Le Maître de l'Histoire - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Le Maître de l’Histoire

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Notre Seigneur Jésus-Christ, James Tissot, v. 1890.

Notre Seigneur Jésus-Christ, James Tissot, v. 1890.

[Musée de Brooklyn]

Le dénommé respect pour la loi sur le mariage (Respect for Marriage Act) a remis sous les projecteurs le problème du mariage homo et avec lui le slogan « le bon côté de l’histoire ». Ce mantra est un moyen habile pour intimider les gens et leur faire accepter une idée politique ou un agenda social. Soit vous êtes d’accord avec ce qui est proposé, soit vous êtes du mauvais côté de l’histoire. Ce qui est une incroyable pression de groupe. Personne ne veut être laissé pour compte. Mais être du mauvais côté de l’histoire ? Non, c’est effrayant.

Plus largement, la phrase exprime la vision erronée de l’histoire que véhicule notre culture. A savoir que c’est l’histoire d’une humanité en constante amélioration ; que tout dans l’histoire tend à la perfection. Bien sûr, nous voyons des progrès dans certains domaines. Nous avons pratiquement éradiqué certaines maladies. Nos moyens de transport et de communications sont extraordinaires. L’appareil photo de l’i-phone est stupéfiant. Etc.

Le problème est que nous pensons que la même tendance s’applique à nous-mêmes et à notre société. Nous supposons que, à l’image de notre technique, nous sommes en constant progrès, et ce grâce à nos propres efforts et à notre ingéniosité. De ce fait, l’histoire est simplement un parcours vers la perfection humaine. Quiconque n’est pas de cet avis est du mauvais côté, non pas simplement du débat, mais de l’histoire.

Le concept tout entier est incroyablement naïf. Oui, nous avons fait des progrès stupéfiants en science, technique et médecine. Mais comment les avons-nous utilisés ? Pour un grand bien dans certains cas – et pour un grand mal dans d’autres cas. Autant nous avons avancé dans certains domaines, autant nous avons toujours la même capacité à faire le mal que nos plus anciens ancêtres. Et nous ne pouvons pas nous débarrasser de ce mal par nos propres efforts.

Un autre problème est que les dirigeants tendent à être pressés d’atteindre le bon côté de l’histoire. Cela a du sens. Si c’est le but ultime, pourquoi attendre ? Rien ne devrait se mettre en travers du chemin. Ainsi, durant la Révolution Française, la Terreur a décapité tous ces réfractaires au changement qui ne voulaient pas rallier la République et le « culte de l’Etre Suprême ». Lénine et Staline ont poursuivi le paradis des travailleurs au prix de millions de vies – celles de leurs propres concitoyens. Le compte des morts du Grand Bond en Avant de Mao a été, somme toute, encore plus grand. Atteindre le bon côté de l’histoire requiert de grandes effusions de sang.

Cette vision de l’histoire asservit également les gens intellectuellement et spirituellement. Puisque le bon côté de l’histoire est toujours dans l’avenir, rien du passé n’est valable. Toute référence à l’histoire, la tradition ou la sagesse du passé est interdite. Les statues doivent être déboulonnées, l’histoire réécrite et les noms des rues et des écoles changés.

Cependant l’avenir n’arrive jamais tout à fait. C’est toujours quelque utopie juste au-delà de l’horizon. Evidemment, il n’est pas dans l’intérêt des dirigeants que le moment parfait arrive car ils perdraient leur avantage. Ainsi, les gens se voient dérober à la fois leur passé et leur avenir. Sans tradition pour pouvoir en vivre, sans avenir réaliste pour lequel vivre, nous devenons des orphelins de l’immédiat.

Mais en quoi cela concerne-t-il le premier dimanche de l’Avent ?

Eh bien, l’Eglise a une vison radicalement différente de l’histoire. Nous ne croyons pas que le moment le plus important est un vague « bon côté » dans l’avenir. Nous croyons que la pierre angulaire de l’histoire est l’événement du passé pour lequel nous commençons à nous préparer aujourd’hui : la naissance du Christ. Toute autre chose y mène ou en découle. Ce que nous attendons avec impatience dans l’avenir n’est pas une chose nouvelle mais l’accomplissement – le dévoilement – de tout ce qui a commencé à sa naissance.

Et nous ne nous attendons pas nécessairement à ce que les choses aillent mieux en attendant. Verset après verset, les Ecritures transmettent le message que pour le peuple de Dieu les choses n’iront pas mieux mais de pire en pire à mesure que la fin approche. Alors Notre Seigneur paraîtra pour sauver son peuple et récompenser sa fidélité.

Evidemment, cela peut semble décourageant et pessimiste. Mais c’est réaliste et libérateur : tout ne s’améliore pas en permanence. Il y a eu de la grande sagesse dans le passé et il y aura de la grande scélératesse dans le futur. Mettre en perspective ce que nous voyons autour de nous est utile. Les bouleversements culturels, les guerres, les épidémies, les famines et le reste devraient nous attrister. L’injustice devrait nous révolter. Mais ces choses ne devraient pas nous surprendre ou nous déstabiliser. Parce que nous ne nous attendons pas à un monde en progrès constant. Nous ne cherchons pas la perfection de toutes choses en ce monde.

La vision biblique clarifie également notre objectif. Nous devrions travailler à bâtir une société juste, à prendre soin des malades et à aider les pauvres. C’est ce qu’ont fait les chrétiens tout au long de l’histoire – plus que tout autre. Mais nous faisons ces choses comme expression de notre foi, comme œuvres de miséricorde, pas parce que nous pensons pouvoir perfectionner ce monde. Tordre le cours de l’histoire n’est pas de notre ressort. Nous ne cherchons pas à rendre les choses parfaites ici-bas mais à rester fidèles à ce grand événement du passé alors que nous nous tournons vers son accomplissement dans l’avenir.

Par conséquent, pour le chrétien, l’entièreté de l’histoire, et pas simplement un moment insaisissable du futur, a du sens. L’événement déterminant de l’histoire appartient au passé, donc nous pouvons nous tourner vers le passé et y trouver la sagesse, la vérité et le sens. Le passé n’est pas interdit. Et nous regardons pareillement devant. L’aboutissement de l’histoire est dans l’avenir, donc nous devrions regarder devant nous dans l’espérance – non de la perfection de ce monde-ci – mais de la venue en gloire du Christ.