«Nous marchons vers la guerre comme des somnambules. » Sous ce titre, Henri Guaino a publié dans Le Figaro du 13 mai une page de réflexion qui a fait forte impression. Les oppositions auxquelles elle a donné lieu n’ont fait que mettre en valeur le choc d’une argumentation qui ne peut laisser indifférent dans une situation de crise internationale, où même l’hypothèse d’un conflit mondial ne peut être écartée. Sans doute, la période dite de la guerre froide n’a pas été exempte de ce type de menaces – on l’a vu lorsque Kennedy s’est opposé à l’installation de fusées nucléaires soviétiques à Cuba. Mais comme l’écrit Henri Guaino : « Dans les crises les plus graves, chacun a fait en sorte que l’autre ait une porte de sortie. Aujourd’hui, au contraire, les États-Unis et leurs alliés veulent acculer la Russie. »
Il semble bien que le pape ne soit pas indifférent à ce type d’argumentation. Dans un entretien du 3 mai au Corriere della Sera, il a montré comment les dimensions géopolitiques de la guerre en Ukraine ne lui étaient pas étrangères. Et certains ont même été jusqu’à critiquer une position qui ne relèverait pas d’un jugement strictement moral. Puisque l’Ukraine s’est trouvée agressée avec l’invasion de l’armée russe, seule une condamnation sans appel de l’agression serait acceptable du point de vue d’une autorité spirituelle aussi éminente. Oui, mais voilà : dans l’ordre des réalités politiques et des relations internationales, des paramètres divers sont en jeu, qu’il serait dommageable d’ignorer. Ainsi, lorsque François ose critiquer ce qu’il appelle « les aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie », il montre qu’une morale qui ne tiendrait pas compte de tous les paramètres et de toutes les conséquences possibles peut conduire à cette attitude de somnambule désignée par Henri Guaino.
Diplomatie pontificale
Ce n’est pas pour rien qu’existe une diplomatie pontificale, avec son école de formation qui prépare les futurs nonces à affronter les situations historiques les plus diverses. Cela ne veut pas dire que l’autorité pontificale participerait du jeu des affrontements de puissances. Depuis le début du XXe siècle, tous les papes ont coalisé leurs efforts en vue de la seule paix. Le cri de Paul VI à l’Assemblée des Nations unies est resté célèbre : « Jamais plus la guerre ! » Pie X ne voulait bénir que la paix et Benoît XV tenta une médiation auprès de l’Autriche-Hongrie pour arrêter la Première Guerre mondiale. Pie XII voulut empêcher la seconde : « Rien n’est perdu avec la paix. Tout peut l’être avec la guerre. » Le pape François s’inscrit dans la suite de ses prédécesseurs. Il va même plus loin, en refusant de reprendre à son compte le concept de « guerre juste » parce que dans les circonstances actuelles, la logique de la montée aux extrêmes, telle que l’a définie René Girard, implique un enchaînement catastrophique. De là aussi sa particulière prudence aujourd’hui. Déplorant l’invasion de l’Ukraine, avec tous les drames qui en résultent, il n’exclut pas de se rendre à Moscou pour tenter une négociation dont dépend la paix du monde. Comment ne pas comprendre ses intentions et ne pas l’accompagner de nos prières ?