L’éditorial sur Pascal a provoqué une avalanche de réactions. La plupart envisagent favorablement la perspective d’une béatification, parfois même avec joie. Quelques-uns manifestent une opposition frontale, au prétexte de son jansénisme. J’admets l’objection, mais je la temporise : si lié au combat en faveur de Port-Royal que soit l’auteur des Provinciales, il me semble que sa recherche de Dieu et son apologie du christianisme dépassent le cadre du jansénisme. Par ailleurs, il est impossible de ne pas prendre en compte les erreurs théologiques et les travers spirituels d’un courant qui a si profondément marqué la sensibilité française. Courant, dont nous sommes prompts à dénoncer les ravages, au risque d’être injustes. Mon ami regretté Michel Arveiller, qui était un des grands spécialistes du sujet, lui reconnaissait bien des mérites. L’intransigeance de Port-Royal fait honte à la médiocrité ordinaire et au laxisme, et l’historien mettait en valeur des figures qui faisaient honneur à l’Église en une période où il n’y avait pas tant d’exemples a contrario.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes doctrinaux avec Port-Royal. Je me suis trouvé, parallèlement, confronté à ces problèmes dans un travail dans lequel je me suis engagé cet été. Dans son grand livre Surnaturel qui fut à l’origine d’une énorme querelle théologique, le père de Lubac opère une étude comparative du Baïanisme et de l’Augustinisme. Baïus, dont son élève Jansenius reprit l’enseignement, avait cru trouver dans saint Augustin une réponse à la Réforme, au-delà d’une certaine impuissance scolastique de l’époque. Le père Gérard Philips, de Louvain, qui devait jouer un rôle important dans les mises au point doctrinales de Vatican II résumait ainsi la question : « Sous prétexte de théologie positive, restreinte d’ailleurs à l’héritage augustinen, au mépris de la pensée grecque, Baïus et Jansenius nous présentent un système rationaliste, d’une extrême pauvreté religieuse dans lequel un littéralisme farouche a faussé complètement la doctrine du Docteur de la grâce. Un sens historique des plus avertis a permis au père de Lubac, dans l’aride littérature janséniste, de trouver les lignes de force qui rejoignent de façon étrange les erreurs pélagiennes. » Et Mgr Phillips de commenter : « Belle revanche jésuite dans une dispute séculaire. » Et pourtant, les jésuites ne sont pas indemnes, eux-mêmes, de faiblesses théologiques à cette époque. Le père de Lubac n’est pas tendre avec son confrère Ripalda, pourtant champion de l’anti-baïanisme : « verbalisme, hypothèses absurdes, prétention à haute métaphysique, mauvaises subtilités, roueries des arguments ad hominem, intelligence toute en surface des grandes idées traditionnelles, l’œuvre de Ripalda présente tous les symptômes d’une théologie décadente. On se demande quelle idée religieuse préside à ce fatras lucide et délié. On cherche en vain la lueur d’intuition qui donnerait un sens à ce dévidage de concepts. »
Je crois me souvenir qu’Étienne Gilson, qui avait hautement apprécié ce grand livre Surnaturel, qui fut pourtant l’objet sur le moment d’une incroyable dispute, considérait que sa première partie était d’une difficulté de lecture considérable. Et pourtant, il était orfèvre en la matière !