Le 8 décembre dernier, lors de la grande fête mariale de l’Immaculée Conception, Mgr Thierry Brac de la Perrière a consacré son diocèse de Nevers au Cœur immaculé de Marie. Dans cette même ville où Bernadette a fini humblement sa vie, derrière les murs d’un couvent, après avoir reçu à Lourdes une extraordinaire révélation mariale.
Mais la consécration de Nevers n’est pas un cas isolé. Sans que le phénomène ne fasse de bruit, elle vient s’ajouter à six autres diocèses en France – Perpignan, Aix-en-Provence, Tulle, Sées, Bayonne et Toulon, le plus ancien en 2008. Lesquels, sans se concerter le moins du monde, ont fait ce choix spirituel dont l’écho résonne très fortement et très profondément.
Avec, comme pierre de touche, le centenaire des apparitions de la Vierge Marie à Fatima, en 2017. Mgr Brac de la Perrière confie ainsi à France Catholique que l’idée lui est venue lors d’une veillée mariale, le 13 octobre, cent ans jour pour jour après la dernière apparition de Marie aux trois jeunes bergers, celle où le soleil a dansé à Fatima devant 30 000 personnes. Pour Mgr Christophe Dufour, évêque d’Aix-en-Provence et Arles, l’occasion a également été un pèlerinage dans la petite cité du centre du Portugal, en 2017. C’est là qu’il a réalisé que les apparitions mariales aux pastoureaux – dont deux canonisés par le pape François en mai – avaient eu lieu dans une Europe ravagée par la guerre, entre février et octobre 1917.
Dans le cas de la ville normande de Sées, c’est un appel personnel de son évêque, Mgr Jacques Habert, qui a été déterminant. Très marial dans sa vie quotidienne, il raconte avoir effectué deux pèlerinages à Fatima en 2017 : « J’ai alors beaucoup médité le message de la Vierge là-bas, notamment sur le fait qu’il fallait consacrer le monde et la Russie au Cœur immaculé de la Vierge Marie. » Première des deux grandes demandes de Marie, avec la communion réparatrice des cinq premiers samedis du mois.
L’évêque de Séez dresse un parallèle avec notre temps. Hier le communisme et la guerre à venir, aujourd’hui d’autres grands défis, comme la déchristianisation profonde, les enjeux de bioéthique, le terrorisme et l’islamisme. « Le message de Fatima est un message de confiance », précise néanmoins le pasteur. « À la fin mon Cœur immaculé triomphera », affirmait ainsi la Dame à Fatima. Mais cela suppose selon lui une « mobilisation spirituelle » des croyants.
À noter que le conseil épiscopal, les prêtres, puis l’ensemble du diocèse, ont fait confiance à l’intuition de leur évêque, qui vit de longue date de cette piété mariale. À Tulle à l’inverse, c’est Mgr Francis Bestion qui s’est laissé convaincre par ses fidèles, lors de la préparation du jubilé des 700 ans du diocèse. « Plusieurs personnes m’en ont parlé, précise l’évêque de Corrèze. Je n’y avais pas pensé, mais je l’ai pris comme une grâce qu’un pasteur se doit d’écouter. » Une manière aussi de clore le jubilé en beauté, « pour éviter que la crêpe ne retombe… », souligne-t-il en souriant.
Surtout, il a immédiatement senti une grande adhésion populaire à cette initiative. « La dévotion à la Vierge est très forte sur cette terre, appuie Mgr Bestion, il y a beaucoup de petits sanctuaires, mais pas de grands. » Cette consécration a donc semblé naturelle, car renouant avec les racines de la foi en Corrèze. Et surtout, pour l’évêque, le Cœur immaculé de Marie est la porte d’entrée dans le mystère de la croix, avec ce cœur marial transpercé du glaive. « Ce n’est pas doloriste, précise-t-il, mais c’est le cœur de la foi. »
Plus au sud, dans la chatoyante cité provençale d’Aix, le point de départ de la consécration, le 8 décembre 2017, a été la lettre apostolique du pape François intitulée La joie de l’évangile, en 2013. Mgr Dufour y a lu un appel très fort à la conversion, à une « transformation missionnaire de toutes nos institutions ». Même souci missionnaire chez Mgr Brac de la Perrière, dans son diocèse de Nevers. Avec la conscience très vive de la puissance d’intercession mariale, seule capable d’opérer une conversion majeure. En ces temps difficiles pour l’église, on doit « admettre que nous sommes impuissants à porter du fruit par nous-mêmes, explique-t-il. « Il nous faut avant tout chercher la volonté du Seigneur dans notre vie, en se laissant faire par l’Esprit ».
