« Le péché originel existe-t-il toujours ? » (suite) - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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« Le péché originel existe-t-il toujours ? » (suite)

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Je reviens sur ce qui m’a été dit il y a déjà quatre jours à propos du péché originel. Je ne sais pas si le renseignement est exact, s’il est assuré qu’une religieuse théologienne répand réellement à la Catho d’Angers une version fantaisiste sur le premier et dernier péché commis au sein de l’Éden : mais au fond, cela ne m’importe plus. De tels détournements sont innombrables, chacun cherchant à sortir de l’oubli sa maigre opinion. Et moi, ici-même, suis-je exempt d’un tel défaut ? Il me faut pourtant avancer dans la grisaille du petit matin et revigorer ma conviction : impossible de se passer du péché originel !

Un théologien, fut-il femme, à le droit d’errer, de penser rouge quand c’est la blancheur qui règne, bleu quand tombe la pluie : c’est même une liberté, et des plus utiles ! Jean Paulhan s’était employé, en 1947, à prévenir les écrivains métamorphosés en juges rassemblés sous la tente du Centre National des Écrivains (Céné comme il en note le sigle, ou signe abréviatif) – fort sévères d’ailleurs et même sans pitié ou indulgence – qu’ils faisaient fausse route parce qu’ils mentaient : dans « La Paille et du Grain » il tenta notamment de leur faire comprendre qu’existait une sorte particulière de droit, le « droit à l’erreur », sans lequel le monde deviendrait vite invivable. Il cherchait à en faire bénéficier Robert Brasillach, condamné à mort et fort mal en point dans l’opinion du Général de Gaulle : qui ne voulut rien connaître de ce supposé ’’droit’’, si bien que le malheureux égaré fut expédié chez Dieu comme on faisait au Moyen Âge quand on ne savait que faire d’un bandit …

(Je relis en ce moment ce merveilleux petit livre où Jean Paulhan s’élève « au-dessus de la mêlée »1 avec une force douce, un complet abandon à la raison comme à la vérité. Son combat l’opposait à un adversaire redoutable : le mensonge. J’y ai déjà repéré une trentaine de citations que l’on dirait écrites pour les jours que nous vivons… Un jour, je les rassemblerai pour l’édification de mon lecteur.)

Je ne veux, par bonheur, aucun mal à cette dame, religieuse me fut-il certifié, et théologienne, lui octroyant d’emblée le bénéfice du droit cité : je n’en ai qu’après ce qu’elle est censée enseigner, si toutefois elle l’enseigne vraiment 2, en un lieu catégorisé comme absolument catholique, alors que cette négation du plus ancien de tous les péchés des hommes ‘’renverse’’, – verbe terrible qui figure comme tel dans le Magnificat chanté par la Vierge Marie –, le monde chrétien sans même qu’elle s’en rende compte ! Voilà qui est fort de café ! D’autant que cette ‘’exécution’’ radicale d’un article de foi a pour conséquence de rendre inexplicable ce que le Christ est venu faire parmi nous.

Et cette ‘’inexplicabilité’’ me paraît constituer un immense danger : perdre la foi dans le Salut conquis par le Christ est propre à déstabiliser une foule de chrétiens.

Je sais fort bien qu’on ne peut plus enseigner le péché d’origine comme on le faisait autrefois : il faut le considérer en tenant compte de tout l’acquis scientifique, notamment ce qui concerne le cosmos si formidablement exploré par les astrophysiciens depuis au moins une soixantaine d’années : il ne nous est plus permis de reprendre innocemment le mot à mot des récits de la Création dans la Genèse3: nos frères humains d’il y a trois mille ans n’auraient évidemment rien compris à ce que nous pouvons dire aujourd’hui de ce « péché fondateur », qui ressort si fortement amplifié de ce fait. Oui, je pèse l’expression qui doit bien être formulée pour la première fois : malgré ce point de détail je la maintiens, quoique nous puissions, lors de la lecture au premier degré telle qu’elle se fait lors de la Veillée de Noël, découvrir déjà que c’est ‘’irréfutable’’ : et cela parce que nous opérons une subtile analyse qui nous fait entrer, sans même que nous en ayons alors conscience, dans une version secrète et indécelable.
Ils n’auraient rien compris en effet et par exemple rien compris à la notion de Grosse explosion dite ailleurs Big-Bang, alors que pourtant ils appartenaient au seul peuple au monde qui ne croyait pas à l’éternité de l’univers ! Le seul peuple conscient de ce que signifiait la Création, de ce qui en découlait. C’est un point fabuleux d’avoir su cela de notre Univers, alors qu’aujourd’hui l’antique récit est qualifié par les ignorants de simpliste et d’incohérent, lui qui fourmille de dizaines d’indications propres à nous éclairer.

