Dans une récente conversation, j’ai dit à quelqu’un que l’introduction de la pilule dans les relations entre jeunes gens a porté les enjeux sexuels à un niveau dangereux. Tous les délais sains et utiles entre une fréquentation amicale et une nuit au lit ont été balayés. Et aucun des deux sexes ne sait plus quoi attendre de l’autre. Le résultat, je le répète depuis des années, est la solitude pour ceux qui refusent de jouer le jeu, et toutes sortes de dégâts moraux et personnels pour ceux qui l’acceptent. Et peut-être, à la fin, une solitude encore plus profonde, impliquant une séparation complète d’avec l’autre sexe.
Comment avons-nous pu ne pas le voir venir ? Comment les catholiques, et en particuliers les théologiens et les philosophes, ont échoué à voir ce que des païens comme Platon, Aristote, Zénon le Stoïcien, Cicéron et Marc-Aurèle ont vu, à savoir qu’habiller le vice de vêtements chatoyants n’en changera pas plus les effets qu’ajouter du sucre dans un plat empoisonné ?
Mon interlocuteur était interloqué et il a dit que si la pilule avait été disponible quarante ans plus tôt, les gens de cette époque auraient fait la même chose que ceux qui leur ont succédé. Il suggérait par là que la génération de mes grands-parents était aussi faible, égoïste et gâtée que la génération qui a pris la pilule.
J’ai répliqué qu’on ne pouvait pas juger les gens sur ce que nous supposons qu’ils auraient fait mais uniquement sur ce qu’ils ont effectivement fait. Il a admis alors que les anciens faisaient mieux la cour, mais qu’ils fumaient dans les ascenseurs en présence d’enfants. Ce à quoi je pourrais répliquer : « Je vous accorde leur fumée de cigarette et j’y oppose nos obscénités publiques, nos loisirs sordides et notre pornographie omniprésente, tout cela en présence d’enfants, et avec encouragements à participer pour les deux premiers volets. »
Nous devons faire des distinctions. La nature humaine ne change pas. Les allemands devenus nazis auraient pu être des piliers de leur communauté s’ils avaient grandi ailleurs à une autre époque et chacun d’entre nous, surtout ceux ayant un goût pour les mouvements d’une grande élévation morale et la recherche de boucs émissaires, chose suffisamment commune au sein de l’humanité, auraient pu devenir nazis.
Mais nous sommes peut-être en terrain plus sûr si nous disons que l’expérience en pensée n’a guère de sens. […]
Je peux tenter d’imaginer ce que la personne que je suis pourrait avoir fait si je n’avais pas pris à Princeton un cours qui a changé ma vie, ou si je n’avais pas rencontré ma femme Debra, mais même alors, je suis en terrain glissant. Peut-être, quand nous supposons que nous aurions fait telle chose en telle circonstance, nous basons-nous sur ce que nous avons effectivement fait dans des circonstances similaires.
Par exemple, des gens qui à l’heure actuelle aiment calomnier les autres ou présenter leurs paroles ou actions sous une lumière attentatoire auraient fait à l’époque d’excellents dénonciateurs ; ou pour parler plus positivement, des gens qui actuellement partent du principe que la sexualité est réservée à une relation exclusive et fidèle, visent la permanence (quelles que soient les illusions qu’ils se font sur leurs façons d’agir) et se seraient alors gardés chastes et continents avant le mariage.
Cependant, ce que nous faisons, nous le faisons effectivement et nos actions nous façonnent. John C. Calhoun traitait bien ses esclaves, mais il restait un propriétaire d’esclaves, et cela a fait plus que laisser une trace sur son âme. Le péché ronge l’âme et s’y incorpore à une profondeur intime telle que quand il est devenu vieux, Calhoun ne ressentait plus aucune honte à posséder des esclaves mais considérait cela comme un bien positif.
Je n’émets aucun jugement sur son devenir éternel. Dieu est seul juge. Mais ce que nous voyons, nous pouvons le dire. Le péché défigure, et pécher contre ce que vous ressentez en pleine conscience être mal, comme il semble que Calhoun l’ait fait, vous défigurera de la pire manière. Ainsi la prostituée qui pleurait aux pieds de Jésus était plus saine que Simon le lépreux confit dans son orgueil, avec une conscience claire comme le jour.
Le péché est à l’âme ce que la maladie est au corps, mais avec une différence cruciale qui le rend plus insidieux. Le corps peut venir à bout de la maladie par ses propres ressources. L’âme ne peut pas vaincre le péché de cette façon. C’est, encore une fois, parce que le péché est plus qu’un envahisseur. « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » crie saint Paul, quand il décrit la détresse de celui qui sait ce qui est bien, qui souhaite même choisir le bien, mais qui à la place choisit le mal.
La détresse de celui qui ne reconnaît plus le bien est pire encore. Il devrait être évident que tout effort de l’âme est vain, parce que les scories du péché sont intimement liées au minerai. Il n’existe pas un point par lequel le minerai pourrait sortir des scories ; pour l’âme, c’est pareil. Seule la grâce peut agir, avec la parole de Dieu qui pénètre entre la moelle et l’os.
D’où le besoin urgent de prêcher la vérité. On ne nous a pas dit que Dieu jugera un moi de fiction dans des circonstances imaginaires. On ne nous a pas dit qu’Il sauvera le même pourcentage de gardiens de camps nazis et de menuisiers amishs. Nous sommes tous pécheurs et pas à la hauteur de la gloire de Dieu.
Nous devons nous tourner vers Dieu et dire : « Crée en moi un cœur pur. » Une demande audacieuse car la recréation d’une âme est une merveille plus grande que ne l’était la création du monde. Nous ne devons pas dire : « Juge ce que j’aurais pu être » mais : « Pardonne ce que je suis et renouvelle-moi. »