, s’en avala une bonne rasade, pour réfléchir à ce qui lui arrivait, rota, s’essuya les lèvres d’un revers de manche, et… après avoir un peu hésité, en offrit le goulot à son avocat… « Eh ben voilà ! En voilà une, de bonne action ! Une minuscule, il est vrai, mais partager Frère Vin, avec un inconnu, c’est déjà, vous le voyez mes Pères, un acte agréable à Dieu. »
Le soûlot, ayant vu qu’apparemment le loqueteux lui voulait du bien, réfléchit, et se mit à farfouiller sous ses cartons à la recherche de son bien le plus précieux, un flacon de whisky… Il le déboucha, et après s’en être avalé un gorgeon, le présenta à son nouvel ami. « Mais oui, c’est bien, ça ! Vous êtes généreux, mon frère, et j’accepte de partager avec vous Sœur Alcool !…», lui dit joyeusement St François.
« Frère St François, si vous le voulez absolument, que l’alcool soit un frère, qu’il le soit… mais en aucun cas une sœur… », s’empressa de préciser en ricanant, St Ignace.
St François, un peu pompette, méditait une réponse, mais Hubert entra en scène. Le chien avait entendu le ricanement de St Ignace. Or Hubert ne supportait pas les ricanements. Il se mit à aboyer, à hurler à la mort, à sauter par ci par là. Sans voir encore qui s’occupait ainsi à embêter son maître, il commençait à sentir qu’il y avait beaucoup de monde autour de lui.
St François, s’apercevant soudain de l’amour de la bête pour son maître, eut alors un geste de triomphe.
« Mes Pères, nous avons là un ami de son chien, or un ami des bêtes ne peut être totalement mauvais. Il est charitable, il me l’a prouvé par deux fois avec Frère Vin et Sœur Alcool, et il est aimé de Frère Chien. je propose donc que nous acquittions l’accusé ! »
L’assistance était bouches bées. Sodome et Gomorrhe avaient posé moins de problèmes au pauvre Loth.
Ce vieux était aimé, c’était clair. Or un homme aimé ne peut aller en enfer, ce serait contraire à la justice divine…
Il fut donc décidé, et La Mort en reçut mandat, d’arrêter l’affaire là, et d’envoyer notre SDF au Paradis.
La nouvelle, avec plein de sourires plus ou moins sincères, fut annoncée au vieux.
On s’attendait évidemment à ce que le SDF, enchanté, se lève aussitôt et suive la mort pour s’en aller au Ciel rejoindre un temps plus clément et la plupart de ses anciens collègues de galère qui, ayant vécu l’enfer sur Terre, avaient aussitôt morts, été jugés dignes des délices du Paradis.
Mais pas du tout. Le vieux ne bougea pas, ni d’un millimètre et encore moins d’un pouce. Rien. Pas un geste en direction de l’assemblée qui le considérait, pleine d’espoir d’être enfin débarrassée de ce vieux fastidieux.
Non, rien, le SDF se contenta de se serrer contre son chien qui en grogna de plaisir, et de marmonner quelques mots… « Mais qu’irai-je faire là où ils veulent que j’aille, si c’est sans mon chien !? »
Les juges en restèrent sans voix. Même St François était muet. Ce fut pourtant lui qui sauva l’assemblée de l’impasse.
« Mes Pères, je propose que nous permettions à notre accusé acquitté, de s’en aller au Ciel en compagnie de son ami… Si personne d’aimé ne peut aller en enfer, on ne peut pas non plus condamner à l’enfer sur Terre de la SPA, le frère chien d’un saint du Paradis, non ? »
St Dominique qui commençait à trouver l’affaire plus compliquée qu’un procès de cardinal portugais secrètement dénoncé pour pratiques maraniques, détourna la tête et commença à se diluer dans le paysage.
Hubert le saint très déçu de ne pas avoir trouvé un allié en Hubert le chien de ce pécheur, s’en alla lui aussi.
Satan et Belzébuth, depuis que l’homme ne les concernait plus, avaient depuis longtemps disparu.
St Ignace, tenace, décida de discuter la chose. « Una bestia en el Paradisio, impossibilus ! »
St François qui était tout content de se dire que Frère Chien allait aller au Ciel en compagnie de tous ses frères les amis des hommes, n’était pas du tout contre. Mais il y avait un problème…
Pour aller au Ciel, il faut quitter la Terre. En un mot, mourir. Or si le maître était mûr, le chien, qui avait l’air mieux nourri par son maître que son maître lui-même, était lui, bien vivant.
St Ignace et St François tinrent donc une rapide conférence dont La Mort fut exclue. « Laissons donc le vieux qui n’est pas si vieux que ça, vivre jusqu’à ce que son chien le soit… Nous les aurons alors tous les deux au Paradis sans forcer les règles de la nature, sans être injustes non plus. »
« Ben trovato ! », admit St Ignace qui en avait lui aussi assez.
Il en fut ainsi donc décidé.
On communiqua l’essentiel de la décision au SDF, qui entre temps avait dessaoulé.
« Vous serez, ami, sur Terre, tant que votre ami y demeurera. Vous mourrez quand il mourra, et vous partirez pour le Paradis, ensemble, selon votre désir à tous les deux.. Voilà la décision de l’assemblée. Au revoir, àDieu et à bientôt.» Et les deux saints commencèrent eux aussi à se diluer dans le paysage.
Le Vieux, et son Chien, se regardèrent. Le toutou remua la queue, son maître avait l’air tout content. « T’as un an… ça m’en fera donc encore au moins quinze, peinard… Grâce à toi, je vais devenir le plus vieux SDF de Paris ! »
Mais, après s’être un peu frotté les yeux, avoir regardé autour de lui, le vieux reprit en s’adressant à son ami… « Mais, Hubert, y’a un truc. Faut que tu m’aides à freiner un peu sur le goulot, je vois des choses bizarres ces temps-ci. Maintenant, allons-y ! Les poubelles de la pizzeria doivent être toutes fraîches encore et déjà bien pleines. Allons manger, c’est Noël. »
Rodolphe CLAUTEAUX est le directeur littéraire de l’hebdomadaire L’ITINERANT vendu dans la rue au profit des SDF.