Historiquement, parmi les catholiques, le problème du mariage venait du fait que l’épouse, par crainte d’une grossesse, montrait « la frigidité de Chloé », tandis que l’homme, pour des raisons bonnes ou mauvaises, désirait fortement sa femme : sentiments contraires qui amenaient à la rancune, la frustration, et la récrimination.
La grossesse était en effet quelque chose que l’on pouvait redouter. Les registres paroissiaux en Angleterre montrent par exemple qu’aux environs de 1850, la mère mourait en accouchant une fois sur vingt. Si le mari risquait sa vie à la guerre ou du fait d’un métier dangereux pour le bien de sa famille, il y avait parité. Mais autrement, on pourrait au moins émettre un doute sur la qualité de l’amour qui demande à l’autre la possibilité de sacrifier sa vie, sans la risquer lui-même.
La parole, « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église ; Il a donné sa vie pour elle » lance aussi un sérieux défi. (Eph. V : 25) Comment devaient-ils faire cela précisément ?
Il y a beaucoup de raisons pour Chloé d’être frigide, ou tout au moins froide, même maintenant que le risque de mortalité des mères est tombé à 1/50° de ce qu’il était autrefois. Des raisons telles que la fatigue et l’anxiété, un épuisement persistant, le besoin de récupérer ou de faire une pause, une biologie différente, et des impératifs différents – et peut-être même une vision du sexe plus dosée.
Après tout la femme verra plus clairement quelle relation avoir avec les enfants. Et il y a beaucoup d’autres raisons culturelles pour que le mari se sente frustré et contrarié, c’est évident. Que ce soit dans le mariage naturel ou sacramentel, le problème demeure.
Il est probable que la « théologie du corps » – dans ses formes populaires – aggrave le problème en créant des attentes irréalistes. Le mariage n’est pas un renouvellement répété de l’extase de la vie intime de la Trinité. La planification naturelle de la famille ne résout rien, mais attire davantage l’attention sur le problème parce qu’elle exclue les relations au moment précis où la femme a le plus de chances d’en avoir envie – et cela peut paraître plus ou moins pervers et presque « antinaturel ».
Pour le présenter le mieux possible, on pourrait décrire le problème du mariage comme la tension entre le romantisme et le mariage. Le romantisme en dehors du mariage, d’une certaine manière, aboutit au sexe. Prendre une maîtresse était une solution attristante mais si courante qu’elle était presque caractéristique de cultures entières (par exemple en France).
Dans des sociétés moins hypocrites, mais plus mensongères, quoique « de bonne foi », telles que la nôtre, le mari pourra préférer une série de liaisons. Ou bien, c’est la pornographie qui semblera le moyen de s’en sortir – la promiscuité sexuelle et la pornographie étant bien souvent la voie facile, le mari retournant simplement à de vieilles habitudes de collège.
En des temps plus simples, aux environs de 1950, après leur mariage, les catholiques se considéraient comme liés pour la vie, non pour une raison particulière, mais parce que l’Église catholique dans sa sagesse, à la différence de toutes les autres « confessions » chrétiennes, insistait sur ce point. Bien sûr, ces catholiques éprouvaient toutes les tensions de ce que j’appelle le problème du mariage. Mais ils étaient coincés dans ce problème. Inutile de se plaindre, il fallait s’en sortir d’une manière ou d’une autre.
Maintenant, proposez-leur la Pilule. À la différence des autres méthodes, elle agit de façon invisible. On n’a pas l’impression de faire quoi que ce soit pour bloquer la conception quand on l’utilise. Elle ne nécessite aucun choix sur le moment. Elle nous vient avec la calme assurance de la Science, Par les personnes mêmes qui nous ont donné le vaccin contre la polio.
Alors, voyons cette chose à propos de la rancune : on peut très facilement faire un transfert. Qu’est ce qui pourrait être plus arbitraire, déraisonnable et cruel que le fait qu’une église – cette « experte en humanité » – qui interdit le divorce, et nous enferme dans cette relation, maintenant, pour des raisons incompréhensibles, nous dit que nous ne pouvons pas utiliser cette solution pourtant recommandée scientifiquement, et évidemment « adaptée » à notre problème. (Comprenez que chaque couple, face au problème du mariage, pense qu’il est le seul.)
Que dira exactement un prêtre à un couple qui semaine après semaine se plaint à lui et se fâche ainsi ? Après tout, ils sont mariés et lui n’a aucune expérience. Qu’a fait la « Commission pour le contrôle des naissances » nommée par Saint Paul VI quand des couples des États-Unis ont fait pression en rassemblant une histoire après l’autre de couples dont le mariage, disaient-ils, se détériorait à cause des frustrations inévitables qu’éprouvaient les conjoints en suivant les enseignements de l’Église.
La plupart ont cédé, bien sûr. Quand on fait face à la colère, si l’on est gentil, on cède. Mais le saint Pape n’a pas cédé, ni celui qui faisait partie de la minorité à la commission.
Bien sûr, tout se dénoue quand on a accepté le contrôle artificiel des naissances. Le sens du mariage n’est plus le même. On ne fait plus la cour. L’avortement déjà implicite dans la contraception, et explicite dans certaines méthodes, suit immédiatement. Les gens qui vivent une relation homosexuelle regardent et demandent pourquoi ce qui est bon pour les autres ne l’est pas pour eux, et on les comprend.
Si l’on considère les conséquences, on peut penser maintenant que les couples qui faisaient pression avec colère sur le Vatican, voulaient que la société toute entière soit renversée pour résoudre leur problème – et qu’un bien particulier prenne le pas sur le bien commun.
Et dans cette crise et cette tension, l’archevêque de Cracovie a basé ses conférences sur Amour et responsabilité. Son but, disait-il, était de montrer comment l’amour eros trouve sa place dans l’amour caritas – pour résoudre le problème du mariage, la tension entre le romantisme et le mariage. Si la famille est la cellule de base de la société, et le mariage le fondement de la famille, alors ce n’est pas exagéré de dire que cet enseignement est la principale contribution de son pontificat envers l’Église – et l’humanité.
Comme tous les autres vrais problèmes, le problème du mariage n’a pas de solution naturelle. Nous pouvons l’éviter – nous pouvons « détruire le mystère » comme d’autres époques ont essayé d’éviter l’Incarnation ou la Trinité en n’affirmant que la moitié de la vérité. Voilà le spectacle que nous voyons aujourd’hui, dans le Synode sur la Synodalité, spectacle juste aussi scandaleux que les autres actes de dénégation dans l’histoire de l’Eglise.
Ou bien, nous pouvons accepter le fait que le mariage n’offre pas de joie véritable sauf ce qui nous vient par la Croix, et redécouvrir et embrasser cette croix chaque jour.
Pour aller plus loin :
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- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Édouard de Castelnau