Informé par son secrétaire que Titus demandait à être reçu, Ponce Pilate sut qu’il y avait un problème. Le Préfet de Judée avait choisi Titus, son meilleur collaborateur, pour ce qui serait la mission la plus facile pour l’un des meilleurs soldats de Rome. Alors, pourquoi revenait-il si tôt ?
Titus était âgé — selon la norme de la Légion — mais encore un guerrier tel les hommes à moitié moins âgés, et le plus fiable de tous.
Cependant, il a abandonné son poste. Pourquoi ?
Titus entra dans la pièce, se frappa la poitrine et dit : « Préfet ! »
Pilate leva la tête des messages couvrant son bureau. Son regard croisa celui du militaire puis retourna à sa lecture et demanda :
« Pourquoi es-tu ici, sergent ? »
Titus sentit que le Préfet était plus irrité que fâché. Alors, . . .
« Préfet, le tombeau est ouvert, et l’homme, Jésus, a disparu. »
Le secrétaire se tenait à droite de Pilate. Il avait noté les messages dictés par le préfet. À l’entrée du bureau — que Titus venait d’emprunter — se tenaient deux sentinelles au ”Garde à vous”.
Le préfet recula sa chaise, et se leva. Son regard se porta sur son secrétaire.
« Va », dit Pilate, complétant d’un signe de tête le congé aux sentinelles, et le secrétaire quitta le bureau, emmenant les sentinelles, et fermant les portes.
Pilate ressentit soudain une grande lassitude, fit quelques pas autour de son bureau, s’y adossa puis croisa les bras.
« Alors ? »
Titus, le regard droit, et, comme toujours, dit la vérité.
« Préfet, ce fut comme une explosion silencieuse. C’est pour moi l’unique façon d’en parler : une sorte de rafale ouvrant la porte. N’entendant rien, nous avons senti un souffle nous plaquant au sol. Je me suis couvert le visage de mes mains, mais je . . . voyais cette lueur illuminant alentour. Me frottant les yeux, je me forçai à regarder et je vis dans la lueur la silhouette d’un homme. Il en était la source. Il y eut une nouvelle rafale, un souffle, et la lumière disparut. Puis revint la lueur de l’aurore. Et, Préfet, le silence : pas de chant ni de gazouillis d’oiseaux pas un cri-cri d’insecte, alors que j’entendais le son de ma respiration et de celle de mes hommes suffoqués. L’homme avait disparu. Je me relevai et constatai que la pierre ne fermait plus l’entrée du tombeau. J’entrai en trébuchant, et vis cette chose étrange — oui, étrange. »
Pilate faillit rire. Y avait-il plus étrange que ce qu’il venait d’entendre ?
« À l’intérieur, — poursuivit Titus — là où avait reposé le corps, je vis le suaire soigneusement plié et mis de côté. »
Pilate retint que pendant le compte-rendu de Titus sa voix n’était pas aussi posée que lors de ses rapports habituellement nets et tranchés comme à Césarée ou Jérusalem. C’est parce que cet homme âgé — la cinquantaine — était allé partout, avait combattu bien des adversaires, et tout vu que Pilate avait emmené Titus en Judée. Si, selon Piate, quelqu’un pouvait aider à maîtriser les Israëlites, c’était Titus.
« Et qui, à ton avis, était cet homme dans la lumière ? »
« Jésus de Nazareth. »
Pilate savait que le Galiléen l’avait annoncé. C’est pourquoi les prêtres du Temple étaient venus demander qu’un détachement Romain vienne monter la garde devant le tombeau. Pilate, alors trop fatigué, aurait dû répondre que c’était l’affaire du Temple, et non du Gouverneur. Il aurait voulu répondre « J’ai mis à mort pour vous un innocent, à vous maintenant de surveiller son tombeau. » Mais il lui parut plus simple de céder. Et il envoya son meilleur collaborateur organiser et superviser les tours de garde pour trois jours.
Pilate avait imaginé que l’affaire était close, car un crucifié ne se relève pas, ni ne marche.
Et le plus déroutant était d’entendre un témoin parfaitement crédible déclarer que Jésus — un homme comme tout autre, en fait, qui avait saigné, souffert, et était mort comme tout autre — était à nouveau vivant.
« Alors, la crucifixion a raté »
« Non, Préfet. »
« Alors, toi et tes hommes étiez ivres, et vous avez manqué à votre devoir. »
« Non, Préfet. J’étais juste revenu avec le tour de garde du matin. Nous étions tous parfaitement éveillés. »
Si un autre que Titus avait parlé ainsi, Pilate l’aurait immédiatement mis aux arrêts. Les deux hommes se dévisagèrent.
« Tes hommes sont-ils à proximité ? »
« Devant, sur le trottoir. »
Pilate regarda Titus droit dans les yeux. C’est la vérité, pensa-t-il. Qu’allons-nous dire aux Anciens du Temple ?
Le préfet surprit Titus en lui donnant l’ordre d’aller sans délai au Temple informer les prêtres. « Précisément – dit Pilate – tel que tu m’en as informé. Mais ne dis pas que tu m’as tenu au courant. »
Alors Titus alla avec ses hommes. Il fut abasourdi lorsque les chefs des Juifs leur donnèrent de l’argent, les priant de ne pas parler de ce qu’ils avaient vu. Beaucoup d’argent, assez d’argent pour acheter le silence d’une douzaine d’hommes.
« Vous déclarerez – dit le Grand Prêtre – que ses disciples sont venus dans la nuit et l’ont volé pendant votre sommeil. »
Voyant la grimace des soldats Romains (sachant la sanction encourue par un Romain manquant à son devoir) le Grand Prêtre s’empressa d’ajouter : « Si cette information vient aux oreilles du Gouverneur, nous lui donnerons satisfaction pour vous tenir à l’écart de tout ennui. »
Titus eut envie de lui rire au nez, mais il prit l’argent et le partagea équitablement entre ses hommes, trop contents. Il ne garda rien pour lui.
Le Préfet de Judée sourit en apprenant la nouvelle.
« Est-ce qu’ils croient aussi à cette affaire ? »
Titus répondit : « Ils pensent peut-être que nous avons enlevé le corps . . . ou, souhaitent simplement étouffer une rumeur. »
Pilate : « ils n’en ont pas besoin, tout sera oublié bien assez tôt. »
Titus sortit du bureau. Il ignorait ce que le préfet pensait vraiment, mais en son for intérieur, il savait qu’il n’oublierait jamais.