Semaine d’expectative : les trois premières matinées de la semaine, j’étais à la Cour suprême, m’accrochant à ce que la Cour déciderait à propos du mariage. Et désormais tout le monde sait que les décisions publiées mercredi marquent un tournant dans le conflit de culture.
Mark Twain disait de la musique de Wagner « elle n’est pas aussi médiocre que ce qu’on en entend. » Mais ces attendus étaient pires que ce qu’on en entendait. Certains amis se sont amusés à chercher des raisons de poursuivre la contestation politique du mariage État par État. C’est nécessaire, bien sûr. Mais il faudra se creuser la tête pour trouver d’autres pistes.
La Cour n’a pas traité la question du mariage comme elle l’avait fait dans l’affaire Roe contre Wade 1. Elle n’a pas d’un coup de balai abrogé les lois interdisant le mariage homosexuel. Mais les juges ont mis en place les outils juridiques nécessaires, il suffira alors que les plaignants fassent le nécessaire pour achever le travail.
Ils vont défier les lois [propres aux États] ne prévoyant pas le mariage homosexuel et les constitutions [d’États] l’interdisant. Ils n’auront qu’à se référer au langage pesant du Juge Anthony Kennedy dans l’arrêt U.S. v Windsor réduisant à néant la Section 3 du Defense of marriage Act (« DOMA » : Décret de protection du mariage) de 1996. Ce qui donnera assez d’arguments pour abattre n’importe quelle barrière encore debout contre le mariage homosexuel.
Par la Section 3 du « DOMA » le Congrès stipulait que « mariage » ne désignerait que « l’union légale d’un homme et d’une femme, mari et épouse ». Mais selon le juge Kennedy cette affirmation de signification du mot « mariage » comportait une condamnation haineuse. Affirmant que le mariage implique une relation entre un homme et une femme, le Congrès dénigrait et dégradait les gays et lesbiennes, leur récusant une « égale dignité » et les stigmatisant.
Le juge Scalia remarquait que Kennedy accusait essentiellement de bigoterie les rédacteurs de ce texte, mais aussi les 85 sénateurs et les 347 députés qui l’avaient voté, ainsi que le président (Clinton) qui l’avait promulgué. Tous des fauteurs de haine.
Mais il importe de rappeler les circonstances incitant certains d’entre nous à promouvoir le « DOMA ». La Cour Suprême de l’État de Hawaï avait légalisé le mariage homosexuel dans cet État. La question se posait alors, les couples pouvant se marier à Hawaï, si, en application de la clause « Full Faith and Credit » de la Constitution (fédérale) 2, cette forme de mariage se faufilerait dans tous les autres États. Un seul État aurait ainsi la possibilité d’étendre à toute la nation ce « mariage homosexuel ».
Un État serait en droit de refuser la reconnaissance de mariages célébrés dans d’autres États en raison d’objections morales précisées par ses lois à certaines formes de mariage (par exemple pour des personnes en-dessous d’un certain âge). Mais arrivait alors l’arrêt de la Cour Suprême dans l’affaire Romer v. Evans mettant en péril ce droit des États. Incontournable, selon les lignes tracées par le juge Kennedy.
Il soutenait là que l’aversion morale envers l’homosexualité « semble inexplicable si ce n’est par l’animosité contre la catégorie visée; elle n’a aucun rapport rationnel avec les intérêts légitimes d’un État.» Des siècles d’enseignement juif et catholique pouvaient ainsi être abaissés au rang de « passion irrationnelle » et d’animosité. Et donc aucune loi portant un jugement négatif sur une relation homosexuelle ne saurait avoir des fondements raisonnés. En conséquence, un État ne saurait inclure dans ses lois un avis opposé à la vie homosexuelle.
S’il en était ainsi, un État ne pourrait refuser la reconnaissance d’un mariage homosexuel contracté dans un autre État. Ce qui a fait apparaître le besoin de légiférer par le « DOMA ». Le Congrès donnerait des lignes de conduite aux tribunaux et soutiendrait l’autorité des États refusant de reconnaître de tels mariages.
La Cour Suprême semble ne pas avoir touché cette section du « DOMA ». Mais l’approche du juge Kennedy le fera certainement car c’est l’approche qui a fonctionné dans toutes les affaires depuis lors. Dans le procès Lawrence v. État du Texas (2003) le juge Kennedy a soutenu que l’État ne pouvait justifier des lois au sujet de la sodomie car il n’y avait aucun motif à condamner des relations homosexuelles entretenues par des citoyens dans leur vie privée.
À l’époque il précisa fermement que ce jugement n’entraînerait aucune « reconnaissance formelle » de toute autre forme de relation — à savoir le « mariage ». D’où la célèbre répartie du juge Scalia : « il ne faut pas le croire.»
Cinq mois seulement plus tard, le Conseil Judiciaire Suprême du Massachusetts s’appuyait sur les termes employés par Kennedy dans l’affaire Lawrence pour abroger les lois relatives au mariage de l’État et instaurer le mariage homosexuel. Et Kennedy s’est référé mercredi dernier (26 juin) à l’affaire Lawrence pour saper le « DOMA ». Remarque du juge Scalia : « on attend le prochain round.»
Les activistes vont se précipiter pour éplucher les lois des différents États, y-compris les lois qui ne reconnaissent pas le mariage homosexuel. Un juge n’aura plus alors qu’à invoquer les attendus bien cuisinés de Kennedy dans l’affaire U.S. v. Windsor. Reprenant une vieille citation, disons que parler de mariage sans le juge Kennedy, c’est comme … jouer Hamlet sans le personnage du premier croque-mort.
Voilà l’œuvre d’un juriste catholique. À suivre ….
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-court-and-marriage-the-culture-war-deepens.html
Illustration : Statue d’un juriste catholique.