Le magistère de François - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Le magistère de François

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En prenant chair dans le sein de la Vierge Marie, le Verbe de Dieu – disent les Pères Grecs – « s’est épaissi » (ὁ Λόγος παχύνεται). En fait, c’est depuis le péché originel que le Verbe a dû « s’épaissir ». Ne pouvant plus venir visiter, habiter et instruire intimement comme en Eden (cf. Gn 3, 8) l’âme des hommes désormais fermée à l’Esprit, il se fait Parole qui les rejoint de l’extérieur à travers les multiples médiations d’une économie rédemptrice : mots et écritures de la prophétie, événements et personnages de l’histoire sainte, lois et culte du Peuple de Dieu etc. L’Incarnation est l’aboutissement de ce processus d’« épaississement » du Verbe de Dieu en même temps que son « abréviation » (Verbum abbreviatum) la plus extrême, comme disent de leur côté les Pères Latins. Le Verbe ne nous rejoint qu’à travers l’épaisseur des médiations créées dont il se sert pour se révéler, toutes récapitulées et accomplies dans l’humanité de Jésus. Cette épaisseur ne va pas cependant sans opacités dues au péché des médiateurs, mais plus radicalement à leurs limites comme créatures. Pensons à l’obstacle qu’a représenté pour les rationalistes de tous les temps, comme Celse ou Voltaire, le fait que Dieu, le principe le plus nécessaire et universel des êtres, se soit révélé à travers des médiations aussi contingentes et peu remarquables a priori que celles du peuple juif et du fils du charpentier de Nazareth.

Dieu a pris le risque de nous parler à travers des hommes limités et pécheurs. Dans l’Eglise catholique sa Parole nous est enseignée et explicitée par un magistère dont l’Esprit Saint garantit infailliblement le contenu mais non l’exercice, dans la pertinence et la modalité de ses interventions. C’est bien la Parole de Dieu que l’Eglise nous transmet, mais sa communication n’est pas à l’abri de parasitages.

Aujourd’hui les catholiques, ceux de France surtout mais pas seulement eux, ont du mal à entendre correctement l’enseignement magistériel du pape François. Il y a quelques années un homme politique de notre pays disait, non sans insolence : « Ce pape commence à faire problème ». Il s’agissait alors de Benoît XVI, mais aujourd’hui bien des pratiquants réguliers disent à mots couverts à peu près la même chose du pape François. Ils n’appartiennent pas tous, loin de là, à la mouvance « tradi » plus ou moins influencée par le lefebvrisme. Ils sont néanmoins pour la plupart conditionnés directement ou indirectement par une vaste blogosphère de sites et de « salons » bien marqués à droite, qui relaient complaisamment tous les soupçons et les critiques visant le pape qui émanent de milieux de la Curie Romaine. En effet François, avec plus de poigne que Benoît XVI, bouscule et dérange ces milieux en faisant nettoyer les circuits financiers du Vatican. A chaque vœux de Noël, le pape ne manque pas de reprocher publiquement à une partie de la Curie ses obstructions et ses médisances. Dans la foulée, certains n’hésitent pas à affirmer que l’allergie des catholiques français au pape François reflète plutôt leurs propres déficiences par rapport aux exigences évangéliques.

Le spectacle de ces divisions partisanes dans l’Eglise est navrant. Plutôt que de les alimenter, même en prenant « le parti du pape » (horribile dictu !), permettez-moi d’essayer d’expliquer ce qui fait, à mon avis, que l’enseignement du pape François a du mal aujourd’hui à être entendu par bien des catholiques.

La première difficulté tient au mode d’expression du pape François. Il s’exprime beaucoup, par paroles et par gestes significatifs. Depuis saint Jean-Paul II les papes, cédant au conditionnement de notre société de spectacle, ont pris l’habitude de parler souvent de manière médiatique autant que magistérielle. Avec la spontanéité et la volubilité de François, les catholiques ne savent plus où est la frontière entre des opinions prudentielles et révisables – révision qui vient d’avoir lieu pour l’accueil en Europe des réfugiés du Moyen Orient – et les enseignements proprement dits du pape. En outre, l’agacement et la controverse que peuvent susciter les opinions d’un sud-américain, qui ne connaît pas vraiment d’expérience ni l’Europe ni l’islam, nuisent à sa crédibilité et ne disposent pas à l’accueil confiant et obéissant de son enseignement comme pape. Ce trouble fait, en revanche, de bien des fidèles une proie facile pour les critiques et les soupçons que certains ne manquent pas de semer. A cette difficulté d’accueil s’ajoute, du côté des clercs, une certaine blessure causée par la manière dont le pape, suivant le Christ qui dit « Ceux que j’aime je les semonce et les corrige » (Ap 3, 19 citant Pr 3, 12), reprend les ministres de l’Eglise et en premier lieu ses collaborateurs de la Curie Romaine. Jésuite, François le fait à la manière très franche des religieux dont il est, qui n’est pas celle, plus feutrée dans son style, du clergé séculier ; et il le fait, non pas comme nous religieux dans le secret d’un chapitre ou d’une retraite d’exercices spirituels, mais au cours d’allocutions publiques et même télévisées. Le lien de paternité sacerdotale s’en trouve blessé et une certaine méfiance s’instaure chez bien des prêtres qui se sentent mal aimés, tout comme bien des laïcs des générations Jean-Paul II et Benoît XVI.

