La canonisation de deux Palestiniennes, le 17 mai à Rome, et la conclusion quatre jours plus tôt d’un accord entre le Saint-Siège et l’Autorité palestinienne sur le statut des congrégations religieuses dans les Territoires autonomes ont fourni au Saint-Père l’occasion de recentrer l’attention sur la question palestinienne largement occultée par les conflits syrien, irakien, yéménite, et la prééminence de l’État islamique. Aucun acteur régional ou international n’accorde plus aucune priorité à la Palestine. Même l’opération militaire israélienne à Gaza n’a débouché sur aucune initiative significative de part et d’autre. Que le Pape s’empare à nouveau du sujet, un an exactement après son voyage à Jérusalem et la journée de prière dans les jardins du Vatican avec le président israélien Peres et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, se veut un nouveau signe. On avait parlé de coup d’épée dans l’eau, de démarche gratuite, de geste inutile. Les chemins du Pape sont mystérieux mais rigoureux.
La présence de Mahmoud Abbas à Rome le 17 mai, sa rencontre la veille avec François, le projet d’accord, montrent en effet que les choses ne cessent d’avancer. Cette relation est importante pour l’Autorité palestinienne dans sa stratégie diplomatique actuelle visant à se substituer à l’absence de négociation avec Israël en imposant sa légitimité dans les organisations internationales. Si l’Église n’est pas à mettre sur le même plan que la FIFA ou la CPI, aucune magistrature d’influence n’est à négliger pour les dirigeants de Ramallah.
Pour le Saint-Père, la question palestinienne est un tout autre tremplin. Après les déclarations conciliaires de Vatican II, le travail de reconnaissance de l’État d’Israël a été accompli par Jean-Paul II grâce à l’accord du 30 décembre 1993, couronné par sa visite à Jérusalem en mars 2000. La voie était enfin libre pour que l’Église ne soit plus jamais soupçonnée d’antisémitisme si jamais elle soutenait parmi d’autres les justes aspirations palestiniennes pour ne pas dire arabes d’une manière générale. C’est la voie que le pape François entend aujourd’hui défricher.
L’autre originalité de sa démarche est que la question palestinienne, comme dans les années 1990 celle d’Israël, peut désormais être découplée du contentieux multiséculaire sur le statut des Lieux saints. Jusqu’à présent, l’accent était mis sur la nécessité de maintenir des communautés chrétiennes vivantes en Terre sainte faute de quoi celle-ci deviendrait un musée de mémoire gardienné par un clergé étranger.
C’est bien entendu toujours vrai sauf que la légitimité de la présence chrétienne n’est désormais plus seulement présentée comme dépendant d’une histoire ancienne ou subordonnée à l’archéologie. On prend conscience qu’elle revêt une portée beaucoup plus universelle : le fait que les Arabes ont toute leur place dans l’Église et l’Église parmi les Arabes. Ceci n’est pas lié en soi à l’Évangile ni au droit international mais à un projet pour l’Humanité.
Partir de la question palestinienne a sur celle des chrétiens d’Irak ou de Syrie, voire d’Égypte, et bien sûr du Liban, l’avantage de pouvoir parler au nom de tous et de s’adresser à tous. Dans les pays cités, les chrétiens ont vécu ou vivent encore sous des régimes de quotas, héritiers du système de millet de l’Empire ottoman, un droit spécifique, discriminatoire, protégé par des capitulations imposées de l’extérieur.
L’affaire palestinienne a permis aux chrétiens et de plus en plus à l’Église en tant qu’institution d’être acteur d’une revendication nationale valorisée au plan panarabe sans préjugé religieux. Elle possède également la capacité de toucher à la fois l’ensemble du monde arabe et l’opinion mondiale, soit à travers la diaspora palestinienne extrêmement dispersée, soit à travers la dimension du mythe.
Au moment où la plupart des puissances ont déserté la « cause » palestinienne, l’Église peut faire valoir la continuité de sa présence, de son action, et désormais par la prise en compte par le Saint-Père, sa légitimité. On redoutait l’entrée en agonie des chrétiens de Bethléem et de Nazareth : le Pape rebondit et fait de la Palestine une nouvelle base de départ.