Pour bien comprendre le sens de la rencontre œcuménique et interreligieuse du pape François à Assise de ce mardi qui commémore le trentième anniversaire de la première Rencontre d’Assise pour la paix organisée par Jean-Paul II le 27 octobre 1986, il faut bien la replacer dans son contexte. Ces rencontres suscitent de la confusion dans un monde déjà confus où la plupart des gens ont adopté une vision pluraliste des religions selon laquelle elles se valent toutes, sont toutes des voies de salut, toutes vraies et bonnes, la diversité religieuse étant considérée comme une émanation de la volonté divine.
Mais cette conception du pluralisme religieux ne reflète pas l’enseignement de l’Eglise. C’est ce qui ressort clairement du Catéchisme de l’Eglise catholique et de l’encyclique Redemptoris missio de Jean-Paul II de 1990, ainsi que du document Dominus Jesus publié en l’an 2000 par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cependant, je vais laisser Jean-Paul II s’exprimer lui-même sur le sens des Rencontres d’Assise en reprenant ses « Vœux de Noël à la Curie romaine » de 1986.
Saint Jean-Paul définit trois importantes dimensions de notre monde : les ordres de la création, de la chute et de la rédemption en Jésus-Christ. C’est sur l’ordre de la création divine que se fondent le caractère universel de l’identité même de l’être humain créé à l’image de Dieu, et l’unité de tous les membres de la famille humaine qui se reflète dans l’unité de l’image divine que chacun porte en lui. L’homme est marqué en tant que créature par la dynamique du désir de Dieu parce que nous avons été créés par Lui et pour Lui. L’unité radicale appartient donc à l’identité même de l’être humain parce que nous avons une seule origine et une seule fin.
L’ordre de la rédemption a son centre en Jésus Christ, le Verbe qui s’est fait chair, dit saint Jean-Paul en citant Nostra Aetate (par.2) « dans lequel les hommes trouvent la plénitude de la vie religieuse et en qui Dieu s’est réconcilié toutes choses ». Cet ordre constitue le fondement de la portée universelle de la mission expiatoire du Christ. Dans son amour infini et universel, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés en Jésus-Christ. (I Timothée, 2, 4-6).
Selon le Catéchisme de l’Eglise catholique, « Jésus, le fils de Dieu, a librement souffert la mort pour nous dans une soumission totale et libre à la volonté de Dieu, son père. Par sa mort il a vaincu la mort, ouvrant ainsi à tous les hommes la possibilité du salut ». (par.1019) Mais le Concile de Trente a affirmé que « même si ‘le Christ est mort pour tous’ (II Corinthiens, 5, 15), tous ne profitent pas de sa mort, mais seuls ceux auxquels le mérite de Sa Passion est imputé ». Donc, s’il est absolument vrai que « la grâce de Dieu appelle au salut tous les hommes sans exception » (Lumen Gentium, par.13), il existe une différence fondamentale entre « l’offre » et « l’appel », d’une part, et l’accueil, d’autre part.
Entre les ordres de la création divine et de la rédemption s’insère l’ordre de la chute. Saint Jean-Paul place les « différences religieuses » dans ce contexte parce qu’elles « sont réductrices du dessein de Dieu ». « Si l’ordre de l’unité est celui qui remonte à la création et à la rédemption et s’il est donc, en ce sens, divin, ces différences et ces divergences, même religieuses, remontent plutôt à un « fait humain » et doivent être dépassées dans le progrès vers la réalisation du grandiose dessein d’unité qui préside à la création ».
La diversité religieuse s’inscrit par conséquent dans l’ordre de la faute parce qu’elle traduit la réception par l’homme de cette « offre », de cet « appel » et de cette « grâce ». L’homme est enclin à résister et donc à déformer, mal interpréter et rejeter la révélation de Dieu qui se manifeste dans la création et la rédemption par le Christ. Saint Jean-Paul explique que ces différences révèlent « les limites, les évolutions et les chutes de l’esprit humain tenté par l’esprit du mal dans l’histoire ». (Lumen Gentium, par.16). Il ajoute que ces différences religieuses sont « diverses et mutuellement incompatibles », à tel point « qu’on peut penser que leurs divisions sont insurmontables ».
Et pourtant saint Jean-Paul affirme également que l’Eglise ne considère pas que les religions non-chrétiennes sont complètement fausses dans toutes leurs affirmations, mais seulement dans celles qui sont logiquement incompatibles avec les vérités chrétiennes. Donc, comme le déclare la Constitution de Vatican II, « L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions ». (Nostra aetate, par.2). Par ailleurs, l’Eglise affirme sans équivoque que « la mission de l’Eglise est de proclamer la croix du Christ, signe de l’amour universel de Dieu et fontaine d’où découle toute grâce ». Ce qui signifie, explique Saint Jean-Paul, « que l’Eglise est appelée à travailler de toutes ses forces (l’évangélisation, la prière, le dialogue) pour que disparaissent entre les hommes les fractures et les divisions qui les éloignent de leur principe et fin et qui les rendent hostiles les uns aux autres » conformément au plan salvifique de Dieu en Jésus-Christ. Selon l’Eglise, « le dialogue n’exclue pas nécessairement toutes les autres formes de contact, comme, entre autres, l’apologétique, la confrontation et la discussion ».
Le mystère de « l’unité du genre humain dans sa création et de l’unité de l’œuvre salvifique du Christ », dit Jean-Paul, ainsi que les éléments positifs des religions non-chrétiennes révèlent « que tous ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile sont « ordonnés » [Lumen Gentium, par.16] à l’unité suprême de l’unique Peuple de Dieu ». Grâce à la « valeur réelle et objective de cette « ordinatio », il existe une base non seulement de dialogue, mais aussi d’évangélisation. En effet, parce que ces peuples religieux se rattachent potentiellement au peuple de Dieu, l’évangélisation constitue seulement une possibilité et non une réalité. Cette possibilité s’enracine dans le « pouvoir du Christ qui est suffisant (mais non efficace) pour le salut du genre humain tout entier ».
Finalement, les rencontres d’Assise ont été organisées pour encourager le « maintien de bonnes relations entre les nations » (I Pierre 2, 12) et, s’il est possible, autant que cela dépend de chacun, afin de nous aider à vivre en paix avec tous les hommes ». (Romains, 12, 18).
Les fidèles catholiques devraient garder en mémoire le véritable esprit de ces rencontres quand ils suivront le déroulement de la rencontre d’Assise ce mardi.
Dimanche 18 septembre 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/18/the-full-meaning-of-the-assisi-meeting/
Photographie : Le pape Jean-Paul II et d’autres protagonistes (Assise, 1986)
Eduardo J. Echeverria est professeur de philosophie et de théologie systématique au Sacred Heart Major Seminary de Détroit. Parmi ses publications on peut citer : Pope Francis : The Legacy of Vatican II (2015) et Divine Election : A Catholic Orientation in Dogmatic and Ecumenical Perspective (2016).