En effet, ce qui est dit d’essentiel ne disparaît pas sous les nouvelles données de la Science, un ‘’essentiel’’ à ne surtout pas dédaigner : par exemple que l’homme et la femme, ensemble et inséparés, ont été créés par Dieu à son image ! Qu’ils le furent pour connaître un épanouissement d’amour en la vie intime de leur Créateur et ainsi être heureux en son Éden, lieu parfait où se donner pleinement à Qui se donnait à eux sans réserve ! Il fallait que ce don d’eux-mêmes soit accompli librement, dans un acte de liberté parfaite. C’était évidemment en sachant dépasser toute autre solution, toute autre proposition, toute autre tentation, sans quoi la liberté eut paru naturellement une simple pétition de principe.

Cela donc devait d’évidence s’accomplir sans la moindre compromission avec celui qui s’était violemment opposé à Dieu, ce Serpent image de Satan !
Et la première décision du couple adamique donna lieu à son premier et décisif péché !

Aujourd’hui, la lecture de la Genèse doit se situer aussi bien au premier qu’au second degré : on ne peut soustraire du livre le texte initial, mais on ne peut plus s’en tenir à la surface de ses mots.

L’exercice est d’ailleurs très surprenant. C’est ainsi qu’il faut entendre par exemple le vocable ‘’jour’’, si grand dans ce contexte qu’il nous revient, avec les auteurs de la Genèse, de le définir comme un ‘’temps’’ dont on ne peut connaître la durée, puisqu’au premier des sept qui vont se succéder « la terre était [décrite comme] vague et vide », c’est-à-dire totalement désertique et sans autre présence vivante que celle de Dieu : or elle fut bien en effet « vague et vide » selon toutes les recherches scientifiques. Je ne sais pas interpréter le mot ‘’vague’’, mais ‘’vide’’ a un sens très fort : pas de vie soupçonnable ! (Penser que cette vie dont nous sommes les lointains descendants biologiques s’est traînée plus de deux milliards et demi d’années sous la surface des océans avant de se décider à conquérir les espaces terrestres …)

Ce ‘’temps’’, où nous coulons heure après heure, est très particulier, puisque par deux ou trois fois dans le reste de la Bible il est précisé que pour Dieu « un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour » : mais que sont ces mille ans ? Une durée inappréciable, dont on ne pouvait pas prendre conscience de qu’elle représentait : les auteurs bibliques auraient pu aussi bien dire million ou milliard, durées encore plus pharamineuses à l’échelle de l’homme mais qui furent appliqués aux épisodes de l’évolution terrestre et cosmique.

Se dire ces précisions sans oublier qu’en l’éternité de Dieu ces durées n’ont aucun sens : c’est déjà ce que disait saint Damien, mort en 1072. Car Dieu travaille en éternité. Il a écrit sur le temps et l’éternité une méditation surprenante, pas commode à saisir – je m’y suis un peu perdu – dont voici un court extrait : « Le temps lui-même, au-dedans de l’éternité de Dieu, ne s’écoule pas à sa vue alors qu’à l’extérieur et en ce qui nous concerne il s’enfuit à travers nous. Par suite demeure immobile dans son éternité tout le déroulement des siècles qui, au dehors, sont en mouvement et sourdent sans fin… »

À lire de tels propos, l’on reste perplexe tant ils laissent entrevoir l’impossibilité réelle pour l’être humain plongé dans l’espace-temps de concevoir en toute clarté et raison la « demeure d’éternité », ce « lieu inlocalisable » où s’accomplit idéalement la « volonté du Père » telle qu’il est requis, dans le « Pater noster », qu’elle soit également ‘’accomplie’’ dans cet espace-temps 4

Qu’importe : il nous suffit, naturellement, de comprendre que l’on ne peut pas réduire les mots de Dieu à la petitesse des nôtres.

