LE NOMBRIL DU MONDE (*) - France Catholique
Edit Template
« Ô Marie conçue sans péché »
Edit Template

LE NOMBRIL DU MONDE (*)

Copier le lien

Le mystère des quasars rebondit nous en parlerons plus en détail dans une prochaine chronique (a). Je voudrais expliquer aujourd’hui en quoi ce problème d’astronomes doit donner à réfléchir à tout homme sensé, même non-astronome.

Quand, dépouillant tout orgueil, on lit Isaïe, Daniel, l’Ecclésiaste et maint autre texte de la Bible, on ne peut que se convaincre de la petitesse de l’homme dans l’univers. Mais savoir cela par la foi et y être conduit par la science sont deux voies inégales. Si la Bible va au fond des choses, elle n’instruit que le croyant. Au lieu que même l’esprit fort et je dirai surtout lui, s’il est conséquent, est contraint de se rendre aux enseignements de la science. Rappelons donc d’abord quelques chiffres.


Le vertige des nombres

Supposons que la Terre soit réduite à une petite bille d’un demi-millimètre de diamètre. A la même échelle, le Soleil aura la taille d’une boule de billard située à 7,60 mètres. La Lune, quant à elle, ne sera qu’un grain de poussière d’un dixième de millimètre tournant à 4 centimètres de la Terre. Mais le Soleil, on le sait, n’est qu’une étoile. Toujours à la même échelle, où devrions-nous placer la plus proche étoile après lui ? A 2 000 kilomètres. Cette étoile (Proxima du Centaure) et notre Soleil appartiennent à un même système, notre galaxie, la Voie lactée. Les mêmes proportions étant gardées, notre petite bille d’un demi-millimètre se trouvera à quelque 20 millions de kilomètres du centre de la galaxie : nous avons beau faire et réduire la Terre à un grain de poussière, de nouveau nous revoici confrontés avec l’immense.

Cette galaxie, au moins sera-t-elle le tout de l’univers ? Eh, non ! Pointé sur un petit coin de ciel dans la constellation appelée Chevelure de Bérénice, le télescope Schmidt de 45 centimètres du mont Palomar obtient une petite plaque photographique moins large que l’ongle du pouce et où, à l’agrandissement, on compte 654 galaxies. Rappelons que, dans une galaxie moyenne, il y a entre 100 et 200 milliards de Soleils. Laissons là le Schmidt de 54 centimètres d’ouverture et pointons vers le même canton du ciel le Schmidt de 120 centimètres du même observatoire. Cette fois, on compte 10 724 galaxies. (b)

Ces chiffres, cent fois vulgarisés, sont bien connus. Ils écrasent. Et comme ils écrasent, notre désir d’aveuglement y cherche une parade. Cette parade (on en voit une belle démonstration dans le livre de Monod (c ) est habituellement la théorie du nombril du monde. Certes, admet-on, l’univers matériel est immense. Mais ce n’est que l’univers matériel, dominé par la pensée de l’homme. La preuve de sa domination, c’est qu’il mesure cette immensité.

Certes. Mais d’où tient-on que cette immensité n’est que matérielle ? Il y a exactement dix ans, en novembre 1961, l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis réunissait à l’Observatoire national américain de radioastronomie une commission de onze astrophysiciens, chimistes et biologistes à qui l’on demandait d’émettre un point de vue sur la possibilité de la vie extraterrestre (1). Ces savants tombèrent d’accord pour estimer que l’existence de la vie, et d’une vie évoluée, est infiniment probable dans l’univers cosmique.

En fondant leurs évaluations sur ce que l’on sait de l’apparition de la vie sur terre, sur ce que l’on sait d’autre part des systèmes planétaires, stellaires, du nombre des étoiles de type solaire et de tous les éléments désirables pour une telle discussion, ils proposèrent le nombre d’un million comme une évaluation très raisonnable du nombre des civilisations au moins aussi avancées que la nôtre dans notre seule galaxie. Les chiffres extrêmes avancés s’étalaient entre 10 000 et un milliard de civilisations. Revenant plus récemment sur cette discussion (2), l’astrophysicien français Pierre Guérin confirmait en gros cet ordre de valeurs. (d)
Cela pour notre seule galaxie. Et je rappelle que l’on peut compter 10 724 galaxies sur une photo plus petite qu’un timbre-poste.

Pas de preuves des présomptions

Sans doute peut-on plaider qu’il ne s’agit là que de présomptions : la preuve scientifique qu’il existe une seule de ces civilisations présumées reste encore à faire. Mais il faut remarquer que l’absence de preuve revêt en l’occurrence une signification très restreinte : il y a une différence essentielle entre l’absence de preuve par échec et l’absence par impossibilité. Il s’agit ici d’une absence par impossibilité : pour l’instant, il n’existe aucun moyen d’obtenir cette preuve, même s’il y a autant de civilisations que d’étoiles. En revanche, toutes les présomptions expérimentales imaginables sont positives. Pour que la vie apparût quelque part ailleurs que sur la Terre, il fallait que les étoiles fussent des soleils, que ces soleils eussent des planètes, que la structure terrestre (composition chimique du sol, atmosphère faite d’azote, d’eau et de gaz carbonique) découlât des mécanismes ordinaires de formation des planètes, que les matériaux fondamentaux de la vie fussent abondants dans l’espace. Tout cela est prouvé par l’observation (e ).

