« Le temps a laissé son manteau /
De vent de froidure et de pluie. »
Le célébrissime rondeau de Charles d’Orléans s’accorde parfaitement à ce printemps aussi lumineux dans le ciel qu’il est obscur sur la terre.
Le poète qui chante ainsi le renouveau de la nature est un prince, cousin de roi, neveu de roi et qui sera père de roi – son fils Louis régnera sous le nom de Louis XII, dit « le père du peuple ». Mais cette « fortune » apparente cache une profonde « malefortune », comme il dit, car il est prisonnier. Ne pleurons pas sur notre confinement ! Quelle qu’en soit la durée vécue ou prévisible, elle n’égalera pas les vingt-cinq années que Charles d’Orléans passera en Angleterre.
Vingt-cinq ans de confinement
Fait prisonnier à la bataille d’Azincourt, en 1415, il ne retrouvera sa maison, son duché et les siens qu’en 1450, quand son cousin Charles VII aura reconquis son royaume. Jeanne avait reçu du Ciel la mission de le libérer. Elle en parle à ses juges et précise même qu’à sa connaissance, son roi Charles et son cousin le duc d’Orléans sont mieux traités « temporellement » qu’elle.
Le 22 février 1431, dans la salle de parement du château de Rouen en présence de quarante-sept juges, Jean Beaupère, qui est venu de l’Université de Paris pour l’interroger sur ses Voix, lui pose la question : « Que savez-vous du duc d’Orléans ? »
Jeanne : « Je sais que Dieu chérit le duc d’Orléans. Et j’ai sur lui plus de révélations que sur homme vivant, excepté sur mon Roi. » Elle y reviendra le 12 mars 1431, dans un interrogatoire non public, effectué en prison. Le juge : « Comment auriez-vous libéré le duc d’Orléans ? »
Jeanne : « J’aurais pris assez d’Anglais de deçà de la mer pour le ravoir, et si je n’eusse pas fait assez de prisonniers en deçà, j’eusse passé la mer pour le quérir par puissance en Angleterre. » Le juge : « Sainte Marguerite et sainte Catherine vous ont-elles dit sans conditions et absolument que vous prendriez gens suffisamment pour avoir le duc d’Orléans qui est en Angleterre ? »
Jeanne : « Oui, et je le dis à mon Roi, et qu’il me laissa faire au sujet des seigneurs anglais qui étaient alors prisonniers. Si j’eusse duré trois ans sans empêchement, j’eusse délivré le duc. » Le juge : « Les saintes vous avaient-elles dit de passer la mer pour aller le quérir et l’amener en trois ans ? » Jeanne : « Il y avait terme plus bref que trois ans, et plus long que d’un an. Mais je n’en ai pas pour l’instant mémoire. »
Voici donc le seul poète de toute notre histoire littéraire dont nous savons, par une sainte elle aussi en prison, que d’autres saintes pensent à lui et s’inquiètent de sa libération.
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Trésor de France
« France, jadis on te voulait nommer
En tous pays, le trésor de noblesse. »
Mais ce trésor s’est perdu dans « ton grand orgueil, glotonnie, paresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance. »
Mais dans sa prière, le poète a mis toute son espérance :
« Et je, Charles, duc d’Orléans, rimer
Voulu ces vers au temps de ma jeunesse
Devant chacun les veuil bien advouer
Car prisonnier les fis, je le confesse ;
Priant à Dieu, qu’avant qu’aye vieillesse
Le temps de paix partout puist advenir
Comme de cœur j’en ai la desirance,
Et que voye tous ses maux briefs finir
Très chretien franc royaume de France ! »
Charles d’Orléans.