Mais je retourne à mon sujet, ce pauvre péché d’origine malmené, peut-être ou non ?, par cette théologienne de ce petit moment du temps que nous vivons.
Il convient particulièrement d’être vigilant sur cette question décisive du « péché d’origine », d’autant qu’il n’y a pour l’heure aucune difficulté à accorder foi à ce péché des deux premiers êtres humains vivants au sein de l’amour du Père et de comprendre sa nature : dans la mesure du moins où l’on ose le pas immense qu’a fait franchir à notre entendement le père Frédéric Marlière dans sa bénéfique Trilogie de la Gratuité divine 5: en allant donc bien au-delà de l’intuition de John Duns Scot que la Création initiale ne pouvait pas être celle que nous observons en notre quotidien. Cher lecteur, relis deux fois cette phrase apparemment absurde !

Pourtant, il est bien vrai que les découvertes effectuées depuis soixante ans et qui ont éclairé d’une façon stupéfiante notre vision de la naissance de l’univers, ont joué leur rôle dans cette approche nouvelle de ce que nous dit en profondeur la Genèse en ces deux premiers chapitres.

Ce pas est capital car l’on comprend que la Création n’avait au ‘’départ’’, si j’ose user de ce mot, aucune, mais vraiment aucune raison valable ou explicable d’être ‘’objectivée’’ : elle se tenait dans l’ordre de l’amour, qui n’a rien à voir avec celui de l’ ‘’objectivé’’.

Et, osant cette réflexion, on découvre qu’alors ce péché commis en la Création ‘’non-objectivée’’ précipite comme naturellement, comme ‘’nécessairement’’, cette objectivation, ce qui ne peut manquer de marquer puissamment l’imperfection de notre univers, permanente source de souffrance pour les hommes. « Alors, écrivit Marlère, ce fut le Big-Bang. » Il avait mis plus de trente ans à tourner autour de l’expression avant de conclure qu’il lui revenait de justifier l’intuition sans explication scientifique de Duns Scot.

Ainsi, la remarque biblique que le péché a perverti la Création se trouve justifiée, rendu compréhensible : son objectivation est notre œuvre, ou si, cher lecteur, tu le préfères, celle du « péché d’origine » : il laisse bien en effet sa trace originelle dans l’effusion d’une Création que le Créateur doit adapter au péché de l’homme : péché d’orgueil, dit-on. Oui, mais aussi ambition fulgurante de s’approprier le ‘’savoir’’ afin de ‘’posséder’’ la puissance, les ‘’pouvoirs’’ qui lui sont intrinsèques.
Savoir et pouvoir sont deux jumeaux inséparables.

Autre remarque et sans vouloir insister, je signale que cette vision nouvelle permet également de comprendre pourquoi les êtres humains sont désormais soumis à la mort de leur corps biologique alors qu’en Éden la mort n’était pas au programme de l’Amour …

Comment, pour encore s’en étonner, nier la réalité du péché d’origine ?

Comment ne pas se demander ce qui expliquerait la constante faiblesse peccamineuse qui depuis toujours, en le temps imparti à l’univers, affecte l’être humain, le déstabilise, le désoriente, l’égare ? Comment admettre cette propension qui ne se surmonte qu’au prix d’une lutte toujours dépendante de la grâce de Dieu ? La Parole de Jésus : « Sans Moi, vous ne pouvez rien », nous en constatons indéfiniment la véracité : il suffit de nous intéresser à ce qui se passe jour après jour en nous comme autour de nous pour comprendre la justesse et l’à propos de cet avertissement, qui est aussi une invitation : « Venez à moi » !
Comment dès lors, si l’on rejette la réalité du péché d’origine et donc, au fond, du péché tout court, saisir le ‘’pourquoi’’ des miracles du Christ, ‘’pardonnant’’ sans fin les pauvres malades et possédés qu’Il guérissait et délivrait ?

Comment justifier qu’Il ait donné à Pierre le pouvoir de lier et de délier ?

Qu’aurait-il eu à délier, à travers les siècles, lui le Premier des lieutenants du Christ suivi par la troupe de ses successeurs, si le péché originel ne se pense que comme une notion ou concept de totale irréalité ? Le reniement de Pierre, de quelle catégorie relèverait-il alors ? Ses pleurs, son profond repentir, sa souffrance qui dut être si violente qu’elle n’a trouvé de refuge que dans les bras de la Mère de Celui qu’il avait à ce point trahi, lui qui l’aimait à la folie, à qui il avait dit vouloir mourir à sa place, quel sens leur donner ?

Comment enfin contempler la Passion vécue par Jésus alors qu’Il ne laisse pas la Mort libre d’intervenir tant qu’Il ne peut en vérité reconnaître ‘’achevé’’ son travail de Rédemption, ce qu’Il peut enfin reconnaître quand Il prononce la phrase du Salut : « Tout est accompli » ?

