C’est mon métier de journaliste qui m’autorise à éditorialiser sur Radio Notre-Dame et je sais trop que ce métier n’est pas indemne de défauts. Il m’arrive de me tromper. N’en ai-je pas fait l’aveu, hier même ? C’est la rançon, souvent, de la rapidité. Les événements vont vite, et nous sommes tentés de les rattraper au risque d’être approximatifs et inexacts. Pourtant, à observer le fonctionnement des nouvelles pratiques de communication qui sont apparues et se sont développées de façon fulgurante, je trouve matière à faire l’apologie du journalisme, qui me semble garder une distance raisonnable, celle qui laisse le temps de s’informer sérieusement et de réfléchir un peu, avant d’écrire et de parler. Devenu plutôt familier des sites internet d’information et de discussion, j’y trouve parfois mon bien mais je suis effaré par les débordements et surtout par les « passions basses » qui s’y déploient. L’excellent philosophe qu’était Max Scheler a écrit un essai intitulé « l’homme de ressentiment ». Il y aurait de quoi aujourd’hui illustrer son analyse, corroborée par des centaines, voire des milliers de propos amers, injurieux ou blessants.
Oh, je ne suis pas ennemi de la polémique, et j’ai parmi mes auteurs privilégiés quelques plumes acérées, dont la férocité était parfois un peu démesurée. Je pense à ce cher Léon Bloy, par exemple. Mais ses excès n’étaient pas inspirés par la bassesse. Pourtant, il y a une forte probabilité que les rédacteurs en chef d’aujourd’hui seraient obligés de censurer ses violences. Le problème est moins d’ailleurs celui de la virulence que d’une certaine qualité d’âme. Or il se trouve que les merveilleux instruments techniques, dont nous disposons désormais, facilitent l’expression de cette noirceur, de cette amertume à peine tempérées par les éclats d’humour de quelques lutins.
Mais je me suis laissé entraîner à propos de cette tonalité réactive, alors que je désirais surtout mettre en valeur le sérieux du journalisme de fond. J’y reviendrai, et je ne résiste pas à citer cette formule de mon collègue Daniel Schneidermann, l’expert d’Arrêt sur images : « Sur internet, il faut que ça fuse, que ça buzze, que ça tweete. » Eh bien le journalisme, tel qu’il doit se défendre aujourd’hui, a le premier devoir de se calmer pour réfléchir et – qui sait ? – échapper aussi au ressentiment.