Il est inquiétant ce moment où le principe de vie a été retiré de la loi irlandaise.. Les irlandais ont une histoire dont les évènements affectent de façon disproportionnée ce que l’on considérait habituellement comme la civilisation occidentale.
Nous devons une immense dette de gratitude à ceux qui ont combattu pour maintenir l’Irlande comme un pays « anti-avortement », et dont le combat continuera. Comme l’a remarqué un de leurs meneurs après le désastre : « Chaque fois qu’un enfant non né voit sa vie interrompue en Irlande, nous nous y opposerons et ferons entendre nos voix. »
L’admission formelle de l’Irlande dans les rangs des bien-pensants en faveur de l’avortement n’est pas surprenante. En 2015, l’Irlande a introduit le mariage homosexuel, également par referendum. Ces deux changements ont bénéficié d’un soutien grandissant, bien avant leur adoption formelle.
La hiérarchie catholique d’Irlande n’était pas en position d’influencer aucun des deux débats. En 2010, Benoit XVI a condamné son délit collectif dans le scandale des abus sexuels sur mineurs. Il a dit aux évêques, « vous et vos prédécesseurs avez fauté, parfois gravement », notant que leurs « graves erreurs de jugement » et « manquements dans votre aptitude à diriger » avaient « sapé votre crédibilité et votre efficacité ». La foi irlandaise a des défenseurs laïcs brillants et énergiques et beaucoup de prêtres et de religieux magnifiques, mais peu de voix ecclésiastique.
Dans une lettre pastorale aux irlandais la même année, le pape Benoit a appelé l’attention sur le rôle civilisateur que les catholiques irlandais ont joué en occident.
Historiquement, les catholiques d’Irlande ont fait preuve d’une force énorme pour le bien chez eux et à l’étranger. Des moines celtiques tels Saint Colomban, ont propagé l’Evangile dans l’Europe occidentale, et posé les fondations de la culture monastique médiévale. Les idéaux de sainteté, de charité, et de sagesse transcendante nés de la foi chrétienne ont trouvé leur expression dans la construction d’églises et de monastères, et l’établissement d’écoles, de bibliothèques et d’hôpitaux, et tous ont contribué à consolider l’identité spirituelle de l’Europe.
Les moines irlandais, y compris ceux qui étaient dans des monastères fondés dans les îles britanniques et sur le continent, ont préservé ce qui en valait la peine dans l’occident après la chute de l’Empire romain – c’est l’origine de « l’option bénédictine».
Le vote irlandais ne met rien de nouveau en route, mais scelle quelque chose qui était sous-jacent depuis des dizaines d’années. La proclamation du taoiseach (premier ministre) comme quoi le référendum marque « une révolution tranquille » est fausse ; c’est une bruyante consolidation de décennies de changement social progressif soigneusement forcé, et de relativisme séculaire.
Si le moment présent semble particulièrement inquiétant, à quoi pourrions-nous le comparer ? Il y a de nombreux cas dans l’histoire occidentale où quelqu’un a tenté de rejeter la répression d’un ordre ancien : La réforme de Luther ; Descartes et Bacon jetant par-dessus bord les causes finales dans les sciences physiques ; Machiavel et Hobbes faisant de même en politique ; la destruction de la Bastille en France et la substitution de la raison détraquée à la foi surnaturelle ; l’abandon par le Québec catholique de la foi ; Roe contre Wade- et le destin récent d’Alfie Evans.
Le fait que l’Irlande presque seule en occident, maintenait strictement sa loi selon ses principes – c’est-à-dire, l’illégalité du meurtre à n’importe quel stade de la vie – était très important. La loi, dit Saint Thomas d’Aquin, est « la raison ordonnée pour le bien commun, promulguée par quelqu’un qui est en charge de la communauté ». L’Irlande était le dernier grand champion d’une loi fondamentale qui commandait et enseignait le bien commun en accord avec la raison, le dernier morceau de marchandage, que les habitants de l’occident, corrompu depuis longtemps, pouvaient utiliser pour négocier avec le Seigneur, comme Abraham l’a fait quand il intercédait pour Sodome si quelques justes pouvaient y être trouvés.
Ce moment supporte également la comparaison avec la chute de Rome, processus qui se déroula sur plusieurs siècles, mais vit une étape critique dans le sac de la ville par les Wisigoths en 410, ce qui amena Saint augustin à écrire « la cité de Dieu » et dessina le paysage dans lequel, un siècle plus tard Saint Benoit introduisit le monachisme que les irlandais saisiraient, cultiveraient et dont ils provoqueraient l’expansion.
Rome avait vu la corruption et avait subi des revers et des sièges bien avant le sac. Mais le sac lui-même fut la fin décisive de l’ordre romain. Ce fut le « commencement final » du désordre d’où, par un effort pénible, la prière et la pénitence, les moines irlandais aideraient à dessiner un ordre nouveau, non pas volontairement, mais simplement en cherchant Dieu.
Saint Jérôme, entendant parler du Sac, fondit en larmes et parla de la chute morale et spirituelle de Rome plutôt que de sa chute matérielle.
La ville de renom, capitale de l’empire romain, est avalée dans un terrible incendie ; et il n’y a nulle part sur terre où les romains ne se soient exilés. Les églises, autrefois sacrées, ne sont plus qu’amas de poussière et de cendres ; et pourtant, nos esprits sont fixés sur l’appât du gain. Nous vivons comme si nous allions mourir demain ; et pourtant, nous construisons comme si nous devions vivre toujours dans ce monde. Nos murs brillent d’or, nos plafonds aussi, ainsi que les chapiteaux de nos piliers ; cependant le Christ meurt devant nos portes nu et affamé, dans la personne de Ses pauvres.
« Ses pauvres » de nos jours vont maintenant inclure les fœtus d’Irlande, et leurs parents qui ont été privés de la compréhension raisonnée de ce que sont ces enfants.
L’aujourd’hui de l’occident n’est pas la Rome de 410. « Cette fois-ci », comme l’écrivait Alasdair MacIntyre dans Après la vertu en 1981, « les barbares n’attendent pas derrière la frontière ; Cela fait déjà un moment qu’ils nous gouvernent ». Les circonstances actuelles diffèrent de celles qui ont amené les irlandais à sauver la civilisation, selon la phrase de Thomas Carhill, et MadIntyre serait atterré d’être devenu la source de ce que l’on nomme grosso modo la nouvelle « option bénédictine ».
Mais dans ce moment inquiétant, nous ferions bien d’être en alerte devant la possibilité selon MacIntyre d’un « autre – certainement très différent – Saint Benoit ». Non pas un homme fort politique, ni un messie charismatique, peut-être pas une seule personne, mais plusieurs, ou une communauté qui dans les ruines du moment, montre le chemin transcendant à travers l’obscurité.
Peut-être même quelqu’un venant d’Irlande dont le message sera l’ancien message, renouvelé pour un autre âge, message qui avait été porté au monde autrefois par les Irlandais, et pendant des siècles.
27 mai 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/27/the-irish-moment-at-home-and-beyond/
Image: Massacre des Innocents par François-Joseph Navez, v. 1860 [Metropolitan Museum, New York]