Il y a quatre ans, après douze ans d’expérience théâtrale, en tant qu’acteur et metteur en scène, Michel-Olivier Michel ressent un goût d’inachevé dans la pratique de son métier. En effet, le théâtre l’a poussé à surinvestir le champ du sensible, de l’affect et des émotions. Dans le célèbre Cours Florent, qu’il a suivi mais où il a également enseigné, le leitmotiv, la manière d’appréhender un texte passe souvent par la question : « Comment tu le sens ? » Cette approche qui pousse à l’hypertrophie de la subjectivité déteint sur le reste. Par ailleurs, investi en tant que laïc dans la communauté de Bethléem, il ressent le désir d’enraciner sa foi dans quelque chose de plus objectif. Il a alors commencé une licence de théologie aux collège des Bernardins, qu’il est sur le point d’achever par la rédaction d’un mémoire sur le thème de « Personne et communauté ». Ce rééquilibrage de sa vie spirituelle, il veut également l’accomplir dans sa vie d’acteur de théâtre, ce qui suppose un véritable recentrage.
À l’époque, il suit des cours de philosophie et de théologie à Toulon. Comme il aime partager ce qu’il fait, tout naturellement naît l’idée d’un stage de théâtre qui intègre des temps de réflexion. Il fixe la barre de réalisation de son projet à huit stagiaires. Un groupe, nous dit-il, doit comprendre entre huit et douze personnes pour qu’une dynamique naisse. En dessous de huit, le projet ne se fera pas : « la volonté du bon Dieu ». Ils seront neuf à suivre ce premier stage à Cotignac, sanctuaire varois, lieu d’apparitions mariales et d’une apparition de saint Joseph (cf. France Catholique n° 3473).
Une amie comédienne et metteur en scène vient l’épauler pour donner une deuxième approche aux stagiaires et les cours de philosophie sont assurés par un de ses professeurs de Toulon, frère de Saint-Jean, docteur en philosophie. Le thème lui apparaît comme une évidence : « L’émerveillement comme source de la philosophie et de l’art ». Le philosophe s’émerveille devant le réel, qu’il cherche à comprendre, et l’émerveillement de l’artiste naît d’une intuition qu’il essaie de transcrire à sa manière et de partager. L’émerveillement, jonction entre philosophie et art. La question qui guidera le stage sera donc : « Peut-on encore s’émerveiller ? » Ainsi naissent les Ateliers Philo-Théâtre. L’expérience est tellement concluante, Michel-Olivier parle de « moment de grâce », que les stagiaires parisiens poussent pour continuer l’expérience à Paris pendant l’année.
« Je parle de moment de grâce parce que c’est venu comme une respiration, comme lorsqu’on prend de l’air après une longue expiration. Comme si le travail de réflexion, par la philosophie, donnait sens à l’approche singulière de l’artiste en lui conférant une dimension plus universelle et venait remettre tout le travail théâtral dans le bon ordre. Et notamment au niveau de l’égo des comédiens. Car le théâtre est un lieu d’affirmation de l’égo. Comme il y a beaucoup de crainte, de peur dans ce métier, on a besoin d’être rassuré. Alors, on a tendance à accaparer la situation, à prendre la parole à temps et à contretemps. Un comédien, c’est un artiste qui va parler de lui, beaucoup, parce qu’il a peur… Et là, le travail de la philo venait comme pour remettre les choses à leur place, comme pour calmer tout ça. Comme pour nous dire que nous étions au service de quelque chose qui nous dépassait : n’ayez pas peur… »
À la rentrée parisienne, sur l’idée du professeur de l’été, les élèves planchent, au théâtre comme en cours, sur « les passions », avec en cours de philosophie un autre prêtre, également docteur en philosophie, curé de Saint-Louis-d’Antin.
Aujourd’hui, c’est un laïc, Matthieu Giroux, professeur de philosophie à Sainte-Marie de Neuilly, qui assure les cours de philosophie, aidé par un autre intervenant. C’est Michel-Olivier qui assure toujours les cours de théâtre, épaulé par Daphné de Quatrebarbes qui vient compléter le travail sur les planches, notamment celui de la technique vocale. Car les locaux loués à la paroisse Notre-Dame-de-Clignancourt disposent d’une véritable scène, ce qui constitue un avantage pour travailler le théâtre.
Si les cours hebdomadaires parisiens se poursuivent d’année en année, les stages ont toujours lieu chaque été à Cotignac, sur les thèmes « Homme et femme il les créa », « Qu’est-ce que vivre ? » et « L’enracinement ». Les séquences hebdomadaires ont porté également sur les thèmes « L’autre, cet inconnu qui me bouscule » et « Surpris par la joie ».
