Il y a une ancienne image de Jésus, rien que son visage. Ses traits sont pâles, tirés, obsédants, avec des yeux sombres et pénétrants qui brûlent l’âme. Bien qu’autrefois très populaire dans les foyers catholiques, on ne la trouve plus que rarement de nos jours. Cette peinture, c’est le « Jesus Christus » de Gab Max, achevé en 1874. Il est honteux que la culture chrétienne contemporaine ait développé de la répulsion pour ce type de peinture, ce qui dénote ce que je soutiens être une tendance chez les chrétiens actuels à vouloir un Jésus uniquement joyeux et heureux, plutôt que l’homme qui est mort sur une croix d’une mort terriblement atroce.
J’ai une profonde familiarité avec cette interprétation particulière de Notre Seigneur. Cette image était accrochée chez mes grands-parents catholiques au pied de l’escalier, entre la cuisine et la chambre d’amis, dans leur maison sise dans les montagnes de l’ouest de la Virginie. Je l’ai découverte pour la première fois alors que j’étais écolier. Comme jeune garçon (dont les parents avaient troqué le catholicisme de leur enfance pour un évangélisme dynamique mais moins sévère) cette peinture me terrifiait. J’en étais venu à envisager un Jésus aimant et tendre, pas un dont les yeux creusés semblaient me suivre à travers l’obscurité de la maison quand je me rendais dans ma chambre. Je courais presque pour passer devant, effrayé de rencontrer une telle image du Christ et peut-être bien un peu anxieux qu’Il ne vienne me chercher !
A l’heure actuelle, assez ironiquement, il trône dans mon garage, étant l’un des nombreux objets m’ayant été transmis par mes grands-parents, et longtemps oublié, ayant séjourné en Asie les trois dernières années. Quand ma femme l’a vu, elle a été, tout comme moi enfant, un peu perturbée. Elle m’a poussé à m’en débarrasser. Pourtant je pense que le message véhiculé par cette image est de ceux que tout chrétien a besoin d’entendre et d’assimiler dans un recoin de sa vie de piété.
La culture chrétienne – même parfois catholique – s’est centrée intensément sur le Sauveur comme étant le Jésus aimant, joyeux, accueillant, qui laisse venir à Lui les petits enfants, guérit les malades et aime les pécheurs. Ce sont tous des aspects vrais et importants du Christ et de son ministère. Mais c’est incomplet, et si nous limitons notre attention à ces archétypes, notre foi en sera d’autant affaiblie.
Nous devons nous rappeler, même hors Carême, le rôle de Jésus comme le serviteur souffrant d’Isaïe 53 :
Il était méprisé et rejeté par les hommes ;
homme de douleurs, familier de la souffrance ;
tel celui devant qui on cache son visage
il était méprisé, nous n’avions pour lui nulle estime.
Et pourtant, ce sont nos souffrances qu’il a porté,
nos douleurs qu’il a supportées ;
cependant, nous l’estimions éprouvé,
frappé par Dieu et humilié.
Mais c’est en raison de nos transgressions qu’il était blessé,
en raison de nos iniquités qu’il était contusionné…
Comme dans la « Passion du Christ » de Mel Gibson, dépeinte si crûment, avant la Résurrection qui nous apporte une vie nouvelle, la chair de Jésus a été transpercée de clous qui l’ont fixé sur une croix où il a saigné durant des heures, raillé et méprisé par ceux qu’Il était venu sauver. Les paroles qu’Il prononce sur le Golgotha ne dénotent pas un homme plein de joie allègre, momentanément souffrant avant d’entrer dans la joie céleste. Ce sont plutôt celles de quelqu’un expérimentant les tréfonds de la douleur : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce sont les yeux d’un homme prononçant ces paroles qui irradient du portrait fait par Gab Max.
De nos jours, nous prisons fort ceux qui ont le cœur léger, toujours prêts à chasser un moment inconfortable par un calembour. Nous évitons la difficulté comme la peste, tout particulièrement le chagrin exprimé en public. Nous appelons « rabat-joie » les gens trop sérieux. Bien plus, tous les groupes chrétiens – à l’exception des baptistes toqués de Westboro – veulent être vus comme ouverts, tolérants et accueillants. Les Eglises se cataloguent sans arrêt comme ne jugeant pas et ouvertes à tous visiteurs. Apportez votre café à l’église, venez en short et tongs si ça vous plaît ! On s’étonne de cette insistance réitérée sur le non-jugement alors que personne ne juge plus personne. Même quelques sommités catholiques succombent à cette tendance, faisant marche arrière pour éviter d’offenser qui que ce soit, même s’il s’agit de pécheurs publics endurcis.
C’est pour cela que nous avons besoin du Jésus de Gab Max. Nous avons besoin d’images de Notre Seigneur qui ne soient pas mièvres et ouatées, du genre de celles euphorisantes de peintres tels Thomas Kinkade. Nous avons besoin de représentations dérangeantes du Christ, qui hantent nos mémoires, parce que le prix qu’Il a payé sur la croix pour nos péchés est une réalité dérangeante qui devrait nous hanter. Chaque fois que nous péchons, chaque fois que nous retournons au confessionnal, nous avons besoin de nous rappeler que Jésus, tout autant qu’Il nous aime, tout autant qu’Il aspire à notre affection et à notre communion avec Lui, a également souffert chèrement pour obtenir cette communion. Sinon on relativise le péché. De telles vérités peuvent être une aide dans les moments de tentation.
Bien des jours, je veux le Jésus aimant et accueillant qui m’accepte en dépit de toutes mes fautes. Parfois, quand nos consciences sont martelées comme un vieux sac de frappe, c’est ce dont notre âme a le plus besoin. Mais d’autres fois, peut-être plus souvent qu’on ne croit à l’heure actuelle où notre culture se prosterne devant l’autel de la joie, de la tolérance et du non-jugement, nous avons besoin d’un Jésus dont les blessures, le visage, bouleversent nos âmes au plus profond. De telles images sont saisissantes. Terriblement dérangeantes.
Mais on peut en dire autant de la vie chrétienne : « qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut être mon disciple. » (Luc 14:27)
Casey Chalk est éditeur du site web « Called to Communion » (Appelés à la communion). Il est diplômé de l’école de théologie Notre-Dame, à Christendom College.
Illustration : « Jesus Christus » de Gab Max
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/09/30/the-full-picture-of-christ/