La seconde difficulté tient au mode de l’enseignement magistériel proprement dit, tel qu’il est exercé par le pape François. Le type de discours qui lui est propre est homilétique et existentiel plutôt que magistériel. En morale, comme on peut le voir dans son exhortation apostolique Amoris laetitia, il considère l’exercice effectif de l’acte par le sujet et le degré d’engagement libre de la personne dans son action, plutôt que la spécification de celui-ci en lui-même. Cela est parfaitement légitime et traditionnel, à condition cependant que la considération de l’exercice de l’acte par la personne n’en vienne pas à remplacer dialectiquement la spécification objective de l’acte en lui-même. Il est regrettable qu’Amoris laetitia n’ait pas clarifié sur ce point sa complémentarité avec Veritatis splendor. L’approche d’Amoris laetitia ne remplace pas celle de Veritatis splendor, elle la complète. L’exhortation apostolique de François ne corrige pas non plus l’encyclique de saint Jean-Paul II. En revanche, ce qu’elle corrige implicitement c’est la prétention d’une école théologique particulière de proscrire désormais, au nom de Veritatis splendor affirmant le mal intrinsèque de l’acte lui-même, toute évaluation de l’engagement de la personne dans son exercice. Cette prétention de disqualifier, sous prétexte qu’on avait abusé d’elle, une grande tradition de morale catholique qui se reflète encore dans la Catéchisme de l’Eglise Catholique, extrapolait de manière outrancière la doctrine de Veritatis splendor.

Aussi est-il malheureux que le magistère ne donne pas une réponse formelle aux doutes soulevés par quatre cardinaux à propos d’Amoris laetitia, alors qu’il serait si facile de le faire en répondant oui aux cinq question et en ajoutant qu’Amoris laetitia ne contredit aucune de ces affirmations de Veritatis splendor, puisqu’elle considère l’engagement de la personne dans son acte et non la spécification objective de celui-ci en lui-même. Oui, vivre conjugalement avec un partenaire alors qu’on est validement marié est en soi un adultère, lequel est comme tel toujours objectivement un péché ; mais cela ne veut pas dire automatiquement que la personne qui a posé cet acte a, de ce fait, choisi librement et pleinement l’adultère. Veritatis splendor enseigne que les circonstances de l’acte intrinsèquement mauvais ne sauraient en changer la spécification, mais elle ne considère ni l’exercice de l’acte, ni les circonstances de cet exercice par le sujet. C’est sur ce point qu’Amoris laetitia ne contredit pas mais complète Veritatis splendor, tout en corrigeant l’erreur théologique de vouloir faire de cette encyclique l’alpha et l’oméga de la morale catholique.

Pour répondre ainsi à ces doutes, qui se diffusent bien au-delà de Rome et qu’on n’apaisera pas par un silence embarrassé, il faut entrer dans l’approche objective, qui est la plus traditionnelle dans le magistère. Certainement, le pape la connaît et la respecte, mais ce n’est pas celle qui est connaturelle à sa formation jésuite et à sa sensibilité charismatique, plus à l’aise dans l’écoute du Dieu qui parle hic et nunc et dans le déchiffrage de la présence de l’Esprit dans les signes des temps. Ce serait donc à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à le faire en son nom. Malheureusement, si on en juge par des déclarations de son préfet, elle semble plus soucieuse de recadrer le pape que de formuler avec adresse et loyauté ses intentions dans la conceptualité d’un magistère objectif et homogène.

Laisser pourrir cette situation n’irait pas sans graves conséquences. Cela pourrait s’interpréter comme une indifférence au rôle de la doctrine dans l’Eglise, doctrine qu’on abandonnerait du coup aux tenants d’un immobilisme stérilisant. Plus grave, comme certains bergogliens le disent déjà, cela sous-entendrait qu’une doctrine objective et des normes universelles représentent un idéal impossible ou dépassé et qu’elles doivent être remplacées par des discernements conjoncturels en fonction des appels de l’Esprit et des signes des temps. Je ne crains pas cette situation, qui ne tiendrait pas dans le long terme, mais bien plutôt que les précieuses intentions du pape François concernant la réforme évangélique de la vie des catholiques et de l’Eglise ne constituent en définitive qu’une parenthèse, faute d’avoir été inscrites durablement dans la doctrine et dans les institutions. Qu’auraient été les intuitions prophétiques du pontificat de saint Jean XXIII, semblable à bien des égards avec celui de François, si le bienheureux Paul VI ne leur avait patiemment donné à travers Vatican II une portée durable au plan doctrinal et institutionnel ?

Voilà, mes chers amis, les occupations et les préoccupations, à la fois théologiques et ecclésiales, qui m’habitent en cette fin d’Avent. Elles ont motivé un article que beaucoup d’entre vous ont sans doute eu l’occasion de lire dans France catholique.

Prions ensemble pour l’Eglise et pour la communion de ses fidèles, au pied de la crèche de Noël.

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Le père Jean-Miguel Garrigues donne des cours de théologie, au studium dominicain de Toulouse, à l’Institut Supérieur Thomas d’Aquin et au séminaire d’Ars, des conférences, accompagne des groupes et des personnes. A quoi s’ajoutent des demandes pour présenter ici et là Amoris laetitia à des prêtres.