Décidément, je ne puis lâcher le Synode ! Le voudrais-je que la multitude des demandes d’éclaircissement de la part des médias m’en dissuaderait. Sans doute, me manque-t-il d’être sur place, comme je le fus autrefois, pour me rendre compte directement d’un climat et de la réalité des tensions propres à ce genre d’institution. Mais je lis tout ce qui s’offre à moi sur le sujet et j’essaie de réfléchir aux grandes thématiques en cours. Celles-ci me surprennent d’autant moins que je n’ai jamais cessé depuis très longtemps de les examiner sous tous les angles. On n’appartient pas impunément à la génération des sixties, qui a vu s’effondrer un monde au profit d’un autre monde rêvé, qui n’a à peu près tenu aucune de ses promesses. Mais il serait trop long de m’expliquer là-dessus, en glosant sur l’échec de ce que le québécois François Ricard a appelé la génération lyrique.
Des centaines de fois, j’ai repris l’expression de l’historien Pierre Chaunu sur le changement des attitudes devant la vie, qui caractérisait la décennie des années soixante. Il est vain de considérer, par exemple, la seule question du divorce, indépendamment d’un basculement de civilisation qui a desserré les liens sociaux dans le sens d’un hyper-individualisme. Ce n’est pas seulement la fragilité des couples mariés qu’il faut prendre en compte mais la phobie généralisée de l’engagement ainsi que la déstructuration psychologique produite par la confusion des rôles et le déclin de la paternité.
Je suis atterré lorsque j’entends que l’Église devrait se mettre à la remorque de l’actuelle civilisation des mœurs qui aurait, en quelque sorte, à lui dicter sa pastorale et même à modifier sa doctrine. Et lorsqu’on me donne en exemple le concile Vatican II comme modèle d’accommodement avec l’évolution des temps, je me gratte la tête. Le concile, je n’ai cessé de l’étudier, en conversant, par exemple, avec mon éminent ami le cardinal de Lubac, qui fut un de ses théologiens majeurs. Si Vatican II s’était purement et simplement aligné sur les idéologies du temps, il serait dépassé depuis longtemps. Le propre du concile est d’avoir donné une réponse doctrinale appropriée à un certain nombre de défis nouveaux. C’est de lui que date l’approfondissement anthropologique qui a permis à l’Église d’éclairer les hommes d’aujourd’hui sur une vocation qui contredit la sombre prophétie de Günther Anders quant à l’obsolescence de l’homme.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 16 octobre 2014.