Le livre d'Orient - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Le livre d’Orient

Le projet de Vincent Gelot était de partir un an à la rencontre des communautés chrétiennes d'Orient (cf. France Catholique n°3315). Il s'agissait de découvrir leur histoire, comment ils vivaient dans leur environnement particulier, quelle était leur liturgie. Avec le parti pris d'un voyage « à l'ancienne », en 4L. Il comptait visiter une vingtaine de pays en commençant au Liban et en terminant à Jérusalem. Il s'agissait également de témoigner en ramenant notes et photographies. Dans ses bagages : le livre d'Orient. Un codex de 300 pages, format A3, dans lequel il projetait de récolter des témoignages, les prières de ces chrétiens et de le ramener ensuite à Jérusalem. Avec ce livre, Vincent Gelot n'était plus un pèlerin isolé ou un journaliste qui fait son reportage et disparaît. Il était devenu un relais.
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En quoi et pourquoi votre projet initial a-t-il évolué ? Vincent Gelot : C’est un voyage qui n’a pas du tout été en ligne droite. Il y a eu des hauts et des bas, de nombreuses difficultés. Au départ le projet s’appelait « Mille et une foi », un clin d’œil aux Mille et une nuits de l’Orient et aux plusieurs façons de vivre une chrétienté, une seule foi. On affichait la couleur. Qui allait croire et soutenir deux jeunes de 23 et 24 ans qui prétendaient aller de par l’Irak, l’Égypte, le Soudan… dans une 4L ? Le projet était très ambitieux. Nous nous sommes aussi peut-être mal « vendus ». Les seuls qui nous ont soutenus ont été L’Œuvre d’Orient et le Patriarcat latin de Jérusalem, qui nous a fait une lettre de bénédiction d’envoi. Lorsqu’on part, qu’on a peu de soutien, recevoir une belle lettre de bénédiction, c’est motivant et elle a été importante dans le voyage. Je la faisais traduire dans les langues des pays que je traversais. Cela montrait que le livre allait bien aller en Terre sainte, cela l’officialisait, c’était une sorte de visa. [|4Linte_rieur.jpg|] Arrivé au Liban, mon coéquipier n’est pas venu. Il devait me rejoindre pour commencer ce voyage au moment de la venue du pape Benoît XVI à l’occasion de la signature et de la publication de l’exhortation apostolique post-synodale de l’Assemblée spéciale pour le Moyen-Orient. Je m’étais déjà investi corps et âme dans ce voyage depuis des mois. J’étais au Liban avec la 4L, mais partir seul ce n’est pas du tout la même chose, ce n’est plus la même aventure. Financièrement c’est différent, et je n’avais pas le sou. Il se serait désisté quand j’étais encore à Paris, j’aurais peut-être abandonné, mais j’avais déjà fait en 4L les 7 000 km qui séparent la France du Liban. Les dés étaient jetés. Ce projet aurait dû rater des milliers de fois. Je n’étais pas mécano. Cette 4L était ma première voiture, j’étais jeune conducteur. La première fois que j’ai conduit seul, c’était dans la 4L ! Je ne savais même pas où était la roue de secours en partant. C’est pour cela que je ne blâme pas non plus ceux qui ne nous ont pas soutenus. Mais faire ce trajet jusqu’à Tripoli au Liban seul, cela m’a mis en confiance. J’ai vu mes limites, mais aussi ce que je pouvais faire. Je suis donc parti en me laissant aller à la Providence. Je pensais partir dix mois, ça a duré deux ans. Pourquoi ? Parce que la notion du temps n’est pas la même en Orient. On ne peut pas rester deux jours dans un monastère du fin fond de l’Irak. Il faut le temps que la confiance s’installe. C’est un projet qui a pris une dimension autre au fur et à mesure. Au départ je ne savais pas vraiment ce que voulait dire « aller à la rencontre des chrétiens ». Était-ce les prendre en photo ? Vivre avec eux ? Puis c’est devenu comme une mission. Car ce « livre d’Orient » qui se remplissait apportait quelque chose à ces communautés. Les gens découvraient dans ce livre les communautés qui les avaient précédés. En Afghanistan ils découvraient qu’il y avait des chrétiens en Irak. Ils voyaient des gens de langues inconnues, de cultures très différentes, de pays lointains mais qui étaient tous chrétiens. Lorsque j’allais voir des communautés en difficulté ou en tout petit nombre, moi, jeune