L’irremplaçable Léon Kass, ancien président du Conseil de Bioéthique du Président des Etats-Unis (du temps où il y avait encore un Conseil de Bioéthique, durant la présidence Bush, la bioéthique n’ayant pas suscité grand intérêt ces huit dernières années) a inventé la formule « Projet d’Immortalité ». Il décrivait le but de quelques zélés praticiens de la communauté scientifique qui souhaitent prolonger indéfiniment la vie humaine, que ce soit sous forme physique ou en téléchargeant ce qu’ils considèrent comme nos « esprits » dans un « nuage » loin d’être céleste. Savoir si ce serait « la vie éternelle » ou une manifestation humaine de l’enfer – une vie sans corps ; chagrins et souffrances sans fin ; aucun repos ; pas de telos ou de but final ; juste une terne perpétuation de… quoi au juste ? Je vous laisse décider.
Mais il y a un autre aspect à ce « Projet d’Immortalité », un aspect non immédiatement évident mais logiquement nécessaire, a suggéré l’autre jour notre Socrate américain, l’irrépressible et inarrêtable père James Schall. Connaissez-vous d’autres vétérans de 1946 qui écrivent et donnent des cours sur la philosophie chaque jour ? Je l’ai vu à des centaines de kilomètres de la communauté de la côte ouest où il a pris sa retraite, venu à l’université Saint Thomas de Houston, à qui il faisait l’honneur de donner une conférence et de recevoir sa médaille de Saint Thomas d’Aquin.
Schall, toujours à souligner les choses évidentes pour les gens de bon sens, a mentionné en passant que « si l’on garde les gens en vie, il n’est plus besoin de naissances… ni de sexualité. » Schall était dans une de ses délicieuses digressions – j’ai toujours pensé qu’un grand orateur était celui dont les digressions étaient aussi intéressantes que le discours lui-même, si pas davantage. Donc, après cela, il est retourné à ses séries de commentaires complexes et fascinants sur le pape Benoît, Spe Salvi, les marxistes Adorno et Horkheimer, Platon (toujours Platon!), la justice ; l’immortalité et la résurrection de la chair. (Il faut vous accrocher pour assister à une conférence de Schall : les grandes pensées vous tombent dessus avec la force de l’eau sortant d’une bouche à incendie.)
Ayant entendu son commentaire, ma première pensée a été que les gens pourraient ne pas aimer une vie sans sexualité. Mais alors il se présenta à mon esprit que les exigences de ceux qui embrasseraient les promesses du Projet d’Immortalité ne seraient pas la suppression de la sexualité. Ils voudraient du sexe sans risque de bébé. D’où la nécessité de normaliser toutes les formes de sexualité non reproductive : une nouvelle catégorie dont on ne remarque même plus l’étrangeté. Cette étrangeté était évidente dans le commentaire du père Schall, lui qui est d’une génération ancienne.
Durant la plus grande partie de l’histoire humaine, la sexualité, c’était s’engager dans un acte procréateur. Les autres activités procurant un plaisir sexuel (la masturbation par exemple) étaient pratiquées quand les gens ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles. Maintenant, tout ce qui implique un plaisir sexuel est qualifié de sexualité, si bien que la « sexualité reproductive » est devenue une catégorie parmi bien d’autres, plutôt que le sens premier du terme, dont tous les autres dérivent par analogie. Les gens de la nouvelle génération disent : « oh, vous désirez cette forme de sexualité » là où les membres des anciennes générations auraient répondu : « ben oui , la sexualité, la seule, la vraie ».
Une confusion de termes semblable est advenue, et pour des raisons assez similaires, avec le mot famille. Maintenant les gens peuvent demander : « quel genre de famille désirez-vous fonder ? ». Ils veulent dire par là : « laquelle des options pensez-vous choisir, parmi toutes celles qui s’offrent à vous ? » – comme si choisir le style de famille que vous voulez équivalait à choisir une marque de liquide vaisselle au supermarché.
Concernant le Projet d’Immortalité, une chose est rarement avouée : qu’il implique nécessairement de produire une future race humaine asservie à la première génération d’immortels, ce pourquoi nous déblayons déjà la route. Aldous Huxley avait compris ce besoin, ce qui vaut à « Le meilleur de mondes », de concert avec « 1984 » et « La ferme des animaux » de George Orwell, de faire partie des livres les plus importants et prophétiques sur la modernité.
Nous nous disons que les Gammas, Delta et Epsilons génétiquement modifiés de Huxley, qui effectuent toutes les tâches pénibles pour les Alphas et les Bétas, ne peuvent pas exister dans notre monde égalitaire. Sommes-nous si naïfs ? Dans un monde où de « bons libéraux » louent des immigrés pour les tâches mal payées que sont le travail domestique et la garde des enfants ; où les enfants à naître sont éliminés quand ils ne répondent pas aux attentes haut de gamme de leurs futurs parents ou acheteurs en ce qui concerne leur capital génétique (pas assez exempts de défauts génétiques, pas assez intelligents, pas dignes de l’Ivy League, pas du bon sexe) – sommes-nous réellement sûrs que, si l’on créait génétiquement de tels Deltas « pas tout-à-fait humains », une société avec des demandes telles que les nôtres, contrôler la nature et être libre de ses choix autonomes, voudrait interdire à d’autres l’exploitation de leurs nouveaux esclaves créés génétiquement ?
La société n’interdit pas aux individus autonomes l’extermination des enfants à naître ni l’expérimentation sur les fœtus. Est-il une chose à laquelle nous dirions « non », si elle est prônée au nom de la science et du progrès : « les OGM, jamais dans notre assiette, mais ils procurent la parfaite liberté domestique pour la femme moderne. Ils ne se plaignent jamais ; ils n’aiment rien tant que vous servir. Et ils sont si mignons. Ils deviendront un membre de votre famille – comme votre fidèle compagnon chien, comme des huskys capables de faire le ménage. »
Il y a quelque chose de très humain dans la requête de Dylan Thomas à son père vieillissant :
N’entre pas gentiment dans cette belle nuit.
Révolte-toi contre l’affaiblissement de la luminosité.
Succomber à cette tentation aurait toutefois été d’une folie achevée.
La fascination moderne pour les vampires suggère les morts innocentes que certains semblent prêts à accepter pour vivre à jamais. Les vampires sont à la fois une parfaite métaphore et un avertissement pressant contre l’obsession moderne du Projet d’Immortalité avec la recherche détruisant les embryons : des millions meurent, mais nous vivons. Avec le contrôle ultime sur la vie et la mort, nous devenons des dieux.
Mais, une fois que vous vous êtes fait dieu, les autres ne peuvent plus être que deux choses : une menace pour votre pouvoir et votre autonomie, ou des objets à manipuler. L’histoire de Satan aurait dû nous enseigner cela, à défaut d’autre chose.
https://www.thecatholicthing.org/2017/02/01/the-immortality-projects-brave-new-world/
Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston. Il a écrit plusieurs livres.