Le paradoxe du libéralisme - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Le paradoxe du libéralisme

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Un de mes paradoxes présents tient à mon attitude mentale par rapport à ce qu’on appelle le libéralisme, et que la littérature que j’avale au long des mois me contraint de complexifier sans cesse. Je suis de ceux qui pensent qu’on as­siste présentement à un échec cinglant du libéralisme mais, en même temps, que ce libéralisme est notre destin. Et je n’ai nulle envie de prôner un quelconque amor fati. J’ai une souveraine horreur de l’antique fatum dont je crois fermement que la révélation biblique nous a délivrés. Mais c’est vrai qu’il y a une réalité libérale à laquelle nous sommes confrontés depuis son avènement et son élaboration sur plusieurs siècles.

Je ne dirais pas que nous n’y pouvons rien, parce que cette réalité, même si elle nous surplombe, ne se fait pas sans nous et requiert sans cesse notre intelligence pour mieux l’identifier.

Ici, je retrouve Pierre Manent, dont j’ai déjà parlé, celui qui dit du libéralisme qu’il est « le fruit d’une très longue élaboration, d’une très longue distillation, de sorte qu’il résulte de toute notre Histoire, il la prolonge et la contient. Il est la formule difficilement trouvée grâce à laquelle nous avons enfin réussi à vivre ensemble de manière à peu près satisfaisante. »

Impossible pour moi de ne pas être libéral à la Manent. Mais en même temps, impossible de ne pas être antilibéral à la Michéa, qui conteste avec une juste vigueur, le péché originel du libéralisme, son indifférence philosophique et morale, sa prétention d’organiser la société à partir du droit et du marché, seuls régulateurs possibles d’un monde qui serait, grâce à eux, délivré des guerres méta­physiques et religieuses. Je retrouve aussi la difficulté bien énoncée par Jacques Julliard dans son livre sur Péguy, Bernanos et Claudel : être contre l’argent, la modernité, le règne de la technique, ce n’est pas évident. On saisit les raisons morales qui justifient la colère de nos prophètes. Mais on se demande en même temps comment le monde pourrait prendre un autre cours.

Paul Claudel exprime parfaitement cette ambiguïté, lui qui n’hésite pas à faire l’éloge de l’argent, en homme d’affaires qu’il est, en ambassadeur pénétré de la nécessité de s’ouvrir à l’économie en bousculant les canons de la diplomatie. Pourtant c’est le même Claudel qui écrit des choses terribles sur les rapports de l’argent (le dollar) avec la Bête : « Le caractère, le trait caractéristique de la Bête, c’est qu’il n’y a pas de Dieu et que la matière est tout. Voilà la civilisation moderne. Voilà, dans la multitude, le principe universel des actions et des pensées. Tout se passe sur le plan de la valeur et de l’échange entre quantités égales. […] La tête détachée de la Bête (Ap. XIII,3) caput en latin, elle est devenue le capital, la pièce dans notre main, cette image réduite et portative en qui seule nous pouvons vendre et acheter. » (Texte repris dans le premier tome Le Poëte et la Bible : au milieu des vitraux de l’Apocalypse, Gallimard).

Julliard cite la finale de ce réquisitoire où le dessin symbolique du dollar est rapporté aux cornes et à la queue du diable et devient « la marque de la Bête par excellence, ou plutôt de deux bêtes réunies en une seule, l’entrelacement du bouc et du serpent, l’emblème même de l’illusion et de ce qui n’est pas intronisé comme la seule réalité. »