Le Salut horizon indépassable de la foi - France Catholique
Edit Template
100 ans. Donner des racines au futur
Edit Template

Le Salut horizon indépassable de la foi

La fête de Pâques invite plus que toute autre à la méditation du mystère du salut. L’éclairage de l’abbé Jean Arfeux, prêtre de Toulouse et auteur de Le salut pour tous par le Christ et dans l’Église (Artège/Lethielleux).
Copier le lien
Le chemin du salut, Andrea di Bonaiuto (1365-1367), chapelle des Espagnols, basilique Santa Maria Novella, Florence, Italie.

Le chemin du salut, Andrea di Bonaiuto (1365-1367), chapelle des Espagnols, basilique Santa Maria Novella, Florence, Italie.

© Philippe Lissac / Godong

On dit souvent que nous sommes déjà sauvés. Mais saint Paul, dans sa lettre aux Romains, précise que nous sommes sauvés « en espérance ». Pourquoi la nuance est-elle importante ?

Abbé Jean Arfeux : Disons d’abord ce qu’est le salut : pour l’homme c’est l’état d’être hors du péché et dans la grâce du Christ. C’est, ultimement, la charité. Au fond, il n’y a pas de véritable différence entre ces deux affirmations : « être déjà sauvé » et « être sauvé en espérance ». Benoît XVI l’exprime bien dans l’encyclique Spe salvi lorsqu’il commente la définition de la foi de l’épître aux Hébreux : « La foi est la substance des réalités à espérer » (He 11, 1). La foi donne de posséder déjà quelque chose du salut, une réalité en germe qui est appelée à se déployer par la libre coopération de l’homme. Ici-bas, le salut est dans l’homme par la foi, informée par la charité. Comme la feuille est déjà dans le bourgeon.

De même, on a tendance aussi à affirmer que nous avons été sauvés par la Croix. Est-ce exact, ou bien est-il plus exact de dire que nous avons été sauvés par la Croix et la Résurrection ?

Le salut nous vient avant tout du sang versé sur la Croix, mais plus largement il est à l’œuvre dans toute la vie du Christ et de manière éminente dans la totalité du mystère pascal. Croix et résurrection sont indissociables. Le corps du Ressuscité porte encore les marques de la Passion. La Croix est pour la Résurrection, et il n’y a pas de résurrection des morts sans le sacrifice de la Croix. C’est pourquoi la Croix est glorieuse, comme le montrent par exemple certaines des plus belles œuvres de l’art roman.

Le salut doit donc être considéré dans ses deux dimensions : négativement comme l’acte par lequel l’homme échappe à la mort éternelle, et positivement, comme l’accès à la vie éternelle. La mort du Christ sur la Croix est l’acte par lequel il nous rachète du péché. Dans sa résurrection, le Christ nous divinise en nous donnant d’être des fils aimés du Père. Le baptême par immersion permet de bien cerner cette réalité. La plongée dans l’eau du baptême signifie la mort au péché qu’offre le sacrifice de la Croix. La sortie de l’eau baptismale signifie la naissance à la vie éternelle qu’offre la résurrection.

Sans doute faut-il aussi rappeler de quoi le Christ est venu nous sauver. De la damnation ?

Prenons garde à la précision des termes que nous employons. Le dam est la peine du péché. Dans sa miséricorde, le Père veut d’abord nous sauver du péché et nous épargner ainsi la damnation éternelle : « Le Christ est mort pour nos péchés » (1 Co 15, 3). La damnation éternelle juge celui qui mourrait en état de péché mortel, définitivement incapable d’aimer, en le figeant dans un « état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu’on désigne par le mot “enfer” », comme le rappelle le Catéchisme de l’Église catholique (n° 1033).

Dieu ne destine pas l’homme à cette auto-exclusion. L’homme est prédestiné à l’amour éternel, certainement pas à l’enfer. En avoir conscience doit résonner comme un appel pressant à la responsabilité et à la conversion : il faut rejeter le péché pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu.

Les actes de foi, d’espérance et de charité sont autant de façons d’œuvrer à notre salut. Mais cela risque-t-il de nous faire oublier que Dieu sauve gratuitement, par miséricorde ?

