Rencontre avec Brunor, scénariste et dessinateur de bandes dessinées. Il est monté à bord pour une nouvelle traversée, à la recherche de continents inexplorés pour ce nouvel album de la série « Les indices pensables », appréciée de nos lecteurs, de leurs filleuls et de leurs petits-enfants, et de ceux qui leur ressemblent…
Chargé de mission par le diocèse de Paris pour former des adultes responsables de catéchèse et des professeurs sur les thèmes comme foi et raison, Brunor donne de nombreuses conférences pour des collégiens lycées, étudiants, et séminaristes. Cette année, il assure un cycle de formation pour les 16-18 ans au Collège des Bernardins. 1 Collège des Bernardins, jeune public. Il reste encore des places.
Votre nouvel album vient de sortir. Après le tome IV, La lumière fatiguée, pourquoi ce titre : L’Être et le néant sont dans un bateau ? Un clin d’œil à Jean-Paul Sartre ?
Brunor : Ce titre n’est pas seulement une référence un peu moqueuse au fameux livre du promoteur de l’existentialisme, vous verrez que ce n’est pas seulement un gag : il se justifie, car l’album aborde ce thème de l’Être et du néant qui, depuis l’Antiquité grecque, est fondateur d’une pensée dont on n’imagine pas toujours la portée. Mais elle est essentielle.
A ce point-là ?
Oui, parce qu’il est rare qu’une idée soit partagée par tous les philosophes et toutes les philosophies de l’histoire, or c’est le cas. Nous avions commencé à évoquer cela dans les albums précédents : le grand Parménide avait démontré que l’idée de néant absolu était impossible, et qu’il avait nécessairement toujours existé quelque chose ou quelqu’un…
Dieu ?
Ce serait trop simple. Ce « quelque chose ou quelqu’un » qui n’a pas pu sortir du néant et qui a toujours existé, Parménide l’appelle « l’Être Absolu », mais personne ne sait qui il est… Il va falloir travailler et réfléchir, faire une enquête intelligente, pour voir si on peut le connaître… Mais ce qu’on observe en regardant l’histoire de la philosophie, c’est que cette idée d’un Être Absolu est juste, car elle est partagée par toutes les philosophies 2 et toutes les religions du monde, malgré leurs nombreux désaccords sur quantité de points : il existe donc quelque chose ou quelqu’un qui a toujours existé. Qui est-ce ?
Mais les différentes philosophies ne vont pas rester longtemps sur cet accord harmonieux !
En effet, elles vont chacune se définir et se différencier des autres, précisément à l’instant où elles répondent chacune à leur façon : « Moi, je sais qui est cet être absolu : il est comme ceci ou comme cela et par conséquent, le monde est comme ceci ou comme cela… » Car on observe qu’il y a une logique, une cohérence dans chaque courant de pensée, entre la représentation de l’Être Absolu tels qu’on se l’imagine, et la représentation que l’on se fait du monde et de ce qu’il contient…
Par exemple ?
Si vous répondez, par exemple comme Démocrite, que l’Être Absolu n’est pas quelqu’un, mais quelque chose, c’est la matière dans sa forme pulvérisée : les atomes. Alors vous affirmez que les atomes ont toujours existé car ils n’ont pas pu sortir du néant… Vous enseignez donc que les atomes sont éternels dans le passé, mais aussi dans le futur… Si vous vous inscrivez dans ce grand courant qu’on appelle matérialiste et qui est athée, puisqu’il refuse que l’Être Absolu soit quelqu’un (un dieu), alors vous allez voir le cosmos, les êtres vivants et les humains comme le résultat d’assemblages d’atomes, au hasard. Au hasard, c’est-à-dire sans l’intervention d’aucune intelligence organisatrice, car dans votre système, il n’y a aucun dieu, aucune intelligence organisatrice… Donc le hasard est responsable de tout. (Avec le risque de faire du hasard une sorte de divinité, tellement il fait de choses géniales ! Des êtres vivants de plus en plus complexes, des messages génétiques de plus en plus riches en information…
Seulement, de nos jours, tous les astrophysiciens savent que les atomes ne sont pas éternels, on sait que dans notre Univers, ils ont commencé d’exister 380 000 ans après le Big Bang. Un coup dur pour ceux qui ont tout misé sur des atomes éternels.
Au départ, tout le monde est donc d’accord : un Être Absolu a toujours existé. C’est juste après que les désaccords commencent…
Exactement, car juste après ce point de départ qui fait l’unanimité, la question se pose : qui est cet Être Absolu ? Chacun apporte une réponse différente et c’est ainsi que l’on voit naître les grands courants philosophiques et religieux qui irriguent l’humanité tout entière depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Donc, dans cet album, vous creusez surtout le côté philo ? Cela va intéresser les élèves de terminale pour le Bac…
Il s’agit pour moi de rappeler certains positionnements de la pensée philosophique et surtout de les rendre accessibles. Le lecteur, même s’il n’a jamais rien compris à la philosophie, (ou s’il n’en a jamais fait à l’école) devrait pouvoir se dire : ah d’accord ! Tout part de cette question à propos de l’Être et du néant… Et ce n’est pas si compliqué, et ça me permet d’y voir plus clair et de comprendre pour quelles raisons philosophiques Einstein a longtemps refusé l’idée d’une expansion des galaxies ! Mais cet album n’est pas seulement philo, car il ne suffit pas de comprendre les quatre grands courants de la philosophie et des religions, il s’agit de faire un exercice qui est rarement fait, et qui est la spécificité de cette série des indices pensables…
Confronter ces visions du monde au réel !
