Ils étaient venus, ils étaient tous là, les dirigeants des institutions européennes : Jean-Claude Juncker, président de la Commission, Martin Schulz, président du Parlement, Mario Draghi, président de la Banque centrale, Federa Mogherini, chef de la diplomatie de l’Union. Et comme si cela ne suffisait pas, on notait encore la présence du roi d’Espagne, de la chancelière allemande, du chef du gouvernement italien… Tout ce beau monde se trouvait réuni au Vatican, vendredi 6 mai, autour du pape François auquel était remis le fameux prix Charlemagne, qui récompense traditionnellement les hautes personnalités qui ont contribué à l’essor de la cause européenne. Déjà Jean-Paul II avait été honoré du prix, à titre exceptionnel. On comprenait les raisons de ce choix, à l’égard de celui qui avait tellement œuvré à la réunification du continent.
Les circonstances ont beaucoup changé depuis lors, car on peut dire que c’est une Europe en profond désarroi, dont les dirigeants sont venus demander, en quelque sorte, au pape François de leur inspirer de nouvelles raisons de vivre. Martin Schulz n’affirmait-il pas, la veille, et dans la salle même où avait été signé le Traité de Rome en 1957 : « L’Europe est une promesse, mais une promesse qui n’a pas été tenue. » Quant à Jean-Claude Juncker, il s’en était pris « au déferlement des populismes pernicieux et stupides » coupables de la désaffection à l’égard du grand projet. Il serait utile d’examiner soigneusement les raisons de ce désamour des peuples, qui ne sont sans doute pas réductibles à des motifs aussi méprisables. Des politologues indépendants ont procédé, ces derniers temps, à un examen précis de l’inadéquation actuelle de l’Europe institutionnelle aux aspirations populaires et à la situation critique de notre continent dans les processus de la mondialisation. Il faudrait peut-être, au sein des milieux dirigeants, s’intéresser à ce type de diagnostic politique ciblé et motivé.
Mais le fait que ce soit auprès du Saint-Père que l’Europe institutionnelle soit allée chercher un enseignement, propre à faire retentir le projet originel, est particulièrement significatif. Il faudra relire l’allocution de François en son intégralité. Le Pape a invité ses auditeurs à un effort de mémoire, à l’opposé de tous les réductionnismes. Il a aussi insisté sur la recherche de « nouveaux modèles économiques plus inclusifs et équitables, non orientés vers le service d’un petit nombre, mais au service des gens et de la société ». Ce faisant, c’est à un véritable changement de fond que l’évêque de Rome appelle. Changement qui ne pourra éclore sans de nombreuses difficultés, à commencer par les définitions concrètes de certaines propositions conceptuelles. Que signifie, par exemple, l’intégration culturelle, qui semble bien être une des clés problématiques de notre devenir ? Quoi qu’il en soit, le chantier à construire s’offre à nous depuis Rome, selon une désinence spirituelle qui change fondamentalement les perspectives.