Comment pénétrer si peu que ce soit le mystère marial de la conception d’une petite fille juive reconnue universellement comme sans péché, elle qui devint « la Mère toujours vierge » 6 de l’Envoyé du Père : délivrée, par une grâce anticipée, de ce péché premier qu’il nous faut toujours considérer comme la marque identitaire de tout être humain ? Je souligne cet adjectif si à la mode, ‘’identitaire’’, qui renvoie à ‘’identificateur’’, car nous sommes fort bien caractérisés par lui comme d’ailleurs, depuis le Christ, par l’expression « enfants du Père » et donc par également le mot ‘’héritier’’ du Père comme l’affirme saint Paul : ce qu’est de nature son Unique, le Verbe éternel ; ce que nous sommes devenus selon les fruits de l’Incarnation de cet Unique, dit par le Père « engendré ce jour » dans les eaux du Jourdain comme sans doute cela se redit au cours de chaque messe.

On m’objectera sans doute que ce péché coutumier n’a peut-être rien à voir avec le « péché originel », que je préfère, en harmonie avec le vocabulaire de Marlière, nommer « péché d’origine », cette origine étant à considérer hors du temps, hors de tout commencement et de toute fin et donc en éternité.
L’être humain porte toujours en lui la même capacité de se préférer à tout, même à Dieu : et c’est bien ce qu’il fit en choisissant le fruit de l’Arbre symbolique par excellence, celui qui fait de nous des êtres en mesure de connaître la Science du Bien ‘’et’’ du Mal.

Cette science-là est celle qui captive aussi bien l’Amour que l’Orgueil : car elle permet de découvrir tous les « savoirs utiles », soit en premier les savoirs propices à l’exercice de la Guérison, soit en second les savoirs propices à l’exercice de la Puissance déclinée en une multitude de pouvoirs liés à ceux de l’Ennemi d’origine.

« Si je sais, je peux », pense le premier homme créé « homme et femme », et si je peux, alors … un jour du temps … je « serai comme Dieu » et peut-être même le dépasserai-je, Le rejetterai-je au néant … Il a entendu cette suggestion sortir de la bouche de l’Ange déchu : elle est restée pour toujours en son esprit, tel un poison à jamais infusée dans son sang. Et c’est d’ailleurs pour l’extirper en quelque sorte de ‘’notre’’ sang que Jésus a dû verser le sien jusqu’à la dernière goutte. Transfusion radicale et salvifique..

Et c’est pourquoi, avant de se lancer, qui que l’on soit, dans des affirmations aussi osées que celle qui prétendrai supprimer une donnée aussi essentielle que le dénommé « péché d’origine », vaudrait mieux que soit tournée la langue dans la bouche … au moins soixante-dix mille fois sept fois !

Dominique Daguet

  1. Titre du livre de Romain Rolland publié en 1915 et qui fut considéré comme la bible des pacifistes, qui n’hésitaient pas toujours à conseiller la désertion.
  2. Ce n’est pas parce que l’on pense différemment de ce qu’enseigne l’Église que l’on peut se permettre – si toutefois ce qui m’a été rapporté est exact –, en un lieu de formation catholique, de dispenser un enseignement qui soit contraire à celui qui s’impose en un tel lieu. Autre chose serait de présenter une simple hypothèse face à ce que dit la tradition, sans forcer jamais la comparaison au point d’effacer cette dernière…
  3. Chapitres 1 et 2.
  4. Quand l’écrivain biblique fait dire à Dieu que « la terre n’est que l’escabeau de ses pieds », on peut comprendre, en allant au-delà de l’image, que le ‘’lieu’’ où demeure Dieu n’est pas concevable et pas plus ‘’localisable’’ ; d’où alors l’intuition que « Dieu éternel » est à la fois hors de cet espace-temps et en lui comme en chacun de nous, l’enveloppant tout entier comme le supportant à l’extrême de ses plus petits composants … C’est pourquoi nous disons qu’Il est partout et que même Il peut s’établir en chacun de nous – « plus intime à moi-même que moi », dit saint Paul – quand nous en sommes à Le désirer ainsi … sans être réductible à l’espace qu’Il occupe.
  5. Editions Anne Sigier/Desclée.
  6. Déclaration faite par elle à l’amérindien Juan Diego avant de l’envoyer vers l’évêque de Mexico.