Il faut cependant constater que dans ces différents diocèses, tout n’a pas été simple. Si beaucoup se sont montrés favorables à cette démarche de consécration, certains, dont des prêtres, ont été « mal à l’aise » à l’égard de la piété mariale, reconnaît ainsi Mgr Brac de la Perrière. D’autres ont pensé « que c’était désuet, ou avec une connotation tradi », ajoute Mgr Bestion. Il a alors fallu faire de la pédagogie. « Il ne s’agit pas d’une manifestation de piété mariale, explique l’évêque de Nevers. Il s’agit d’une attitude de foi qui intègre Marie à sa juste place dans l’église, comme elle est désormais au Ciel, aux côtés de son Fils. »
Dans le diocèse de Séez, terre mariale avec une trentaine de sanctuaires dédiés, pas d’hostilité, mais des questions, rapporte aussi Mgr Habert. « Pour beaucoup de prêtres ou de fidèles, la récitation du chapelet n’est pas évidente », se voit-il interrogé. Il décide ainsi de donner une conférence, pour souligner qu’au-delà du chapelet, l’important est d’avoir un cœur marial. L’objectif consiste à faire réfléchir sur la façon dont Marie a dit ‘oui’ à sa mission, et dont elle prie aujourd’hui pour l’église. « Cela correspond en réalité à beaucoup d’attentes spirituelles, estime Mgr Habert, que les gens vivent déjà, sans forcément les relier à Marie. »
D’autres, comme Mgr Bestion, expliqueront via les médias diocésains et des catéchèses que « nous sommes tous des consacrés à notre baptême », selon la parole du Christ dans l’évangile, dans sa dernière prière avant la Passion : « Consacre-les dans ta vérité » (Jn 17, 17).
À Nevers, l’acte de consécration devait donc être prononcé officiellement par l’évêque, en chaire dans sa cathédrale, au cours de la messe du 8 décembre, après une procession dans les rues de la ville bourguignonne.
Huit mois plus tôt, à Sées, la cathédrale était pleine. Mille personnes réunies autour d’un événement qui a mobilisé très largement : presque tous les prêtres, diacres et fidèles motivés, au point qu’il a fallu, remarque l’évêque, une demi-heure pour entrer dans l’église ! Comme Mgr Marc Aillet à Bayonne, l’évêque normand avait tenu à ce que cette initiative soit dédiée spécifiquement aux vocations, avant la prière de consécration prononcée devant la statue du XIVe siècle.
« De cette consécration, j’attends bien sûr des miracles ! » livre encore l’évêque de Nevers à France Catholique : « Une foi renforcée, une ardeur missionnaire renouvelée, des vocations multipliées. Bref, que Marie prenne les choses en main, sans mettre au chômage les disciples et les pasteurs, mais pour les soutenir dans leur mission. » Qu’en est-il dans d’autres diocèses de France, là où l’on a déjà quelques mois ou années de recul ? « La fécondité n’est pas magique », rétorque d’emblée Mgr Dominique Rey à Toulon, car « elle dépend beaucoup des dispositions de chacun ». Mais les fruits sont réels, et même palpables. « Toutes les bénédictions que nous recevons, les vocations que le Seigneur envoie, les conversions qu’il suscite ». Et aussi, ajoute l’évêque, « la communion ecclésiale, dans un diocèse avec une très grande diversité de sensibilités ».
Dans sa lettre pastorale, Mgr Dufour écrit pour sa part : « Je vois déjà de belles conversions, des cœurs qui s’ouvrent, des transformations audacieuses, des initiatives fructueuses. (…) Mais je vois aussi les difficultés de la mission, la pauvreté et la fragilité de notre église diocésaine. » C’est donc pour lui « le moment » de se confier à Marie, Mère de l’église. La fécondité de cette consécration, il la décèle notamment dans tous ces fidèles qui ont prié et prient encore, sans faire de tapage. « D’humbles missionnaires de la prière », s’enthousiasme-t-il avec reconnaissance, « j’y crois beaucoup ».
