À la une du Monde d’hier, un grand tiers de page où se profile la silhouette du pape François. Ariane Chemin, grand reporter au journal du soir, et au demeurant journaliste talentueuse, se lance dans une vaste enquête « sur les traces du pape François ». Elle a enquêté sur tout son parcours, de Buenos Aires à Rome. La première partie publiée est prometteuse à cause de son sérieux minutieux et de la visible sympathie de l’auteur pour le personnage. On peut comprendre les motifs qui ont conduit les responsables du Monde à se lancer dans une telle entreprise. Le pape Bergoglio continue à surprendre, à intriguer, parfois à désarçonner. Comment qualifier cet homme venu d’ailleurs et qui semble, comme à plaisir, mécontenter successivement sa droite et sa gauche ?
On n’est sûrement pas ravi, au Monde, d’entendre François fustiger l’avortement, avec la vigueur que l’on sait. Tout l’univers médiatique en a frémi, comme d’un coup de poing au plexus. Et pourtant, sa toute première homélie, à l’aurore de son pontificat, aurait dû alerter. Un prédicateur qui cite Léon Bloy, notre prophète ingrat, en une de ses formules choc, n’aura rien à voir avec un dispensateur d’eau tiède. Mais par ailleurs, on s’est plu aussi à le qualifier de progressiste, pour ses positions sociales, sa dénonciation du culte de l’argent et de la spéculation, sa défense ardente des migrants. Comme si c’était contradictoire. Le mot progressiste est susceptible de bien des désinences. Il ne convient sûrement pas au Pape, dans le sens qu’il avait autrefois. Pendant la dictature de Videla en Argentine, le père Bergoglio a eu fort à faire sur son aile gauche avec la tentation de certains à rejoindre une révolution de style guévariste.
Il convient donc de prendre Jorge Bergoglio pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit. Christiane Rancé, qui a écrit un très bon livre sur lui1., n’a pas tort d’évoquer l’ombre de Don Camillo. Non, ce n’est pas une galéjade, même s’il y a une forte dose d’humour dans ce rapprochement. Un Don Camillo, qui n’aurait pas que le seul Peppone en face de lui, dont il connaît tous les ressorts. Non, le Peppone avec lequel il doit se confronter est à multiples visages. Il pose des problèmes immenses. Et notre Don Camillo a besoin de toute sa force pour déjouer ses pièges. Un Don Camillo, bien sûr qui a la foi grande comme une montagne.