Hier, je notais la complémentarité nécessaire entre le savant et le politique, le savant disposant de données précieuses dans le domaine de la pandémie actuelle, et le politique ayant le pouvoir de décision à partir de l’information qui lui est fournie. Mais avec Régis Debray, j’associais ces deux personnages à un troisième, le philosophe, celui qui garde la distance nécessaire pour comprendre à quel point et en quel sens une société peut être modifiée par l’événement surprenant qui est venu, en quelque sorte, la prendre à la gorge. Nous avons absolument besoin de ce troisième personnage, parce que nous sommes des êtres de culture qui avons à interpréter des phénomènes de civilisation. La physionomie morale et physique d’un peuple est forcément affectée par les événements qui modifient ses modes de vie et de pensée. Les générations qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale ne sont pas tout à fait les mêmes que celle qui a vécu la reconstruction, a fortiori celle qui est entrée dans l’ère de la consommation avec les années soixante.
Qu’en est-il donc pour nous de cette expérience jamais connue à cette échelle d’une pandémie qui a brusquement stoppé l’activité économique, conduit au confinement et bousculé tous les repères habituels, notamment en économie. Les avis diffèrent, d’évidence, d’une personnalité à l’autre. Suivant les divers tropismes intellectuels. Mais j’ai envie, pour aujourd’hui, de me limiter au diagnostic de Michel Houellebecq, dont l’expertise sociologique en tant que romancier est toujours intéressante à suivre. Houellebecq n’est pas un philosophe au sens rigoureux du terme, mais le regard qu’il projette sur les choses est toujours aigu et ce qu’il a de plus provoquant n’est pas pour me déplaire.
Il est très souvent pessimiste, mais le pessimisme est parfois plus salubre qu’un optimisme idéologique, trompeur par essence. Relevons simplement un mot du romancier pour en apprécier la saveur : « Jamais la mort n’aura aussi été discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpitaux ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt… sans aucune personne, en secret… » Cela s’inscrit dans une tendance lourde, bien comprise par l’historien Philippe Ariès. Cela veut-il dire que nous n’allons pas vers le nouveau monde espéré, mais « le même en pire » ? J’espère bien que non, mais justement il s’agit d’espérer !