Les attaques que la Chine du Président Xi Jinping lance actuellement contre la religion représentent une tentative, la plus vaste depuis la Révolution culturelle, de manipuler et de contrôler les communautés religieuses. C’est la thèse que j’ai soutenue dans une déposition au Congrès l’automne dernier. Une partie du programme de Xi consiste à introduire de force « des altérations fondamentales dans la doctrine et le témoignage catholiques. »
L’Accord provisoire de 2018 entre la Chine et le Vatican sur la nomination et l’ordination d’évêques doit être évalué à la lumière brutale de la politique de Xi. Les évêques sont essentiels pour le bien-être des catholiques et de l’Église. Ils sont en même temps pasteurs et témoins publics des vérités enseignées par l’Église. S’ils sont défaillants, l’histoire et les événements contemporains montrent clairement et par bien des exemples que chacun en souffre, sauf ceux qui s’opposent à l’Église. S’ils sont des hommes saints et courageux, voulant témoigner de la vérité telle qu’elle est enseignée par l’Église, les catholiques et les non-catholiques en bénéficient. C’est aussi vrai en Chine que dans n’importe quel autre pays.
Les doctrines de la succession apostolique et de la suprématie de Pierre, et le sens commun, donnent mandat au pape de choisir les évêques catholiques. Historiquement certains papes ont négocié des accords garantissant à des gouvernants séculiers un rôle dans la nomination des évêques. Récemment même le pape Jean-Paul II a donné son accord à un processus dans lequel le Vatican présente trois candidats-évêques au gouvernement du Viêt-Nam, qui ensuite choisit l’un des trois. Hanoï peut retarder, mais ne peut pas substituer son propre candidat.
La Chine communiste sous le régime de Xi Jinping lance un défi beaucoup plus important. Les mauvaises intentions de Xi sont incontestables. Il prend pour cibles les catholiques, les protestants, les Ouigours musulmans et les bouddhistes du Tibet qu’il considère comme des cinquièmes colonnes, loyales à quelque chose de plus important que l’Etat chinois.
À la différence de Mao Zedong et de sa Révolution culturelle, Xi comprend qu’il ne peut pas simplement éliminer la religion. Il hérite de la croyance de Mao, rivalisant avec Staline, que la religion en général et certaines religions en particulier, sont des menaces mortelles pour l’autorité communiste, et doivent à tout prix être rattachées à l’Etat. Sa stratégie est de terroriser, intimider, et transformer.
En conséquence, Xi emploie les tests ADN et les technologies de la reconnaissance faciale pour dépister les opposants religieux et politiques. Il a installé des caméras de vidéo-surveillance dans les églises. Il a interné plus d’un million de musulmans Ouigours dans des « camps de rééducation », où on pratique le lavage de cerveau, la terreur et les menaces. Il poursuit l’objectif qui est celui de la Chine, d’émasculer le bouddhisme tibétain en déplaçant et remplaçant les populations et en faisant violence aux moines et aux nonnes bouddhistes. Il continue la politique d’assassinat des pratiquants de Falun Gong, récoltant leurs organes pour les vendre.
Les protestants et les catholiques qui résistent au contrôle dont sont chargées des agences de l’État établies dans ce but (comme le Mouvement protestant patriotique des Trois-Autonomies et l’Association catholique patriotique) sont soumis à l’emprisonnement, à la torture et à la destruction d’églises. Deux temples ont été récemment détruits par les bulldozers. Les évêques catholiques et les prêtres dans l’Église « clandestine » sont de plus en plus visés. Avant l’Accord, ces hommes étaient considérés au Vatican, au moins par quelques-uns, comme la brigade du pape, l’avant-garde loyale, courageuse, du témoignage de l’Église en Chine, méritant prière et soutien. Une telle considération semble avoir disparu de Rome.
À l’intérieur du régime chinois, cependant, existe une nouvelle évaluation des dangers que présentent les évêques non reconnus, fidèles aux enseignements de l’Église sur les droits de l’homme et la liberté religieuse. L’Association catholique patriotique a récemment publié une liste détaillée d’instructions aux évêques de Chine, aux prêtres et aux laïques catholiques, qui doit faire de l’Église un meilleur soutien du Parti communiste. Voici un passage clé :
« L’Église [catholique] considèrera la promotion et l’éducation aux valeurs essentielles du socialisme comme une exigence de base pour adhérer à la sinisation du catholicisme. Elle guidera clergé et catholiques pour entretenir et à maintenir des vues correctes sur l’histoire et la nation et pour resserrer la conscience de la communauté. »
La politique de « sinisation » de Xi aggrave le constant dilemme del’Église en Chine. Le nombre d’évêques chinois se réduit, spécialement ceux qui sont capables de dire la vérité sur Dieu et l’homme, sans quoi l’Église n’est pas l’Église. Depuis les années 1950, les prêtres et les évêques loyaux au pape et au magistère ont été en général ordonnés dans l’Église souterraine, souvent clandestinement, pour éviter arrestations, emprisonnement ou pire. Les autres ont été désignés avec l’approbation du régime, et ont fait allégeance à l’Association catholique patriotique. Comme les évêques de la clandestinité ont pris de l’âge et sont morts avant d’être remplacés, le pape Jean-Paul II a commencé à reconnaître des engagements de loyauté venus de quelques évêques désignés par Beijing. Mais jusqu’à la signature de l’Accord provisoire, le Vatican s’est abstenu d’accorder aucune autorité au gouvernement communiste pour la nomination des évêques.
