Ma foi, en réfléchissant par avance hier à ce que pourrait bien être la réflexion du pape François à propos de l’Amazonie, je n’étais pas loin de la vérité, du contenu de son texte désormais public. Ce qui le distingue, c’est d’abord l’attention extrême, que l’on pourrait dire amoureuse, à l’égard de cette région et de ses habitants. Le Pape n’envisage pas les choses en sociologue ou en politologue, même si aucune donnée n’est par lui dédaignée. Sans exagérer, on pourrait dire qu’il s’exprime, sinon en poète, du moins à l’aide des poètes, donnant ainsi raison à Hölderlin : « L’homme habite en poète. » S’il n’est pas lui-même habitant de l’Amazonie, en tant qu’Argentin, il a un intérêt naturel pour elle et cet intérêt se porte d’abord sur une réalité humaine qui s’exprime dans le poème. Ce n’est pas des abstractions qu’il vise, mais un mode singulier d’habiter une terre.
Sans aucun doute, les prédécesseurs de François étaient tous de fins lettrés, et Jean-Paul II était lui-même poète. Mais à ma connaissance, aucun d’entre eux ne s’est référé directement aux poètes dans des documents officiels. C’est donc une première que cette accession à l’expression doctrinale et pastorale de l’évêque de Rome, mais ce n’est sûrement pas une facilité qu’il s’accordait. D’ailleurs, la Bible, la parole de Dieu elle-même ne relève-t-elle pas largement de l’écriture poétique ? Dès qu’il s’agit de comprendre ce qu’il y a de plus intime dans notre humanité, c’est le langage qui convient vraiment : « À travers un territoire et ses caractéristiques, écrit François, Dieu se manifeste, reflète quelque chose de son inépuisable beauté. »
Il y a, bien sûr, connivence entre le souci écologique tel qu’il a été exposé dans l’encyclique Laudato si’ et le fait d’habiter en poète :
capitale des syllabes de l’eau,
père patriarche, tu es
la mystérieuse éternité
des fécondations,
les fleuves choient en toi comme des vols d’oiseaux… »
Mais ce souci même ne nous renvoie-t-il pas aussi à l’attention maternelle de l’Église pour ces peuples aimés ? Car le Seigneur est glorieux et mystérieusement présent « dans le fleuve, dans les arbres, dans les poissons, dans le vent », comme celui qui règne sur sa Création. Bien sûr, il s’agit-là d’un parcours rapide d’un texte dense, mais il ne se veut nullement réducteur en mettant l’accent sur la tendresse de Dieu dont Marie est le témoin : « Nous te demandons de régner, Marie, dans le cœur palpitant de l’Amazonie. »