À l’égard du pape François, il semble qu’il y ait deux tendances, voire deux camps : les admirateurs inconditionnels et les adversaires féroces. Il suffit de consulter les réseaux sociaux pour être édifié, parfois même atterré. Pour le moins, le pape venu d’Argentine ne laisse pas indifférent. Mais qui est-il vraiment ? Quels sont les objectifs de son pontificat ?
Plusieurs biographies ont déjà permis de se faire une idée de son parcours, mais il nous manquait un essai qui tente de faire le point sur ses dix ans de présence au Vatican. Cet essai, il n’est pas excessif de dire que Jean-Marie Guénois, chargé au Figaro des questions religieuses, vient de nous le donner. Ses quelque quatre décennies de pratique des couloirs du palais apostolique et des dicastères lui confèrent une connaissance approfondie du fonctionnement de la tête de l’Église catholique. La façon minutieuse dont il suit, jour après jour, les déclarations et les actions du pape François l’ont mis dans une sorte de tension empathique, qui lui permet de nous fournir un diagnostic précieux.
Guénois est parfois qualifié de manière lapidaire d’« adversaire » du pape, parce que ses jugements critiques jurent souvent par rapport aux laudateurs sans condition. Mais en fait son jugement global est plus que mesuré et d’autant plus intéressant qu’il met en abîme des qualités évidentes et d’énormes questions en suspens : « François restera l’un des grands papes de l’histoire dans sa volonté de réforme de l’Église et un authentique religieux attachant, passionné de Dieu mais également rusé, éminemment politique » (« Sono un po furbo ! », a-t-il dit lui-même dans son premier entretien, en tant que Pape, à une revue jésuite).
Ce simple propos liminaire formule en quelques mots le fond d’une personnalité, un homme de prière et de contemplation, mais aussi un homme d’action prêt à soulever des montagnes, parce que doué d’un tempérament autoritaire et aussi manœuvrier. Ce qui le distingue de son prédécesseur Benoît XVI, profond théologien et lui aussi mystique, mais relativement timide par rapport à l’appareil de l’autorité. Si les cardinaux ont fait le choix de Bergoglio, c’est qu’il leur semblait que l’archevêque de Buenos Aires aurait l’énergie du réformateur dont l’Église avait besoin. Avaient-ils prévu qu’il irait jusqu’au point d’humilier une Curie romaine qu’il n’avait jamais portée dans son cœur et envisagerait ce que Jean-Marie Guénois n’hésite pas à appeler une révolution ?
Secouer l’appareil
De ce point de vue, le discours mémorable prononcé le 22 décembre 2014 restera dans les annales. Quinze maladies, pas moins, propres au monde cardinalice étaient dénoncées avec une verdeur que les intéressés ne lui ont jamais pardonnée. Sans doute pouvait-il y avoir une certaine injustice dans ce réquisitoire systématique, mais il n’était pas dépourvu de raisons. Et surtout, il était symptomatique, de la part d’un fils d’Ignace de Loyola, d’une volonté implacable de secouer l’appareil ecclésiastique pour le conduire à un changement profond, et bien au-delà des frontières du Vatican.
Il faut lire tout le livre de Jean-Marie Guénois pour comprendre l’essence du projet révolutionnaire de François, qui va jusqu’à « une conversion de la papauté », cette dernière n’échappant pas à l’obsession d’une Église devenue entièrement « synodale » : « La synodalité est le contraire d’un pouvoir centralisé, elle est un gouvernement collectif. Elle rêve de transformer la culture hiérarchique de l’Église en une culture égalitaire. » Il y a un certain paradoxe entre une telle volonté et la façon très autoritaire dont le pape gouverne en fait l’Église. Mais il est persuadé qu’il y va de toute son énergie pour provoquer les mutations qu’il désire.
Par ailleurs, comment échapper aux travers d’un fonctionnement politique, avec les luttes partisanes qu’il induit ? L’actuel synode permettra-t-il de sortir d’une telle contradiction avec les précautions prises ? Mais il n’y a pas que le problème institutionnel à envisager. François voudrait aussi modifier le langage de l’Église, afin de le rendre moins pesant. De là son insistance sur la fraternité et aussi son combat contre une certaine rigidité pastorale.
Reste que le questionnement de certains prélats et autres catholiques est réel, en particulier sur les questions abordées (mais non tranchées) au synode et sur la liturgie, qui est loin d’avoir été pacifiée par le souverain Pontife.
Comme catholique, Jean-Marie Guénois est aussi familier des réalités de terrain et on doit lui savoir gré de soulever des objections redoutables. Le changement de certaines méthodes n’a pas ralenti la déchristianisation. Il l’a accélérée, comme le montre l’échec absolu de la catéchèse moderne, dont le résultat le plus net est de « conduire les enfants hors de l’Église ».
Pape François. La Révolution, Jean-Marie Guénois, Gallimard, 288 p., 21 €.