Le Prométhée moderne - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Le Prométhée moderne

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Dans l’été 1816, cinq jeunes gens étaient ensemble en vacances sur les bords du lac Léman en Suisse. Dans un cottage il y avait le poète Percy Bysshe Shelley, sa femme Mary Shelley, et la soeur adoptive de Mary, Claire Clarmont. A côté, une demeure de plus grandes dimensions, la villa Diodati, abritait George Gordon, plus connu sous le nom de Lord Byron, et son médecin personnel et ami, William Polidori. C’était un été anormalement pluvieux, qui ruinait tous les projets de promenades des amis. Par une nuit pluvieuse, cependant, comme les cinq étaient réunis dans la Villa Diodati à lire des histoires de fantômes en traduction française, Byron eut brusquement une idée : « Nous allons chacun écrire une histoire de fantômes. »

Cela permit passer le temps de façon intéressante bien que deux seulement de ces histoires de fantômes eussent réellement abouti. L’une d’elle, The Vampyre de Polidori, fut publiée en 1816. L’autre eut pour auteur Mary Shelley, un conte gothique intitulé Frankenstein, qui devait devenir, après sa publication en 1818, l’un des romans les plus connus de tous les temps et l’un des mythes fondateurs du monde moderne.

Un mythe est une histoire qui exprime les espérances et les angoisses les plus profondes d’un peuple. A cause de sa profondeur, un récit mythique va être repris encore et toujours, variante après variante, tout en gardant toujours intacte sa signification essentielle. Le Frankenstein que Mary Shelley commença alors qu’elle n’avait que 18 ans, met en oeuvre l’une des peurs les plus noires de l’homme moderne : la peur de son propre pouvoir à manipuler la nature selon son désir.

Mary Shelley bien sûr n’avait pas inventé le mythe de Prométhée, le Titan qui défia les dieux. Mais elle avait imaginé une variante tout à fait moderne de ce mythe, en thématisant les prodigieuses capacités de la technologie moderne combinées avec l’ambition terrifiante de créer la vie humaine à partir de rien..

Mary Shelley sous-titra son roman, Le Prométhée moderne. Mais comme le fait remarquer Maurice Hindle dans son introduction à l’édition des Penguin Classics, dans Frankenstein, Mary Shelley fond en réalité deux versions du mythe de Prométhée. D’un côté, c’est l’ancienne version grecque de l’histoire où le Prométhée rebelle et ingénieux vole le feu de l’Olympe pour secourir l’humanité. De l’autre, c’est la version postérieure trouvée dans les Métamorphoses du poète romain Ovide. Dans cette version, Prométhée s’intéresse moins à sauver les êtres humains qu’à les créer.

Selon Hindle, Lord Byron aussi bien que Percy Bysshe Shelley étaient beaucoup plus séduits par la version grecque d’un Prométhée qui défie les dieux et sauve l’humanité. Chacun écrivit une oeuvre mettant l’accent sur cet aspect du mythe. « Mais Shelley », écrit Hindle » donna de l’histoire une version monumentale, développant jusqu’à ses limites la notion romantique où lui-même et ses héros se présentaient en défenseurs souffrants de l’humanité. Dans Prometheus Bound [« Prométhée enchaîné »] et dans d’autres poèmes [Shelley] allait élaborer ce thème essentiellement religieux de l’élection au statut de sauveur dans son interprétation socialisante. »

Mais tandis que son mari se dessinait lui-même en Prométhée sauveur, Mary Shelley était plus intéressée par la version romaine du mythe, celle d’un Prométhée créateur, avec les risques qui découlaient de cette ambition.

En fait, comme Hindle et d’autres l’ont montré, Frankenstein peut être lu comme une critique de l’idéalisme romantique et très progressiste de Percy Bysshe Shelley. Victor Frankenstein amène à la vie sa Créature parce que il se voit lui-même, comme Shelley, comme une sorte de divinité mineure conduite par un sens du destin.

Le mythe de Frankenstein continue à résonner en nous parce que nous sommes quotidiennement menacés par les démentis que nous infligent nos propres tentatives de dominer la nature. Hindle écrit : « N’est-ce pas l’expérience moderne de se sentir manipulé par des forces plus grandes que nous (qui néanmoins sont d’origine humaine) – la Grande Science, la technologie, les « mécanismes » de l’Etat, la globalisation, les mass media etc. – qui rattache la condition malheureuse du profane à celle de la Créature de Frankenstein, lui qui a été assemblé à partir de parties mortes du corps humain et ensuite injectées avec « une étincelle d’être » sans pouvoir rien dire sur la forme ou l’usage de son propre génie ».

Parmi les films qui ont le plus de succès cet été, The Avengers : Age of Ultron et Jurassic World retravaillent de toute évidence le mythe de Frankenstein. mais les échos les plus évidents de ce mythe actuellement ne sont pas dans le monde du cinéma ou de la fiction mais dans les chambres de mort, tout à fait réelles, du Planned Parenthood [version américaine du Planning familial. NDT].

C’est une effrayant expérience de lire Frankenstein à la lumière des révélations récentes concernant le Planned Parenthood et ses récoltes d’organes humains des bébés écrasés, en vue de les vendre à des « chercheurs ». Ce qui est particulièrement affreux dans les moyens avec lesquels le Planned Parenthood a poursuivi l’ambition de Victor Frankenstein jusqu’à l’inverser de la façon la plus horrible.

En effet si Frankenstein voulait infuser « des parties mortes de l’homme » avec une « étincelle d’être », le moderne Prométhée du Planned Parenthood prend une jeune vie avec une étincelle d’être divin, le tue, et ensuite prend les parties, « mortes » puisqu’elles sont séparées de leur unité organique, et les vend pour que la recherche ultérieure puisse accroître notre capacité à faire des ravages dans la nature.

Dans Frankenstein, la Créature finalement trouve la voix pour repousser son créateur. Ce refus est bien résumé par les vers du Paradis Perdu de Milton, poème que la Créature connaît bien, que Mary Shelley a choisis pour épigraphe de son roman :

T’ai-je demandé, Créateur, de me façonner

homme à partir de mon argile ? T’ai-je sollicité

pour me faire sortir des ténèbres ?

L’enfant qui, ainsi traité par le Planned Parenthood ne peut avoir, au sens littéral, la voix qui repousserait ses destructeurs. mais à travers sa destruction et la vente de ses restes humains cet enfant peut crier à tous ceux qui veulent entendre. Son cri corrige Milton. Il exige de savoir « pourquoi quelqu’un s’arrogerait le droit de séparer mon argile. T’ai-je demandé du fond des ténèbres du giron de ma mère de me détruire ? »

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Daniel McInerny est philosophe et auteur de fiction pour enfants et adultes. Vous pouvez en savoir davantage sur lui et son œuvre en consultant danielmcinerny.com

http://www.thecatholicthing.org/2015/07/31/the-modern-prometheus/