Malheureusement, parce que le texte de l’Accord n’a pas encore été rendu public, on ne sait pas bien quelle part d’autorité a été actuellement cédée. Certains rapports indiquent que le Vatican a accordé au régime un rôle important : les candidats à l‘épiscopat sont présentés à des assemblées de prêtres, religieuses et laïcs catholiques diocésains qui alors votent. Le nom du vainqueur est envoyé aux officiels qui peuvent accepter ou rejeter le candidat élu. Si Beijing accepte, le candidat pourrait encore être refusé par le pape.
Un tel processus soulève de sérieuses questions. Si les Chinois contrôlent le choix des candidats, ils vont inévitablement se révéler dommageables pour l’Église. Le régime de Xi va certainement nommer des évêques qui vont siniser l’Église, altérant ses enseignements et érodant son influence. Le droit de véto du pape fournira une certaine protection, mais les vétos pourraient faire échouer ce qui est par excellence le but du Vatican, d’accroître le nombre d’évêques.
Etant donné cet objectif, le pape François refusera-t-il des hommes qui étaient un peu plus que des apparatchiks communistes et insistera-t-il pour que soient seulement ordonnés de saints prêtres fidèles aux enseignements de l’Église ? Il n’est pas inutile de rappeler qu’en signant l’Accord il a accédé à la demande de Beijing d’accepter sept évêques officiels, dont certains ont été excommuniés par les papes précédents. Certains, dit-on, sont de mœurs faciles, ont des enfants et sont connus « pour soutenir excessivement le parti communiste dirigeant ». De plus le pape a accepté de demander à deux évêques clandestins, loyaux au Magisterium, de se retirer.
Il y a de faibles signes que le Pape puisse garder l’autorité pour nommer les évêques. Le mois dernier les deux premiers évêques ont été ordonnés conformément à l‘Accord. Tous deux ont été avaient été déjà approuvés par le Vatican – l’un l’avait été secrètement par le pape Benoît XVI en 2010. Dans les deux cas, la procédure de vote a été suivie comme il a été précisé plus haut. Les Nouvelles d’Asie rapporte que le vote initial a eu lieu dans un hôtel « sous le contrôle total des autorités locales ». Dans un cas les votants catholiques ont été convoqués, rapporte-t-on, sous la supervision de 100 policiers, et les représentants du gouvernement avaient été informés qu’il n’y avait qu’un seul candidat et qu’ils devaient voter pour lui.
On peut chicaner sur des « catholiques » qui votent pour leurs évêques, et sur la présence contraignante des représentants du gouvernement pendant le vote. Si ces deux ordinations indiquent cependant que c’est le pape, et non les communistes, qui nommera les candidats à l’épiscopat, c’est un bon signe. Mais ce n’est probablement pas le cas. Étant donné les efforts draconiens pour rattacher l’Église à ses desseins communistes, il semble invraisemblable que Xi puisse accepter de choisir parmi les candidats ceux proposés par Rome. Seul l’avenir, ou la publication du texte, le dira.
Finalement l’Accord provisoire peut indiquer un retour à la diplomatie d’Ostpolitik, diplomatie ratée, de l’époque de la Guerre froide dans les années 1960, avant que Jean-Paul II intervienne pour la modifier. Cette diplomatie fut un échec par manque de réalisme sur la nature perverse du communisme. Elle fit grand mal à l’Église dans certaines parties de l’Europe de l’Est. Le Vatican n’était pas alors, et ne l’est pas aujourd’hui, un pouvoir séculier capable de changer le comportement des gouvernements communistes par des voies diplomatiques.
Et pourtant, on peut soutenir que le Vatican est la seule autorité au monde constituée précisément pour traiter les racines du mal totalitaire, exactement comme le fit Jean-Paul II dans les années 1980 en coopération avec le président Reagan et le premier ministre Margaret Thatcher. Le rôle du Saint Siège devrait être maintenant, comme il l’était alors, de mettre l’accent sur les droits de l’homme et spécialement la liberté religieuse pour toutes les communautés religieuses en Chine.
Quant aux catholiques de Chine, le Vatican devrait tout simplement exiger la libertas ecclesiae, la liberté de l’Église, pour donner à ses adhérents, au public et au régime le témoignage de ses enseignements sur la dignité humaine et le bien commun.
Il est incontestable que les Chinois savent ce qu’ils font. Le charisme du Vatican, d’un autre côté, n’est pas la diplomatie, mais le témoignage de la vérité sur Dieu et sur l’homme.
https://www.thecatholicthing.org/2019/09/21/chinese-totalitarianism-and-catholic-witness/
Thomas Farr s’est spécialement occupé de la liberté religieuse. Il a fondé et dirigé l’Office du Département d’Etat de la Liberté religieuse internationale et enseigné à l’Université de Georgetown.
Samedi 21 septembre 2019