En tant que chrétiens, nous devons garder à l’esprit que si nous sommes personnellement les auteurs des actes de foi, d’espérance et de charité qui donnent part au salut, nous ne le sommes pas seuls. Ces actes sont toujours posés sous la motion de la grâce. C’est donc l’Esprit Saint qui est l’auteur de notre salut. L’auteur nous donne, gratuitement et par miséricorde, d’être des co-auteurs.

Il est important de le rappeler car nous n’en avons pas fini avec la vieille hérésie pélagienne. Aujourd’hui encore, comme Pélage l’affirmait au Ve siècle, l’homme croit parfois qu’il est en mesure de se sauver tout seul. Entre la fausse humilité – je ne suis pas digne que Dieu me soutienne – et l’orgueil éclatant – je suis suffisamment digne pour me débrouiller seul –, c’est toujours Dieu qui est congédié.

Notre salut, redisons-le avec force, est l’œuvre de l’Esprit de Dieu. C’est par grâce, gratuitement donc, que nous sommes sauvés. Dans la grâce et par miséricorde, Dieu nous donne de le connaître comme il se connaît (foi), de l’aimer comme il s’aime (charité) et de désirer cela comme notre plus grand bien (espérance).

Y a-t-il aussi une dérive très actuelle qui consiste à tout « miser » sur la miséricorde, ce qui peut conduire à chanter avec Polnareff que l’« on ira tous au paradis » ?

Votre question est un peu étrange. Comment ne pas tout miser sur la miséricorde ? Il faut sortir de la logique « polnareffienne », bien dans l’air du temps, qui oppose la miséricorde à la justice. Si les deux réalités s’identifient en Dieu, elles ne peuvent pas être contradictoires ici-bas, elles doivent s’ordonner l’une à l’autre.

Le péché suppose à n’en pas douter un jugement, un véritable acte de justice, c’est alors que la miséricorde divine peut se déployer. La parabole des deux fils éclaire bien cette relation entre la justice et la miséricorde. Lorsqu’il revient vers son père, le fils prodigue n’attend rien d’autre que le traitement de l’ouvrier, il est animé par la justice. Par miséricorde, son père l’accueille cependant comme son fils et non pas comme un simple ouvrier. La miséricorde est l’accomplissement de la justice. A contrario, le fils aîné qui s’indigne devant la miséricorde du père, refuse du même coup ce que la justice exige de lui : sa participation au banquet des retrouvailles. Le rejet de la miséricorde établit l’injustice.

Avant les retouches récentes apportées au Missel, on disait lors de la prière sur les offrandes : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde. » En quoi l’eucharistie participe-t-elle au salut du monde, si celui-ci a déjà été historiquement acquis ?

Cette formule récapitule admirablement les fruits de l’eucharistie : la gloire de Dieu et le salut du monde. En soi, l’existence du monde n’ajoute rien à la gloire de Dieu. Pourtant, comme le dit saint Irénée : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. » Ainsi, dans le culte eucharistique l’homme contribue-t-il au resplendissement de cette gloire. À La messe, il reçoit la grâce qui l’unit à Dieu et à ses frères : « La vie de l’homme c’est la vision de Dieu », poursuit Irénée.

L’eucharistie est la re-présentation, ici et maintenant, de l’unique sacrifice du Christ. Elle rend sacramentellement présent celui qui nous sauve, en personne – Présence réelle – et dans son agir sacrificiel – non sanglant mais actuel. Elle offre l’union intime des hommes avec Dieu et entre eux. Elle est mystère de communion.

Mystérieusement donc, à la messe, on devient comme contemporain du mystère de Pâques. Le mystère de notre salut, mérité par la mort et la résurrection du Christ, s’effectue réellement. Rappelons enfin qu’à la messe, lorsque nous communions, nous le faisons bien sûr pour nous-même, mais encore pour tous ceux que le Christ veut rassembler dans son offrande au Père : la multitude des vivants et des morts – les âmes du purgatoire.

Dans la nouvelle traduction, on dit désormais que le sacrifice eucharistique est destiné à « notre bien et celui de toute l’Église » et non plus au « salut du monde » : c’est une vision plus restrictive ?

