Arriver aux abords de Noël, être proche de la veillée de Noël a toujours impressionné les chrétiens et notamment les enfants, pas tellement à cause des cadeaux, mais à cause du sentiment indicible d’entrer dans le plus prodigieux des mystères. Un mystère complètement original et propre à l’univers chrétien. La naissance de Jésus n’a rien à voir, contrairement à ce qu’a pu prétendre un Eugen Drewermann, avec la naissance des dieux égyptiens. Pour comprendre la naissance virginale et l’incarnation du Verbe, il faut renoncer absolument à la mythologie. Nous sommes dans l’histoire, avec un événement tout à fait singulier, qui est la naissance d’un petit enfant, d’un petit d’homme, qui s’appelle Jésus, né de la Vierge Marie qui l’a engendré selon la chair. Rien à voir avec les images archétypales des religions antiques. Nous ne sommes pas dans le monde des images et des mythes. Nous sommes dans la réalité biologique d’une naissance, celle qui fait advenir parmi nous le Verbe qui s’est fait chair.
Je ne veux évidemment pas nier l’extraordinaire part de poésie qui entoure Noël, et je suis prêt à admettre, mais seulement jusqu’à un certain point, que le merveilleux païen a pu s’associer au mystère chrétien. Après tout, le Moyen-Age a reconnu chez Virgile un prophète de la Nativité, et l’on sait que là où nous vénérons Notre Dame de Chartres, une virgo paritura, une vierge qui devait engendrer, était honorée par nos ancêtres païens. Mais c’est le réalisme historique et humain qui caractérise l’annonce évangélique, avec l’épiphanie de Dieu parmi nous, selon des modalités inconnues hors du christianisme. Encore une fois, cela ne veut pas dire que Noël soit étranger aux merveilles de l’art. Bien au contraire, il les sollicite, il les appelle, ainsi que le montre un extraordinaire patrimoine. J’ai tout près de moi une reproduction de la Nativité du maitre de Moulins, qui se trouve au musée d’Autun, inépuisable représentation du secret divin au cœur de la réalité la plus visible.
Mais il est une autre sorte d’expression artistique qui se trouve associée au mystère chrétien. C’est celle du théâtre, et ce peut être aussi celle du cirque. Nous le savons aujourd’hui avec la messe célébrée à la fin de la représentation sous le chapiteau et alors que nous rendons visite à M. Alexis Grüss. Il n’est pas jusqu’à la figure du clown qui ne puisse évoquer celle du Christ. Ce n’est pas impensable, même si c’est paradoxal. L’immense théologien qu’était Hans Urs Von Balthasar a consacré au sujet toute une section de sa somme intitulée La Gloire et la Croix. On sait que dans l’Église d’Orient il y avait des fous de Dieu, il y en avait aussi dans l’Église d’Occident, ne serait-ce qu’avec ce clown perpétuel qu’était Saint Philippe de Néri et qui, nous dit Balthasar, émouvait considérablement un Gœthe pourtant très rétif au christianisme. Mais il y a le clown lui-même, tel que Rouault l’a peint dans l’exacte ressemblance christique et où nous pouvons reconnaître Jésus à travers l’humiliation et l’offense. Rouault fait surgir une lumière inattendue du visage grimé, qui peut devenir le Crucifié à la couronne d’épine. C’est pourquoi le Christ peut entrer au cirque Grüss, il y est accueilli pas des clowns en qui rayonne un humanité singulière, celle que le peintre a révélé de tout son génie.