L’apparition simultanée de trois livres fondamentaux passant en revue ce que certains aujourd’hui appellent « l’Amérique post-chrétienne » a été à la fois bienvenue et frustrante. Bienvenue, parce que chacun d’eux confirme une disposition au sérieux qui s’intensifie dans ce que Richard John Neuhaus a un jour appelé « la Babylone américaine ». Et frustrante parce que les critiques ont eu tendance à brouiller les contributions de chacun des livres en les discutant ensemble plutôt que séparément.
Pour ajouter à cette frustration, chacune de ces oeuvres – The Benedict Option (« L’Option Benoît ») de Rod Dreher, Out of the Ashes (« Hors des cendres ») d’Anthony Esolen, et (Étrangers dans un étrange pays) de l’archevêque Charles J. Chaput – poursuit une conversation commencée et continuée par d’autres livres comme l’archevêque l’a indiqué ailleurs. Ainsi par souci de distinguer ce que la paresse des critiques a confondu, nous pourrions pendant la Semaine pascale méditer un peu sur un livre en particulier, Strangers in a Strange Land – parce que c’est avant tout une œuvre d’espérance, qui apparaît à un moment où bien des chrétiens occidentaux pourraient en profiter.
Strangers est une interprétation magistrale, magnifiquement argumentée, de son propos qui est l’état du christianisme dans un monde où bien des gens modernes se sont décidés pour une vie sans Dieu. Cette histoire est racontée par l’archevêque Chaput avec sensibilité, éloquence et une sincérité qui nous touche. Le livre est aussi une merveilleuse lecture, et un guide généreux qui nous introduit à la pensée d’autres gens. Bref, Strangers est un livre catholique érudit et un très grand livre . C’est aussi un livre subversif à donner aux non-catholiques, qui pourraient y détecter bien des merveilles qu‘une culture sécularisée a dissimulées à leurs yeux.
Strangers va directement aux racines de ce qui empoisonne le monde d’aujourd’hui. Écrivant au dernier siècle sur la crise centrale de son temps, saint Jean-Paul II observait que l’erreur principale du socialisme est anthropologique : il évalue faussement la nature humaine elle-même.
Aujourd’hui une nouvelle forme d’erreur anthropologique domine, et c’est l’appréhension déformée de la personne humaine dans le monde d’après la révolution sexuelle. L’évêque résume tout cela dans une simple phrase, observant que le problème avec la révolution est « qu’elle a fait de tout le sexe et de toutes les relations, un objet de transaction, un objet de consommation et d’arrangement, entre des individus radicalement distincts. »
Comme l’erreur socialiste auparavant, la quasi-théologie de la révolution d’aujourd’hui dénie l’existence d’un royaume transcendant. Comme le socialisme aussi, elle refuse de reconnaître que la famille préexiste à l’État. Et parce que le christianisme ne peut faire autrement que de contredire cette vue dominante et puissamment séduisante, le christianisme ne peut éviter de provoquer la critique et la colère de ceux qui veulent passionnément vivre selon le code séculariste. D’où le Strangers du titre de l’archevêque.
Le paysage de notre temps, note-t-il dans une image frappante qu’il utilise tout au long du livre, a été « aplati » (la référence est à un roman inquiétant intitulé Flatland (« Pays plat ») écrit il y a 130 ans par Edwin Abbott, un prêtre anglican.) Néanmoins, l’évêque – ce n’est pas par hasard s’il est du Kansas – trouve dans cette plaine grande ouverte plusieurs raisons d’espérer.
Quatre chapitres complets sont consacrés aux sources d’où coule l’espérance, y compris la faiblesse de l’alternative séculariste : « le culte du progrès est l’enfant non seulement du désespoir mais de la présomption ».
Je propose un amendement amical en conservant la même image. Le réel écrasement de la terre, et l’expansion correspondante de l’horizon signifie aussi que nous pouvons voir des choses aujourd’hui que nous ne pouvions voir auparavant. Et une raison supplémentaire d’espérer est que se soulèvent de la platitude présente des hommes et des femmes qui se révoltent contre l’erreur anthropologique d’aujourd’hui, qui se tournent vers le christianisme pour y trouver refuge, amitié et un foyer – parce qu’ils ne peuvent pas trouver refuge et amitié et foyer ailleurs.
C’est véritablement choquant, mais choquant véritablement : l’arrogante culture séculariste de plus en plus opposée au christianisme est elle-même en train de semer les semences d’un renouveau religieux.
Considérez aujourd’hui la diffusion croissante d’une nouvelle littérature érudite venue d’écrivains émergents ou déjà connus : outre ceux déjà mentionnés : Ryan Anderson, Erika Bacchiochi, Gerard Bradley, Patrick Deneen, J.D.Flynn, Sherif Gergis, Robert George, Aurora Griffin, Michael Hanby, Francis Russell Hittinger, Ashley MacGuire, Catherine Pakaluk, Chad C.Pecknold, Rusty Reno, Robert Royal, (et tous les autres rédacteurs de TCT), George Weigel, Christopher White, et Stephen P.White – de nouveau, parmi d’autres. Voici donc une preuve d’une contre-culture intellectuelle en plein bourgeonnement.
Ainsi la prolifération de nouvelles associations comme le Catholic Women’s Forum à Washington D.C. et le Siena Symposium à l’Université Saint Thomas, fondé par le père Arne Panula au Catholic Information Center – un riche séminaire intellectuel d’une année qui l’an dernier a enregistré un bon nombre d’inscriptions. Puis il y a l’installation par les Dominicains de l’Institut thomiste, un peu partout dans le pays, de cercles sur les campus – y compris presque tous ceux de l’Ivy League. Il y a la croissance explosive de FOCUS, The Fellowship of Catholic University Students (l’Association des Étudiants de l’Université catholique), et le réseau Love and Fidelity (Amour et Fidélité), dont le quartier général est à Princeton ; et d’autres lieux annexes, récemment apparus, de la contre-culture religieuse.
Ce ne sont que quelques formes nouvellement inventées, organiques, d’associations qui vont transformer la Babylone, d’une manière jusqu’à présent inimaginable.
Ainsi comme il convient à la période qui suit le Carême, on sent en même temps en Amérique comme un hiver et un printemps. Oui, comme l’archevêque et d’autres le remarquent, l’idée d’une ancienne génération de croyants – selon laquelle le christianisme trouverait son salut par la politique – est à l’état de cadavre, liquidée par des décennies de ce qu’on appelle des guerres culturelles. Pourtant comme on l’a tout juste compris, ce même enterrement produit de prodigieux bourgeons, dont on ne rêvait pas dans les époques précédentes qui tenaient la fondation chrétienne de l’Amérique pour acquise.
Rétrospectivement Strangers in a Strange Land et ses compagnons de route littéraires peuvent être lus non tant comme des épitaphes que comme des faire-part de naissance pour un renouveau moral et culturel en cours.
https://www.thecatholicthing.org/2017/04/18/the-phoenix-in-the-ashes-of-the-culture-wars/
Photo : Mgr Chaput.