L’immense basilique de granit qui se trouve aujourd’hui au milieu des maisons du village de Pontmain est à la mesure du formidable événement qu’elle commémore, survenu le 17 janvier 1871. Il y a 150 ans presque jour pour jour, ce petit village de Mayenne, accablé par l’angoisse, s’est accroché à la prière et a comme gagné le plus éclatant des signes : l’apparition de la Sainte Vierge.
Quelques mois plus tôt, le 19 juillet 1870, l’Empire français se jette dans l’inconnu en déclarant la guerre au royaume de Prusse et à ses alliés. En à peine trois semaines, l’Empire s’effondre : le 1er septembre, l’armée impériale est battue à Sedan, entraînant la capitulation de Napoléon III. Constitué prisonnier, l’empereur est envoyé à l’étranger. La nouvelle plonge Paris dans une forte agitation politique et le 4 septembre, Léon Gambetta proclame la IIIe République à la foule de Parisiens massés devant l’Hôtel de Ville. De son côté, la coalition allemande déferle sur le territoire français et le 19 septembre, les troupes ennemies encerclent Paris. Le siège, d’une dureté terrible, affame la population et attise les braises de la contestation sociale, qui embrasera la capitale quelques mois plus tard, durant l’épisode sanglant de la Commune (cf. encadré page 16).
38 jeunes du village enrôlés
À 250 kilomètres de là, en Mayenne, Pontmain se tient loin des hostilités. Pour le moment… C’est une décision de Léon Gambetta, devenu ministre de l’Intérieur et de la Guerre, qui relie le village aux combats meurtriers entre la France et le royaume de Prusse. À la suite de la création de l’armée de la Loire en octobre 1870, 38 jeunes du village ont été enrôlés dans ce corps qui connaîtra de lourdes défaites, notamment à Orléans en décembre, puis au Mans en janvier 1871. À Pontmain, les habitants sont naturellement rongés d’inquiétude pour leurs jeunes. Et, pour ne rien arranger, un hiver particulièrement redoutable s’abat sur le pays. « Les 200 habitants vivent dans une terrible angoisse, explique le Père Renaud Saliba, Oblat de Marie Immaculée et recteur du sanctuaire Notre-Dame de Pontmain. D’autant que les nouvelles qui parviennent au village annoncent l’arrivée imminente des Prussiens qui menacent Laval, à seulement 50 kilomètres. »
Inquiets pour la vie de leurs jeunes, redoutant l’arrivée des Prussiens et frappés par un froid glacial, les Pontaminois ont néanmoins la chance d’avoir dans leur village l’abbé Michel Guérin. « Quand il y a une apparition mariale, il y a toujours non loin des figures de sainteté », remarque le Père Saliba, admiratif du curé de Pontmain de l’époque. Il faut dire que le vieux prêtre a passé 35 ans à relever ce village qui, comme beaucoup d’autres, a été déchristianisé par la Révolution. Quand Pontmain apprend que Français et Prussiens entrent en guerre, l’abbé Guérin fait prier les habitants et leur demande de se confier à la Vierge. Armé d’une solide foi mariale, très attaché à la théologie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, il installe plusieurs statues de la Mère de Dieu dans l’église et son clocher.
Mais en ce mois de janvier, il note dans son diaire – son journal – qu’il a de plus en plus de mal à faire prier les gens. « À Pontmain, on commence à dire que Dieu n’écoute pas, explique le Père Renaud Saliba. Il y a tellement de problèmes que les fidèles, même s’ils maintiennent une pratique religieuse, se disent ‘à quoi bon’, car leurs prières ne sont pas exaucées. » Comme beaucoup, l’abbé Guérin pense que la France est punie (cf. p. 15), mais il garde espoir.
La foi des enfants, le découragement des adultes
Si le découragement s’empare des adultes, il n’en est rien des enfants, qui continuent à prier : ils servent la messe, continuent d’aller à l’école tenue par les religieuses, récitent le chapelet avec leurs parents… C’est donc dans un village frappé par le découragement, mais porté par son curé et la foi des enfants, que la Vierge apparaît dans le ciel le 17 janvier. Les voyants sont quatre enfants du village, qui restent dans le froid sans souffrir, émerveillés par ce qu’ils voient. Rapidement, les habitants se regroupent autour d’eux mais la confusion règne : quand ils lèvent les yeux au ciel, eux ne voient rien. Pourtant, il y a ce soir-là tellement de sincérité chez les enfants que les parents, troublés, font venir les religieuses, qui font à leur tour venir le curé. « L’apparition de Pontmain est paroissiale, note le Père Saliba. Et l’abbé Guérin, en arrivant sur place, comprend qu’il faut prier. » Devant les yeux des enfants, l’apparition évolue. Lorsque le message « Mais priez mes enfants Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher » s’inscrit sous les pieds, la foule se met à entonner le chant « Mère de l’espérance ». « Dès que la foule comprend que le message comporte ‘Mon Fils’, elle réalise qu’il s’agit bel et bien de la Vierge Marie », analyse le Père Renaud Saliba.
Durant les 3 heures que dure l’apparition, les habitants de Pontmain, jusque-là tenus par l’angoisse, n’ont plus peur. Lorsqu’un homme, qui revient d’un village voisin, arrive en plein milieu de l’apparition et voit les fidèles à genoux dans la neige en train de chanter et de prier, il les traite de fous en leur rappelant que les Prussiens arrivent. Aussitôt, une habitante lui fait cette réponse : « Les Prussiens auraient beau être aux portes de Pontmain, nous n’aurions pas peur. » « Cela marque l’abandon à la Providence de ces personnes accablées par les épreuves, souligne le Père Saliba. Ce n’est en aucun cas une démission face aux épreuves, il faut être clair là-dessus. Simplement, les habitants de Pontmain se sont dit qu’au milieu des épreuves, il y a quand même une paix à trouver. »
Chercher la paix durant l’épreuve
Au lendemain de l’apparition, les Pontaminois apprennent que les Prussiens ne sont finalement pas entrés dans Laval et se sont même repliés. Une semaine plus tard, le 26 janvier, la France et la coalition allemande signent un armistice. Quant aux 38 jeunes hommes enrôlés dans l’armée de la Loire, ils reviendront tous sains et saufs dans leur village qui avait tant prié pour qu’ils aient la vie sauve. Après de telles épreuves, la paix est donc donnée au petit village de Mayenne. Donnée autant qu’acquise, dans un mouvement que peut faire tout chrétien : « Quand on est angoissé, il faut aller chercher la paix, affirme le recteur de Pontmain. Si la Vierge nous dit : ‘Mais priez mes enfants’, c’est parce que c’est par la prière qu’on atteint cette paix. » La Sainte Vierge devient alors un modèle pour quiconque traverse les épreuves. « Au pied de la Croix, la Vierge prie alors que tout pourrait sembler perdu » note le Père Saliba, qui recommande la « simplicité de la prière du chapelet » pour se « laisser gagner par l’espérance ».