Un certain nombre de mes amis sont davantage perturbés que je ne le suis par ce qu’ils appellent le « problème François ». Ce qui ne signifie pas que je ne suis pas moi-même troublé par certaines déclarations et actions du pape. La papauté n’est pas l’Eglise et l’Eglise ne se ramène pas à la papauté. Or, la tendance qu’on observe à présent chez les catholiques conservateurs consiste à identifier ces deux éléments, tout au moins implicitement. C’est une retombée du phénomène faisant du pape une superstar, presque l’équivalent de l’oracle de Delphes.
Le cardinal Manning aurait dit, selon certaines sources, qu’il aimerait lire une déclaration marquée au coin de l’infaillibilité pontificale chaque matin au petit déjeuner. Certains des membres de l’Opus Dei, que j’ai fréquentés à Rome lors de mes études, semblaient considérer chaque parole sortie de la bouche de Jean-Paul II comme une proclamation solennelle de la vérité. Pendant sa papauté, certains évêques très conservateurs qui admiraient beaucoup Jean-Paul II, comme c’est mon cas, alignaient dans leurs sermons une série d’extraits des dernières déclarations papales, au lieu de citer les Pères et Docteurs de l’Eglise – une autre retombée négative, à mes yeux, de l’attitude d’un pape qui avait toujours l’air d’être « sur scène ». Le pape François semble suivre ce modèle.
Mon amour pour le cardinal John Newman m’empêche d’adhérer à cette « papolâtrie » naissante. Newman n’a pas embrassé le catholicisme par admiration pour la papauté, à laquelle il s’est heurté jusqu’à sa conversion. Il s’est converti en étudiant les Pères de l’Eglise et les Ecritures saintes qui comptaient plus pour lui, tout comme le pape Benoît XVI qui s’est davantage appuyé sur les Pères et Docteurs de l’Eglise que même les grands papes des derniers 150 ans.
Dans mon cas aussi, ma foi ne dépend pas de la prudence ou de la sagesse du pape en exercice, quel qu’il soit. Je compte sur le Saint Père pour défendre l’orthodoxie et, partant, l’unité de l’Eglise, ce qui est sa fonction la plus importante. C’est pourquoi le charisme de l’infaillibilité ne s’applique qu’à ses déclarations solennelles concernant la doctrine. Bien sûr, le pape reçoit du Saint Esprit une inspiration spéciale même quand son discours ne relève pas de l’infaillibilité, mais à condition que celui-ci s’inscrive dans le cadre de la Tradition de l’Eglise, laquelle se rencontre surtout chez ses Pères et ses Docteurs.
Cependant, il y a une autre raison qui explique pourquoi je ne suis pas trop troublé par le « problème François ». C’est que le « problème » ne se ramène pas (et ne s’est jamais ramené) à un seul homme, même si cet homme est le pape. Le problème concerne la relation appropriée entre la loi et la grâce, entre les lois de l’Eglise, qui doivent être compatibles avec la loi naturelle et la nature de l’Eglise et ses sacrements, et la pratique de la charité pastorale.
La crise qui a surgi semble découler d’un abandon de cette relation appropriée, la loi de l’Eglise étant désormais souvent perçue comme contraire à la loi de la charité, presque de par sa nature. Parce que la charité règne en souveraine, la résolution de ce conflit consiste à subordonner le règne de la loi à celui de la charité, comme si ces deux principes s’opposaient.
La « solution pastorale » subordonne la loi qui veille au bien de l’ensemble des fidèles – et se préoccupe donc du scandale – à une action pastorale soucieuse du sort de chaque individu et ne tenant pas compte du problème du scandale.
Ce processus a commencé par les « solutions pastorales » aux problèmes qui se posaient à la fin des années 60 et au début des années 70, comme la pratique généralisée de la contraception par les catholiques et le remariage des catholiques divorcés. Ces problèmes se posent encore de nos jours et les solutions proposées pour les résoudre sont malheureusement les mêmes.
La « nouvelle » proposition qui autoriserait les catholiques divorcés et remariés à recevoir la Sainte Communion en suivant leur propre conscience ne fait qu’étendre la « solution pastorale » appliquée à la contraception. La hiérarchie, en général, « résolvait » le problème soit par le silence, en laissant les normes sociales remplacer l’autorité morale de l’Eglise, soit en recommandant aux catholiques de suivre leur conscience.
En ce qui concerne le divorce et le remariage, la solution adoptée dans les années 1960 a été de revoir les procédures d’annulation pour qu’il soit plus facile pour les catholiques divorcés et remariés (remarquez qu’ils devaient divorcer avant de demander une annulation) de valider leur seconde union afin de continuer à recevoir les sacrements.
Les procédures d’annulation ont été libéralisées et les causes d’annulation élargies au point d’inclure des facteurs psychologiques. Aujourd’hui, la cause d’annulation la plus courante semble être le « manque du discernement nécessaire » concernant les « éléments essentiels du mariage », définition d’une souplesse largement exploitable par n’importe quel tribunal.
J’ai rédigé un article au sujet des dangers de cette méthode au milieu des années 70. Elle semblait alors susceptible d’ébranler la permanence du mariage. Mais il n’y avait pas alors de preuves à l’appui. Nous en avons maintenant.
L’explosion des annulations a concerné aussi bien les progressistes que les conservateurs. Comme de plus en plus de gens bénéficiaient d’annulations, j’étais sûr que cela deviendrait un mode de vie et que les jeunes couples se marieraient sans attendre, en pensant à part eux que, si le mariage ne marchait pas, ils pourraient toujours obtenir une annulation – et c’est ce qui est arrivé. De même, d’autres catholiques finiraient par considérer toute la procédure d’annulation comme une farce et iraient se remarier en dehors de l’Eglise – ce qui est également arrivé. C’est pourquoi de nouvelles propositions sont formulées.
Nous avons donc aujourd’hui un évêque américain qui déclare :
Ne pourrions-nous pas éliminer l’obligation de ces entretiens personnels détaillés, ces frais élevés, les dépositions de témoins, les examens psychologiques et les appels automatiques à d’autres tribunaux ?
Au lieu de cette procédure officielle quasi-judiciaire, que certains participants ont jugée intimidante, ne pourrions-nous pas nous baser davantage sur le jugement que portent en leur âme et conscience les conjoints sur l’histoire de leur mariage (après tout, ce sont eux qui se donnent et reçoivent le sacrement !) et leur aptitude à recevoir la Sainte Communion ?
Le juge suprême du tribunal de l’archidiocèse de New York avait fait la même proposition il y a quarante ans.
Le problème qui se pose à l’Eglise est beaucoup plus vaste que les conclusions que pourra –ou ne pourra pas – formuler le Synode. « Patience, obéissance, prière », voilà les vrais mots d’ordre.
Samedi 5 octobre 2014 : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-so-called-qfrancis-problemq.html
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Le père Mark A. Pilon, un prêtre du diocèse d’Arlington (Virginie), a reçu un doctorat en théologie sacrée de l’Université Santa Croce à Rome. C’est un ancien titulaire de la chaire de théologie systématique du séminaire Mount Saint Mary ; un ancien collaborateur du magazine Triumph, et un professeur retraité de la Notre Dame Graduate School du College Christendom. Il écrit régulièrement sur le site littlemortracts.wordpress.com
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