On me pardonnera d’être ému, aujourd’hui, à évoquer la mémoire de mon ami le père Bernard Bro, décédé mardi à Solesmes. Ce fils de saint Dominique fut un des grands prédicateur de son temps, un magnifique serviteur de l’Église. Alors que nous vivons la dépréciation du ministère sacerdotal, il nous est précieux d’en reconnaître les grandeurs. Le père Bernard Bro avait parcouru le monde entier, il en connaissait toutes les merveilles, en artiste qu’il était, persuadé avec Dostoïevski que la beauté sauverait le monde. De ces pérégrinations il avait acquis un immense amour de l’Église : « À quoi bon gagner l’univers et amasser son grain dans tes greniers si, cette nuit-même, on te réclame ton âme ? dit l’Évangile. Je donnerais dix Rimbaud pour un évêque de la Réunion et vingt Picasso pour une religieuse mélanésienne du centre des petites prostituées de Nouméa. » Et il ajoutait : « La seule agence qui puisse unir le secret des ethnies et la part universelle de toute civilisation, la détresse de l’exigence tragique et la joie de l’âme, le sacrifice ultime et la fête : c’est l’Église. »
Ces citations sont tirées de son ouvrage de sagesse, où il livre ses confessions sur le siècle, avec ce titre étonnant, qui reflète bien son humour : La libellule et le haricot (Presses de la Renaissance). « Un haricot, mettez-lui des ailes, c’est une libellule. » Ce haïku japonais contenait toute une philosophie : « Nous avons tous le pouvoir de mettre des ailes à la réalité afin que surgisse dans l’univers ce qu’il a de meilleur, la joie de vivre. » Cela ne signifiait nullement que le père Bro ignorait le tragique, bien au contraire. Enfant, il avait perdu sa maman, et il avait quinze ans en 1940 ! Et puis, ce grand confesseur savait le secret des âmes. De toutes les âmes ! La cérémonie de sa sépulture aura lieu, lundi, dans l’abbatiale bénédictine de Solesmes, dont il aura confessé si longtemps les religieux.
La peine de ses amis ne saurait exclure l’action de grâce pour une vie si remplie, si offerte qu’il faudra remémorer pour en apprécier tous les fruits.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 25 octobre 2018.