Pour commencer, résumons l’argument. Pascal s’adresse aux agnostiques, c’est-à-dire à tous ceux qui n’ont pas de certitude bien arrêtée sur l’existence de Dieu et la vérité du christianisme. Son but ? Non pas leur prouver l’existence de Dieu par A + B : Pascal tient la chose pour impossible. Mais leur démontrer que le meilleur parti à prendre est de vivre comme si le Dieu chrétien existait.
La situation est simple : ou bien l’on décide de vivre chrétiennement, ou bien on s’y refuse. Si on le décide et que Dieu existe, le gain est infini, puisqu’on gagne le Ciel… et s’il n’existe pas, la perte est finie, puisqu’on aura seulement renoncé à quelques plaisirs.
Un raisonnement imparable….
Si maintenant l’on refuse de vivre chrétiennement et que Dieu existe, la perte est infinie, puisqu’on risque le malheur éternel… et s’il n’existe pas, le gain est fini, puisqu’on aura seulement profité de quelques plaisirs. Pour parler le jargon des assureurs, on dira que l’utilité escomptée de chacun des choix, pondérée par la probabilité d’occurrence, est infiniment positive dans un cas et infiniment négative dans l’autre. Conclusion de Pascal : « Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc que Dieu existe, sans hésiter. »
Que vaut cet argument ? Sur le plan de l’évaluation des gains et des pertes, le raisonnement est imparable. On pourrait bien sûr objecter qu’il ne suffit pas d’avoir des mœurs chrétiennes pour être sauvé, et qu’il est certainement possible de l’être sans confesser explicitement la foi. Mais il demeure que la vie pieuse augmente les chances du salut et que la vie dissolue les réduit. C’est tout ce qui compte pour que l’argument fonctionne. On peut même le renforcer en montrant que, même si Dieu n’existait pas, il y aurait un bénéfice net à mener une vie chrétienne. Je renvoie ici aux nombreux travaux de psychologie qui établissent que – toutes choses égales par ailleurs – les croyants ont en moyenne des familles plus stables, des relations sociales plus fructueuses et des vies plus longues que les non-croyants. Dès lors, le choix de la religion l’emporte même sur le plan des avantages temporels (cf. par exemple Koenig, King & Carson, Handbook of Religion and Health, Oxford, 2012).
… ou un sordide calcul d’intérêt ?
Une première objection conteste l’argument tout entier au nom de la morale : comment peut-on proposer de fonder la dévotion religieuse sur un sordide calcul d’intérêt ? Une telle piété de boutiquier ne serait-elle pas tout simplement indigne de Dieu ? William James écrivait : « Si nous étions nous-mêmes à la place de Dieu, nous prendrions sans doute un plaisir particulier à priver de leur récompense infinie les croyants de cette sorte ! » (La Volonté de croire, 1897).