Cette année, les Ateliers Philo-Théâtre semblent avoir acquis une nouvelle dimension : le cours hebdomadaire, qui a fait le plein, a pu être dédoublé, la limite des douze ayant été atteinte et le nombre de postulants suffisant pour ouvrir un deuxième cours avec dix personnes sur le thème « Que dois-je faire ? » Mais surtout, un nouveau cours est créé, intensif, qui se veut plus professionnalisant avec 9 heures de théâtre par semaine. L’accent mis sur la technique, corps, voix, respiration, indispensable au professionnel, y est donc particulièrement important, sans être négligé dans les autres formules.
Les cours de théâtre donnés par Michel-Olivier Michel bénéficient de son approche bien particulière. Pour lui, la finalité, c’est d’être au service de la personne, de son mystère. Au théâtre, l’instrument de l’acteur, c’est lui-même, en particulier ce qu’il y a de mystérieux, de fragile et d’unique en lui et dont il n’a souvent pas conscience. Il s’agit d’être attentif à toute la personne avec d’autant plus de bienveillance que le metteur en scène ou le professeur a accès à une certaine part du mystère de la personne. Comme un « accoucheur » ou comme un potier avec un vase, il doit donc agir avec plein de délicatesse pour amener l’élève, avec son accord, à déployer ses talents.
Mais tout cela n’a aucun sens si ce n’est pour se mettre au service d’une pensée, d’un auteur, lui-même témoin d’une réalité qu’il essaie de décrire et qui le dépasse. L’acteur en effet ne se suffit pas à lui-même. C’est là que l’approche du théâtre de Michel-Olivier est différente. Pour lui, l’art de l’acteur est de trouver la bonne distance avec ce qu’il interprète. Il distingue deux approches traditionnelles, toutes deux issues de la pensée du grand théoricien du théâtre, Constantin Stanislavski. La première consiste à « entrer dans la peau d’un personnage ». Ici, l’acteur disparaît derrière un personnage idéal auquel il faudrait correspondre parfaitement, souvent réduit d’ailleurs à la seule dimension psychologique. Or, selon Michel-Olivier Michel, le personnage n’existe pas, ce ne sont que des mots et une situation ; celui qui existe, c’est l’acteur, qui lui, est en chair et en os. L’autre manière de procéder est de donner chair à des mots, d’amener à soi le texte. Mais ici, le risque est de ne plus se mettre au service du sens profond du texte et de le réduire à sa propre idée.
Ne pas rentrer dans un personnage qu’on a psychologisé à l’extrême, comme le fait l’Actor’s Studio aux États-Unis, mais ne pas se mettre au centre non plus. Pour Michel-Olivier, il s’agit d’incarner le texte pour se mettre au service de toute sa profondeur, de rendre visible ce qui est invisible. C’est ainsi que l’on doit travailler sur toutes les dimensions de la personne, notamment le corps, mais aussi l’intelligence qui nous fait comprendre le sens du texte. Le choix des pièces travaillées est donc important. Shakespeare, Tchekhov, Molière, qui essaie de comprendre les différents caractères humains, Musset, Péguy, avec Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc qui pourrait être travaillé une année entière, mais aussi des auteurs contemporains parfois, comme Fabrice Hadjadj, avec lequel il est très lié et dont il a mis en scène plusieurs textes, aux fulgurances géniales. Mais son auteur de prédilection, celui que ses élèves lui reprochent parfois de trop travailler, c’est Claudel « qui donne à voir toutes les dimensions de la personne ». Pour lui, chez Claudel, « ce qui se joue dans l’intimité est déployé aux dimensions du monde », « il est épique et organique, comme Shakespeare, mais il ne craint pas de dire en profondeur le désir de Dieu qui anime l’âme humaine ».
Michel-Olivier Michel ne cache pas à ses élèves qu’être chrétien est central chez lui et il se peut qu’un professeur de philosophie fasse une incise de théologie dans son cours, mais les ateliers ne s’adressent pas qu’aux catholiques. C’était le premier cercle touché mais celui-ci s’est étendu. Tous ceux qui ont une appétence pour le théâtre et la philosophie peuvent rejoindre les ateliers, d’autant que pour Michel-Olivier Michel, « chaque personne peut jouer et être acteur, puisque chaque personne a été un enfant. Sur scène il s’agit de jouer, comme fait l’enfant lorsqu’il joue : il sait qu’il joue mais cela n’empêche pas de croire que quelque chose d’essentiel est en train de se passer et d’agir en conséquence ».
— http://www.les-ateliers-philo-theatre.fr/
— http://www.les-ateliers-philo-theatre.fr/