«Plus de Dieu en 1937. » Le célèbre mot d’ordre de Staline, prononcé lors du lancement du plan quinquennal de 1932, devait être pris au pied de la lettre. Dans l’esprit du « petit père des peuples », il s’agissait d’éradiquer tout signe de présence chrétienne des terres socialistes. Le travail, il faut le dire, avait déjà été bien entamé dès les lendemains de la révolution d’Octobre. Le métropolite Vladimir, fusillé le 25 janvier 1918 dans la laure des Grottes de Kiev, est ainsi souvent considéré comme le premier martyr du communisme. En juin 1922, dans une lettre adressée au Politburo, Lénine avait été clair : « Plus nous réussirons à fusiller de représentants de la bourgeoisie réactionnaire et du clergé réactionnaire, et mieux ce sera. » Deux mois plus tard, le métropolite Benjamin de Petrograd est fusillé avec l’archimandrite Serge Chéine et deux laïcs : tous les quatre seront canonisés en 1992.
Chiffres vertigineux
D’abord aléatoires, les persécutions s’organisent. Une loi est adoptée dans la foulée du XVe congrès du Parti communiste de 1927 pour systématiser la déchristianisation. Les chiffres sont vertigineux. Sur les 70 000 églises et chapelles décomptées avant 1917, il n’en reste plus qu’une centaine d’ouvertes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Et pour la seule année 1937, on estime que 85 000 prêtres orthodoxes auraient été assassinés, auxquels il faut ajouter 30 000 victimes de plus l’année suivante. Ceux qui ne sont pas tués immédiatement sont expédiés au Goulag, ou contraints de se terrer dans la clandestinité.
Les persécutions s’accompagnent de déprédations. Églises et monastères sont pillés, les œuvres d’art détruites et confisquées, les métaux précieux récupérés ou fondus. « (…) de telle façon que nous puissions nous assurer un fonds de plusieurs centaines de millions de roubles-or », écrivait encore Lénine, avec un froid cynisme, dès 1922.
Avec la Seconde Guerre mondiale, les persécutions s’atténuent. Staline sait que le vieux fond chrétien russe n’a pas été éradiqué comme il l’espérait en 1932. Dans son discours du 7 novembre 1941, il convoque même la figure du saint orthodoxe Dimitri Donskoï qui avait fait barrage aux Mongols au XIVe siècle.
Mais le dégel n’est qu’apparent et la politique antireligieuse, certes moins sanglante qu’avant-guerre, se poursuivra jusqu’à Gorbatchev, tandis qu’elle sera étendue aux pays satellites. Les catholiques uniates d’Ukraine sont visés, puis l’ensemble des gréco-catholiques et les catholiques romains en Europe centrale, où se multiplient les assassinats, emprisonnements et pillages. Beaucoup d’entre eux, depuis la chute du Rideau de fer, ont rejoint la cohorte des bienheureux. Le Père Jerzy Popieluszko, aumônier du syndicat polonais Solidarnosc, torturé à mort en octobre 1984 par la police politique du général Jaruzelski, a été béatifié en 2010. Sous le pontificat du pape François, pas moins de 53 martyrs du communisme – en Albanie, Roumanie, Croatie, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Ukraine ou Lituanie – ont été béatifiés. Celle du cardinal Stefan Wyszynski, qui a combattu le communisme en Pologne, aura lieu le 7 juin 2020.
Trente ans après la chute du communisme, il est difficile de chiffrer précisément le nombre de chrétiens assassinés en raison de leur foi, tant le périmètre et la durée de la tragédie furent étendus. Sans compter les différents modes opératoires – de la fusillade de masse aux tortures individuelles – qui débouchèrent sur de nombreuses disparitions jamais documentées. Selon la Commission pour la réhabilitation des victimes des répressions politiques, 200 000 prêtres, moines et moniales orthodoxes russes peuvent être considérés comme des martyrs.
L’héritage de ces témoins demeure indispensable pour répondre aux défis de demain. « Je voudrais ainsi vous encourager à porter la lumière de l’Évangile à nos contemporains et à continuer à lutter, comme ces bienheureux, contre ces nouvelles idéologies qui surgissent » et cherchent à déraciner les peuples de leurs traditions culturelles et religieuses, exhortait le pape François à Bucarest le 2 juin dernier, lors de la béatification de sept évêques gréco-catholiques roumains, martyrs du communisme.