Étrange paradoxe, mais le père de Lubac nous a appris que le paradoxe nous obligeait à mieux comprendre les réalités essentielles. Étrange paradoxe donc que celui de la cordialité et de la simplicité de la rencontre à La Havane entre François et Cyrille, alors qu’il a fallu attendre si longtemps pour qu’une telle rencontre ait lieu. Voilà des hommes qui se déclarent être des frères, mais il a fallu une négociation de deux ans pour organiser leur face-à-face. Et ces deux années n’étaient elles-mêmes que la phase conclusive d’un éloignement de dix siècles ! C’est tout le scandale de la séparation, auquel Vatican II a voulu mettre fin et dont la rencontre entre Paul VI et le patriarche Athénagoras de Constantinople a, pour la première fois, signifié le refus, dans l’attente de la parfaite communion. Cela se passait il y a un demi-siècle, et dans le lieu le plus symbolique qui soit : Jérusalem.
Le choix de La Havane fait singulièrement contraste. On pourrait lui accorder un sens purement politique, mais il pourrait aussi renvoyer à la réalité plénière d’un christianisme qui est devenu mondial et dont la responsabilité exige qu’il sorte désormais du cadre historique européen. Non, nous ne pouvons plus imposer au monde entier les blessures de notre histoire, en demandant à tous les continents de les reproduire en quelque sorte. C’est pourquoi il importe de prendre le large. La déclaration qu’ont signée François et Cyrille à La Havane n’est pas tournée vers le règlement du contentieux ancien, elle énonce clairement les objectifs communs qui résultent de la situation d’aujourd’hui.
On ne s’étonne pas que la solidarité à l’égard des chrétiens du Proche-Orient y occupe une place capitale : « Nous appelons la communauté internationale à des actions urgentes pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche-Orient. Élevant notre voix pour défendre les chrétiens persécutés, nous compatissons aussi aux souffrances des fidèles d’autres traditions religieuses devenues victimes de la guerre civile, du chaos et de la violence terroriste. » Mais la déclaration aborde aussi les sujets les plus délicats qui concernent directement orthodoxes et catholiques en Europe, en énonçant les principes qui permettraient de surmonter les difficultés les plus aiguës. Ce n’est qu’un début, mais il est prometteur.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 15 février 2016.
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