Le pape François : l’homme et le message - France Catholique
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La justice de Dieu
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Le pape François : l’homme et le message

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J’aime vraiment beaucoup le pape François. Mais j’ai un point de vue un peu spécial. Je ne l’aime pas surtout parce qu’il est « différent » ou « humble » ou pour toutes les raisons que la presse avance à son sujet. Non, je l’aime parce qu’il me paraît un rien gaffeur. Il parle à des gens auxquels il n’est pas censé parler et dit des choses plutôt inattendues, donc pas toujours celles qu’il est « censé » dire. Son désir d’entrer en contact avec les gens est si pressant que par la suite il s’inquiète quelquefois de savoir s’il n’a pas été mal compris. J’aurais fait fortune si j’avais reçu un dollar chaque fois que cela m’est arrivé. C’est pourquoi, étant donné ma propre personnalité, je sympathise avec ce genre de personne. J’aime aussi surtout Saint Pierre parce que c’est un très gentil gaffeur. Quand le Christ ressuscité apparaît sur le rivage à Saint Pierre et à ses frères en train de pêcher, Saint Pierre est si excité qu’il enfile son vêtement et se jette à l’eau pour rejoindre la berge à la nage. On s’attendrait à ce qu’il enlève son vêtement, mais ce n’est pas le cas. Et, bien sûr, il dit souvent ce qu’il ne faudrait pas (amenant le Christ à lui répondre « Passe derrière moi, Satan) ; au moment critique, il renie même le Christ. Et pourtant il est la Pierre sur laquelle le Christ a bâti son Eglise. Le côté gaffeur de Pierre me ragaillardit. Je n’ai jamais été élu à un poste de la fonction publique parce que chacun de mes étudiants aurait pu communiquer à la presse une tapée de remarques incongrues qui m’auraient immédiatement disqualifié. Dès le début, j’ai décidé que je m’amuserais en classe, que cela plaise ou non aux autres. J’aime rire. D’où les gaffes. Et je force mes étudiants à approfondir les sujets en me contredisant ou en posant des questions complexes – autant d’incidents qui, cités hors de leur contexte, pourraient certainement être mal interprétées. C’est pourquoi je trouve des gens comme le pape François et Saint Pierre si agréables, tandis que d’autres les jugent un rien perturbants : j’apprécie leurs personnalités. Et pourtant ma préférence pour eux est sans aucun doute un peu injuste pour d’autres personnalités auxquelles Dieu a également recours. Par exemple, l’apôtre Thomas m’a toujours semblé un peu m’as-tu-vu. Vous imaginez-vous en train de dire à vos meilleurs amis – qui ont ramé et souffert à vos côtés – que vous ne les croirez pas à moins d’avoir tout vu de vos propres yeux ? Pauvre mec. Et Jacques et Jean : le culot de ces deux types ! « Accorde-nous d’être assis l’un à ta droite et à l’autre à ta gauche quand tu seras dans ton royaume ! » Je déteste les arrivistes et les lèche-bottes. Mais dans ce cas aussi, Dieu se sert de toutes sortes de gens. Nous devrions tirer cet enseignement des apôtres, à défaut d’autre chose. Certains sont graves et taciturnes, d’autres loquaces et passionnés. Nous avons donc un Saint Pierre et un Saint Paul, un pêcheur et un savant, tout comme de nos jours nous avons un pape François et un pape Benoît. Peu importe, notre foi ne dépend pas des êtres humains que Dieu a choisis. Ce ne sont que des vaisseaux d’argile. Notre foi, c’est la promesse du Christ de demeurer avec son Eglise jusqu’à la fin des temps et d’envoyer son Esprit Saint pour la protéger. Photographie ; légende : « Le « médiateur » est-il devenu le message ? Et pourtant, bien que je sympathise personnellement avec le pape François, j’ai aussi un souci. Pas parce qu’il commet des gaffes ou tient des conférences de presse dont il devrait s’abstenir. Comme je l’ai admis plus haut, ce trait de son caractère me plaît. Et je ne suis pas préoccupé comme d’autres par la manière dont la presse interprète mal ses paroles. Quand la presse a-t-elle jamais bien interprété les paroles d’un pape ? Et qui serait assez bête pour chercher de l’honnêteté et de l’exactitude à propos de l’Eglise dans le New York Times ? Non, ce qui m’inquiète à propos de la situation actuelle du pape François, c’est un souci qu’il partagerait s’il en était conscient, à savoir que le pape François tend de plus en plus à devenir le message. Et si je comprends bien le pape, je pense qu’il trouverait cela non seulement étrange, mais aussi intolérable. Le pape François semble vouloir avant tout « prêcher le Christ », élever les regards vers le Père au-delà de sa personne, comme le Christ l’a fait lui-même quand, à la question du jeune homme riche « Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? », il répond : « Pourquoi me demander ce qui est bon? Il n’y a de bon que notre Père qui est dans les cieux ». Le Christ a vraiment essayé par tous les moyens imaginables d’éviter tout « culte de la personnalité » à son égard. Il a fréquemment laissé les foules mécontentes pour s’en aller Seul dans le désert. Et il faut aussi tenir compte du fait qu’Il recommande à plusieurs reprises à ceux qui ont été sauvés par ses miracles de ne pas en parler à qui que ce soit. L’un des pires moments vécus par le Christ dans l’Evangile de Saint Jean se situe après la multiplication des pains quand les foules crient leur désir de le faire « roi ». Il s’enfuit au plus vite. En fait, le chemin vers le Calvaire commence immédiatement après. Le pape François n’est pas exactement un « homme médiatique ». Mais le problème d’une personne humble qui ne s’intéresse pas vraiment aux média, c’est qu’il ne comprend peut-être pas à quel point sa personnalité et son style finissent par dominer le message. Il est devenu « le scoop ». C’était pareil pour le pape Jean-Paul II au début de son pontificat. Mais ensuite il a rédigé Redemptor Hominis et Familiaris Consortio et défendu Humanae Vitae avec « sa théologie du corps » et les choses ont commencé à changer. Le pape François a réussi à empêcher la curie de le mettre sur un faux trône en or. Je ne veux pas non plus que les média le mettent sur un trône. Ce genre de « trône » est une prison. Les foules ont acclamé le Christ leur « roi » quand elles ont cru pouvoir le contrôler – quand elles ont cru qu’il leur donnerait du pain et des victoires politiques sur leurs ennemis. Quand elles ont découvert que le Royaume qu’Il apportait exigeait d’elles davantage que des bravos à distance, elles L’ont crucifié.
— – Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/francis-the-man-and-the-message.html Légende de la couverture de Vanity Fair : « Ce média a-t-il aussi bien accueilli le message que l’homme ? »
Randall B. Smith est professeur à l’Université de Saint Thomas (Saint Paul, Minnesota) où il a récemment été nommé à la Chaire Scanlan de théologie.