Cette fragilité des diocèses en termes de vocations revient comme un leitmotiv dans la bouche des prélats. « Depuis que je suis arrivé j’ai enterré 63 prêtres, et j’en ai ordonné un », expose Mgr Habert, en charge de 60-70 prêtres en service, et trois séminaristes. « Je n’ai pas du tout envie d’avoir un discours catastrophiste, ajoute-t-il, mais je n’ai pas envie non plus de dire que tout va bien et qu’il faut continuer comme avant. » à travers cette consécration à Marie, c’est donc l’espoir d’un réveil spirituel, de voir refleurir des vocations.
« Parfois les gens font le reproche que la foi a été trop intellectualisée », renchérit Mgr Bestion. « Avec le regain des pèlerinages et du culte des saints, le peuple nous a ramenés à une foi plus simple. Je l’ai senti pendant l’année jubilaire : les gens ont été beaucoup touchés ». Voilà pourquoi le jubilé du diocèse de Tulle a été centré sur les saints. « Dans le fond il fallait que la couronne soit la Vierge », s’exclame l’évêque, après la consécration le 30 septembre dernier.
Dans sa lettre pastorale, il estimait que les idéologies nihilistes du XXe siècle avaient laissé un vide spirituel. Vide qu’il s’agit de combler, et auquel les nombreuses lettres de remerciement reçues à l’évêché constituent un début de réponse. Dans ce diocèse rural où la pratique religieuse est faible, les prêtres peu nombreux et âgés – il n’y a pas eu d’ordination de jeune prêtre depuis plus de vingt ans – la ferveur suscitée par la consécration au Cœur immaculé de Marie est un grand encouragement, comme en témoigne cette confidence reçue d’un fidèle : « Ne craignons pas pour l’avenir, il est entre les mains de la Vierge. »
Pour Mgr Dufour, au-delà de la situation particulière de chaque diocèse, le défi à relever concerne l’ensemble de l’église en France. Et il est de taille… « La chute est vertigineuse », constate l’évêque d’Aix et Arles. « Il y a moins de 10 % d’enfants catéchisés en France. Ce qui signifie que 90 % n’ont jamais entendu parler du Christ. » Sans compter le manque de vie intérieure et les prêtres absorbés par le fonctionnement de l’église. Son but est ainsi de « revivifier de l’intérieur » une foi qui défaille.
« Nous avons beaucoup aidé les missionnaires qui partaient au bout du monde, en Afrique et en Asie », note encore le prélat. Mais aujourd’hui, « une prise de conscience est à effectuer : nous sommes devenus une terre de mission ». Le problème, poursuit-il, c’est que nous sommes des « missionnaires rouillés », qui n’ont pas fait d’exercice en annonçant eux-mêmes la joie de l’évangile. Il ne s’agit donc pas uniquement de valeurs à transmettre, mais de « se laisser transformer le cœur par la rencontre du Christ, pour ensuite vivre la charité, le pardon, et être ferments de fraternité et témoins dans la société ».
Devant ce défi impossible à affronter à vues humaines, Mgr Dufour suggère d’adopter la même attitude confiante que Marie devant l’ange Gabriel : « Comment cela va-t-il se faire ? » Et d’entendre, comme elle, la réponse de l’ange : « L’Esprit-Saint viendra sur toi. » Réponse toujours actuelle, souligne le pasteur : Marie « nous met le Christ-Sauveur devant les yeux, comme une boussole. Sans quoi nous irions à la catastrophe ». Pour Mgr Dufour, toute l’idée de la consécration est là : placer l’église dans le cœur de Marie, pour que l’Esprit Saint descende sur elle, comme Il l’a fait à la Pentecôte dans le cœur des apôtres emmurés par peur des Juifs.
C’est un processus lent, qui rencontrera beaucoup d’obstacles, reconnaît le prélat. « Mais nous devons supplier l’Esprit Saint, et offrir nos épreuves. » Car si les paroisses, qui sont le socle de l’église, ne se transforment pas, « l’église mourra », prévient-il enfin. Au bout de la chaîne en effet, conclut-il, il y a les familles, chez qui il s’agit de remettre la vie chrétienne au cœur.