Bravo ! En effet, tout le monde peut expliquer à sa façon le monde ou les êtres vivants, tout le monde peut donner son opinion sur l’Être Absolu, la question est de confronter toutes ces interprétations ou opinions avec le réel.
Cette opération, cet examen était impossible tant que l’Humanité n’avait pas encore commencé à « lire » cet Univers. Mais progressivement, par étapes, l’intelligence humaine s’est dotée d’outils (les sciences expérimentales) pour apprendre de l’Univers ce qu’il est. Depuis quelques dizaines d’années, notre tiroir des connaissances s’enrichit de nouvelles informations et nous obtenons ainsi des réponses à des questions soulevées depuis l’Antiquité. Ainsi l’Humanité peut se libérer de fausses croyances désastreuses pour l’intelligence et souvent criminelles…
Un exemple de fausse croyance ?
L’idée énoncée par des scientifiques comme Gobineau ou Haeckel qu’il existe plusieurs races humaines et une hiérarchie entre elles… Ou que certains hommes seraient des sous-hommes, sans âme, ce qui autoriserait notre conscience à les réduire en esclavage, etc.
De quelles nouveautés des parrains vont-il enrichir leurs filleuls en leur offrant cet album ?
Ils vont d’abord les enrichir d’informations et d’indices en mesure d’alimenter leur liberté pour une véritable réflexion… Car la confrontation au réel n’est pas sans conséquence : on va comprendre pourquoi certains choix philosophiques ne « tiennent plus la route » car ils se sont cognés au réel et leur erreur sur tel ou tel point a été manifestée (comme on vient de le voir plus haut à propos des atomes, pas du tout éternels. Ce qui est vérifiable par les lecteurs.
Un exemple d’erreur philosophique identifiée grâce aux sciences ?
L’individuation par la matière : Platon et tout le néoplatonisme ont enseigné que c’est la matière dans laquelle mon âme est tombée à la suite d’une faute effectuée dans un paradis perdu, une « chute dans la matière », qui fait que j’ai l’illusion d’être Bruno.
Alors qu’en réalité pour Platon, je ne suis pas vraiment Bruno, mais une parcelle divine tombée dans une matière « Bruno ». Cette matière est de la fange et mon corps Bruno est la prison de mon âme… Que nous apprennent les sciences à ce sujet ? Elles nous apprennent que la matière ne peut en aucun cas être responsable de l’individuation des êtres humains, puisque tous les êtres humains sont faits de matière rigoureusement identique : nos atomes sont tous identiques 3. Sur ce point précis, Platon n’a pas réussi à franchir l’obstacle du réel. C’est un grand philosophe et un authentique génie sur de nombreux aspects de sa pensée, mais sur ce point, il s’est objectivement trompé. Le réel, ça passe ou ça casse…
On ne peut pas tricher avec le réel, un jour ou l’autre, toutes les pensées doivent s’y confronter et c’est alors qu’on s’étonne de constater à quel point Aristote a vu juste sur de nombreux points comme celui-ci, ainsi que les hébreux bibliques.
C’est le monde à l’envers !
Oui, car nos contemporains ont tendance à penser que le Dieu de la Bible et de Jésus Christ est un conte pour les enfants, une douce illusion inventée pour se rassurer… Une croyance irrationnelle… Or, c’est le contraire que nous découvrons : comme disait en 2008 le Pape Benoît XVI : « Il n’y a aucune incompatibilité entre création et évolution… » Le Dieu de la Bible n’est pas incompatible avec le réel que les sciences apprennent à lire.
En évitant les errances du concordisme, cette enquête permet de distinguer une ligne de crête intelligente qui se dessine entre les deux camps adverses, créationnistes refusant le réel et évolutionnistes refusant toute intelligence organisatrice.
Il s’agit de comprendre que depuis le Big Bang 4, une progression parcourt le temps et l’espace. On peut l’appeler « évolution » car elle marque une montée, un enrichissement en information, mais personne ne peut prouver que cette évolution se fasse « toute seule » ou plutôt grâce à une intelligence organisatrice. Ce sont deux interprétations toujours discutables d’un fait indiscutable. Heureusement, des indices alimentent notre enquête comme le constatent mes lecteurs, de 15 à 95 ans.
Pour toute demande de conférences : brunor@brunor.fr
www.brunor.fr
- Collège des Bernardins, jeune public. Il reste encore des places.
http://www.collegedesbernardins.fr/fr/evenements-culture/jeune-public/jeune-public-programmation/philoxygene.html - Excepté Heidegger et ses disciples, mais on peut prendre le temps de montrer que leur affirmation n’est pas communicable.
- Il y a quelques années on disait : 28 sortes d’atomes, répartis entre 13 métalloïdes et 15 métaux !
- Le Big Bang, il y a 13,81 milliards d’années, selon les estimations récentes.