Français venant de loin dans ma petite 4L, avec un bouquin qui allait à Jérusalem, je permettais à ces communautés de créer quelque chose, je ne laissais pas indifférent. Petit à petit ce voyage est devenu une mission pour moi, je me rendais compte de l’importance de récolter ces témoignages et de ramener ce livre à Jérusalem. Il fallait rester dans les communautés et prendre son temps aussi et tout accueillir comme un cadeau. Et le voyage a pris une dimension autre, sur le plan spirituel, humain, de la découverte, je suis allé dans des pays dans lesquels je n’aurais jamais cru mettre les pieds. [|camping.jpg|] Qu’est-ce qui vous a amené en dehors de votre tracé ? J’ai visité la plupart des pays que j’avais planifiés, mais je n’aurais pas pensé me rendre au Yémen, en Afghanistan non plus. Pendant le voyage, je me suis dit que je devais prendre mon temps. Faire deux jours de marche pour se rendre dans un monastère au fin fond de la « pampa » éthiopienne par exemple. Et, chemin faisant, j’ai vu que ça marchait. Je passais les frontières, le livre d’Orient « caché » dans ma 4L, je surmontais les difficultés. Il fallait aller toujours plus loin. Arrivé au Kazakhstan, je ne me suis pas contenté du Sud, je suis allé au Nord, en Sibérie, là où il y a des chrétiens. L’idée n’était pas de traverser un pays pour dire que je l’avais fait, mais d’aller les voir, là où ils étaient ces chrétiens, même loin. J’étais dans le feu de l’action, porté par quelque chose qui me dépassait. Il fallait aussi faire face à la réalité du terrain, les visas, les frontières, les cartes, les zones plus ou moins risquées, l’état des routes et en même temps ce que j’avais envie de faire, tout en laissant une part à la Providence. Le fil rouge, c’était les communautés chrétiennes et aussi d’être avec les locaux. Par exemple au Tadjikistan où il y a deux églises catholiques, qu’on met quinze-vingt jours à atteindre, on passe la nuit dans la nature, sous les étoiles, dans la voiture ou avec des locaux, sunnites, chiites, ismaéliens. C’était important de faire un voyage à cœur ouvert où l’on découvre des cultures et des civilisations, pour comprendre comment vivent ces chrétiens. Cela vous a amené à rencontrer des communautés très isolées… Oui. Les communautés les plus isolées se trouvaient en Asie centrale, dans les anciens pays du bloc soviétique, où le nombre d’églises se compte sur les doigts de la main. Par exemple au Turkménistan où il n’y a qu’une église catholique qui existe depuis sept ans, après douze ans de bataille administrative pour ouvrir. La petite chapelle d’Afghanistan où le prêtre fait un peu office d’évêque et de nonce apostolique puisqu’il est seul. Le Tadjikistan que je viens d’évoquer avec ses deux églises, l’Ouzbékistan qui compte cinq ou six églises. Il y a aussi le contexte des Églises d’Orient, avec un peu plus d’églises, je pense à l’Irak, au Liban, à l’Égypte… où les chrétiens sont plusieurs milliers, où le christianisme est ancien, ancré : les coptes, les syriaques, les arméniens… qui sont plus nombreux donc mais qui sont en grande difficulté, qui connaissent la tragédie de l’émigration. Chaque pays avait un contexte différent qu’il me fallait découvrir. Avant de mettre le pied en Azerbaïdjan, au Turkmenistan ou au Soudan je ne connaissais pas trop ces pays. Je ne prétends pas avoir les connaissances historiques ou théologiques pour connaître ces Églises au départ. Je n’ai pas fait les études pour. C’est le fait de vivre quelque chose d’intense, une expérience vivante qui me les a fait connaître. Le fait de faire le voyage en 4L, en passant les frontières terrestres et d’arriver seul, le livre sous le bras, a tout changé. [|famille.jpg|] Je parle anglais et espagnol et j’ai des rudiments d’arabe. J’avais parfois la chance d’avoir un traducteur, quelqu’un de la communauté qui parlait un peu anglais ou français. Mais le livre racontait quelque chose, les gens y découvraient des témoignages en arabe, en russe. Ils comprenaient donc de quoi il s’agissait. Ils voyaient mon chemin tracé sur l’aile de ma 4L. Ils comprenaient ma démarche de pèlerin. Et puis ce sont des pays où, par l’observation et l’écoute on a fait 