Le dernier élément (abondance des molécules organiques dans l’espace) a été démontré par les expériences d’astronautique depuis la Conférence de 1961. Autrement dit, chaque fois que l’on a les moyens de tester une nouvelle présomption favorable, le test s’avère positif. Dans toute la mesure de ce qui est décelable par les moyens de la science, l’univers semble être conçu en vue de la vie (f).


En direct de la création

Et c’est ici que le problème des quasars prend sa signification. Les quasars sont, jusqu’à nouvel ordre, les corps les plus lointains accessibles à la science. Ils sont si éloignés que la lumière que nous en recevons a mis parfois près de dix milliards d’années pour nous parvenir. En d’autres termes, ils nous livrent une image de l’univers toute proche de ses origines, et peut-être de sa création. Il est difficile à quiconque admet un sens aux choses de croire que s’il nous a été donné de porter jusque-là nos regards ce ne fut pas pour nous éclairer.

Aimé MICHEL

(1) Carl Sagan : Direct contact among galactie civilizations by Relativistic interstellar spaceflight. (Planetary and Space Science, vol. 11 p. 485, 1963.) Carl Sagan est professeur d’astrophysique à l’Université Cornell et astronome au Smithsonian astrophysical Observatory.

(2) Pierre Guérin Planètes et Satellites p. 291. (Larousse.) Guérin est maître de recherches à l’Institut d’astrophysique de Paris.

(*) Chronique n° 60 parue initialement dans France Catholique – N° 1298 – 29 octobre 1971.

— –

Notes de Jean-Pierre Rospars

(a) Il s’agit de la chronique n° 68 Les savants russes et les anges que nous publierons ici dans un proche avenir.

(b) Cette immensité de l’univers est illustrée d’une autre manière dans le livre de Philip Morrison, Phylis Morrison et l’Agence Charles & Ray Eames (trad. A.-Y. Le Dain et J. Prévot) : Les puissances de dix. Les ordres de grandeur de l’univers ou ce qui apparaît quand on ajoute un zéro à une puissance de dix. Pour la science, diffusion Belin, Paris, 1984. Chacune des 42 illustrations y donne une représentation visuelle de l’univers, du macrocosme au microcosme. Le passage d’une illustration à l’autre se fait en multipliant par 10 le côté du carré de la page qui précède. Partant de notre échelle (1 m) la Terre est presque toute entière visible dans la 7ème image (10 000 km de côté), le système solaire dans la 13ème (10 milliards de km), notre galaxie dans la 21ème (100 000 années-lumière), une vingtaine de grandes galaxies et autant de nuages plus petits apparaissent sur la 23ème (10 millions d’années-lumière, ou 3 mégaparsecs). On arriverait presque aux confins de l’univers visible sur la 26ème image (10 milliards d’années lumière) que le livre ne montre pas. Signalons au passage que l’un des auteurs de ce livre, Philip Morrison, et son collègue Giuseppe Cocconi, qui furent tous deux professeurs de physique à l’université Cornell, sont les auteurs d’un article célèbre, paru dans le journal Nature en septembre 1959, intitulé « A la recherche des communications interstellaires ». Ils furent en effet les premiers à écrire que les radiotélescopes en service étaient assez sensibles pour détecter des signaux radio provenant d’étoiles éloignées, signaux de même type et intensité que ceux que nous pourrions émettre à partir de la Terre…

(c ) Allusion au célèbre livre de Jacques Monod Le hasard et la Nécessité (Le Seuil, 1970) auquel Aimé Michel a consacré sa chronique n° 33 du 7 mai 1971, reproduite au chapitre 4 « Evolution biologique » de La clarté au cœur du labyrinthe, pp. 116-123.

(d) Les évaluations n’ont pas fondamentalement changées, sauf sur un point capital : depuis 1995 on est capable de détecter les grosses planètes d’autres systèmes stellaires avec certitude (voir les notes de la chronique n° 14 Combien de Terres dans l’espace ?, publiée ici le 6 juillet) et donc de commencer à évaluer la fréquence possible de planètes plus petites, de type terrestre, en extrapolant les données disponibles. La fréquence ainsi estimée est élevée, ce qui est fort encourageant pour la prochaine étape de cette recherche, à savoir la découverte de planètes semblables à la Terre par la taille et la distance à leur étoile.

(e ) Cette conclusion est exacte, sauf pour le 3ème point (composition du sol et de l’atmosphère) : en 2009 on ne dispose toujours pas d’observations directes du sol et de l’atmosphère de planètes en orbite autour d’autres étoiles. Cependant, à ma connaissance, personne ne paraît douter que de telles planètes de structure terrestre seront découvertes dès que les méthodes d’analyse seront devenues suffisamment sensibles. Par contre le passage de la matière à la vie reste fort mal compris.

(f) Aimé Michel reviendra souvent sur cette idée qui a fait son chemin depuis. L’un des derniers livres en date est celui de Paul Davies : The goldilocks enigma. Why is the Universe just right for life? Allen Lane, Penguin Book, Londres 2006 (L’énigme des boucles d’or. Pourquoi l’univers est-il si bien adapté à la vie ?). Les astronomes appellent la zone habitable autour des étoiles (et des galaxies) « zone confortable », « ceinture verte » ou encore « zone des boucles d’or » parce que la température n’y est ni trop froide ni trop chaude mais juste comme il faut pour que l’au soit liquide et les molécules organiques métastables.