Quand un ami du Progrès veut dire du mal du passé en général et de la religion catholique en particulier, il n’est pas rare qu’il entonne la rengaine la plus éculée, la plus rapetassée qui soit, véritable prière indulgenciée du rituel anticlérical : « Vous rendez-vous compte, au Moyen Âge, l’Église pensait que la Terre était plate. Il a fallu attendre Christophe Colomb – ou Galilée selon les versions – pour faire admettre qu’elle était ronde. » Voilà de quoi « faire hennir les constellations », comme disait Léon Bloy. Car, là-dedans, tout est faux.
Leçon des Grecs
Voyons cela de près. D’abord, en Occident, tout le monde pense que la Terre est ronde depuis très longtemps. Il faudrait remonter, pour trouver des gens qui pensent le contraire, aux poètes présocratiques (avant 500 av. J. -C.). Car, à partir de Platon et Aristote et jusqu’à nos jours, tous les savants, astronomes, philosophes et théologiens ont adhéré à des visions du monde affirmant la rotondité de la Terre. Outre que la forme sphérique a toujours été considérée, dans le monde grec à partir de Pythagore, comme la forme parfaite, des arguments empiriques ont très tôt été mis en avant. Aristote par exemple citait la forme circulaire de l’ombre projetée par la Terre sur la Lune lors des éclipses (Traité du ciel, II, 14) ou la disparition des navires à l’horizon.
Mieux que cela, Ératosthène (276-194 av. J.-C.), bibliothécaire d’Alexandrie, réussit à évaluer, par la comparaison géniale des angles faits par les rayons du soleil avec des objets distants à la surface de la Terre, la circonférence de notre planète : il a trouvé 39 600 km alors que la longueur exacte est de 40 000 km.
Dans le monde chrétien
Or, tout cela s’est ensuite consolidé, formalisé dans le système cosmologique de Ptolémée (100-168) – L’Almageste – qui s’est transmis au monde chrétien, où il constituait la base de l’enseignement de l’astronomie. Saint Augustin lui-même, qui n’était pourtant pas particulièrement versé dans les sciences naturelles, admettait sans sourciller la rotondité de la Terre (cf. De la Cité de Dieu, XII, 25).
Pour ce qui concerne précisément le Moyen Âge, on dispose, par exemple du traité d’astronomie qui était en usage à la Sorbonne au XIIIe siècle et dont le titre à lui seul est assez évocateur : le De sphæra mundi – « Sur la sphère du monde » –, de Johannes de Sacrobosco, qui resta utilisé jusqu’à l’époque du chanoine Copernic. On pourrait continuer d’accumuler les noms – Jean Scot Érigène, Bède le Vénérable, saint Thomas d’Aquin, Nicolas Oresme – mais les images sont aussi très probantes : sur les représentations médiévales, la terre est ronde comme une orange !