Je ne pense pas qu’il y ait ici un motif réel de débat : « Notre bien et celui de toute l’Église », c’est « le salut du monde ». « l’Église, c’est le monde réconcilié », affirme saint Augustin s’appuyant sur cette parole de l’Évangile : « Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17). Certes, ici-bas, l’Église n’est pas le monde, mais à la fin des temps, ils formeront en Dieu une même réalité : « L’Église c’est le monde réconcilié. » La formule retenue par la nouvelle traduction du Missel insiste davantage sur l’itinéraire qui conduit à cette fin.

« Hors de l’Église point de salut. » Cette formule de saint Cyprien est souvent utilisée pour brocarder une rigidité doctrinale supposée. Est-elle dépourvue de pertinence ?

La formule exprime pourtant la foi de l’Église. Il convient cependant de bien la saisir. Premièrement, Dieu veut assurément que tous les hommes soient sauvés. L’offre du salut est universelle. Deuxièmement, le Christ est seul médiateur du salut. C’est l’unicité des moyens du salut que signifie : « Hors de l’Église point de salut. » Pour être sauvé, il faut appartenir à l’Église grâce aux liens que forment la profession de foi, les sacrements de la foi et le gouvernement des pasteurs légitimes. Troisièmement, se pose le problème de « ceux qui n’ont pas reçu l’Évangile » et qui sont dans une ignorance invincible, non coupable donc, du Christ et de l’Église. Pour eux, le magistère établit un « régime supplétif du salut » fondé sur la foi implicite et le baptême de désir.

De telle sorte que mystérieusement, les non-chrétiens, qu’ils soient fidèles d’une autre religion, agnostiques ou même athées, peuvent appartenir à l’unique Église du Christ, hors de laquelle il n’y a pas de salut. Reste qu’en pratique, la distinction entre le refus peccamineux de l’Évangile et son ignorance invincible est parfois difficile à faire. N’oublions pas que « la frontière de l’Église passe à travers nos propres cœurs » comme le disait le cardinal Journet…

Peut-on contribuer activement au salut des autres, et pas seulement au nôtre ? Sommes-nous co-responsables du salut de nos frères ?

Nous le devons ! Contribuer au salut des autres est notre vocation. Nous sommes des disciples-missionnaires, rappelle souvent le pape François. Le salut personnel n’est pas séparable du salut des autres. Par nature, la charité nous presse d’évangéliser les autres pour que tous soient des disciples du Christ. Pour tout baptisé, l’évangélisation est une mission. Elle concerne l’ensemble de l’Église : non pas seulement les ministres ordonnés ou les religieux, mais encore les fidèles laïcs.

Ces derniers doivent avoir le souci quotidien d’évangéliser leurs familles ou leur environnement professionnel par le témoignage d’une vie sainte, une vie rayonnante de foi, d’espérance et de charité. La prière est pour cela indispensable. Elle réveille et soutient notre désir de mission. Elle peut être aussi une prière d’intercession. Il est toujours bon de demander à Dieu la grâce d’une conversion qu’il pourra exaucer dans le mystère de la communion des saints.

En quoi la Vierge Marie est-elle indispensable pour guider l’humanité vers son salut ? En quoi et comment agit-elle toujours hic et nunc ?

Marie est la Théotokos, la Mère de Dieu. Elle tient une place éminente dans l’économie du salut. Première des sauvées, non par mode de rédemption mais par mode de préservation, elle est l’Immaculée Conception. Elle est pour nous d’abord comme un modèle, une icône à contempler. Elle est, comme l’écrit Paul Claudel dans La Vierge à midi, « la femme dans la Grâce enfin restituée/la créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final/telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale ». Elle est signe de notre espérance.

Marie est encore pour nous la Mère de la grâce. Elle est comme la trésorière des grâces de son Fils. La Vierge Marie qui est corps et âme auprès de son Fils, intercède pour nous dans l’éternité afin que nous soient communiquées les grâces du salut. C’est pourquoi, « pour notre bien et celui de toute l’Église », dans notre prière, nous levons les yeux vers elle.