50 % du chemin. J’ai beaucoup appris en observant, en écoutant, en prenant le temps. Petit à petit la confiance s’installe et on construit quelque chose. En quoi ce voyage vous a-t-il transformé, notamment sur le plan de la foi ? Je suis chrétien catholique, je viens d’une famille chrétienne, j’étais scout quand j’étais jeune, mais au départ de mon voyage je n’étais pas forcément un grand pratiquant. Je ne connaissais pas trop ma foi et peut-être que je la vivais dans une certaine médiocrité, une certaine fadeur un peu occidentale. Il y a eu un véritable cheminement spirituel. Le Vincent du début, du milieu et de la fin du voyage n’est pas le même. J’ai découvert les racines du christianisme, j’ai découvert les racines de ma foi. J’ai aussi découvert la force de la prière. Je n’étais pas forcément quelqu’un qui priait beaucoup avant, mais le fait d’être seul me donnait le loisir de prier pour mes proches, pour ces communautés, les unes après les autres. J’ai appris cette force de la prière qui m’a lié à mes proches. Je ne me suis jamais senti aussi proche de mes parents, de ma famille, alors que paradoxalement j’étais très loin. Ma relation à Dieu a évolué. Cela n’a pas été ce que j’aurais pu espérer, un chemin vers les sommets de la foi où on arrive et on est un roc. C’est plus comme des vagues, avec des allers et retours. Mais quand on rencontre des communautés chrétiennes, très attachées à leur foi très forte, on se sent une responsabilité d’être à la hauteur. On se sent même un devoir de faire au moins aussi bien qu’eux dans le contexte de liberté religieuse dans lequel on a la chance de vivre. Ce qui est sûr c’est que je suis beaucoup plus clair dans ma relation avec le Seigneur. C’est plus limpide et ça fait du bien. Mais c’est un chemin à continuer. Pour plein de raisons je ne suis pas sûr d’avoir été la bonne personne pour ce voyage mais je me sens maintenant le devoir d’être le juste miroir de ces communautés. Le témoignage, c’est la suite de la mission. Pendant deux années ces communautés m’ont hébergé, m’ont fait découvrir leur foi, leur histoire. Ce serait du gâchis de garder ça pour moi. J’ai été happé par la presse en cette fin de voyage, avec notamment le message du pape François. Il faut que je m’en serve pour témoigner de ce que sont et comment vivent ces gens. Qu’est-ce qui vous a le plus touché chez ces gens ? En Orient on tombe sur des liturgies, des rites qui ont souvent peu évolué depuis 1 500 ans. On tombe sur des langages comme le syriaque, l’araméen, des alphabets qui datent du IVe-Ve siècle. Il y a des choses qui m’ont touché comme le Sanctus arménien qui est un chant magnifique. Je pense aux chants géorgiens, qui sont des cantates à trois voix, aux liturgies coptes. Et puis il y a eu des moments très forts, comme dans le monastère de saint Antoine du Désert, au fin fond du désert égyptien, proche de la mer Rouge. Lorsqu’on fait une messe dans la cave où vivait le premier ermite de l’histoire de la chrétienté, ça ne laisse pas indifférent. En Arménie, en Éthiopie, et Ouzbékistan notamment, j’ai fait des rencontres phares. [|Ethiopie.jpg|] Vous avez traversé des pays et rencontré des communautés diverses, qu’ont-elles en commun ? Le Christ ! Quant au message, chaque situation est différente en fonction des pays. Et dans le livre les gens qui ont écrit sont divers : des familles, des prêtres, des moines, des évêques, chacun avec son bagage spirituel, sa langue, sa manière d’aborder les choses. Il y a des témoignages magnifiques, des gens qui racontent leur histoire, comment ils vivent chez eux, comment ils sont arrivés. Il y a des messages de crainte, comme les chrétiens d’Irak, les réfugiés de Syrie, des messages d’espérance aussi, que malgré les difficultés, le Christ ne les oubliera pas, qu’il est avec eux pour toujours, qu’il y a eu des hauts et des bas dans l’histoire depuis la venue du Christ. La volonté de ne pas être oublié qui transparaît également. Des prières à la Vierge Marie. Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ? J’ai découvert des communautés qui ont une identité chrétienne très forte, attachées à leur histoire, à leur rite, à leur langue, à leur liturgie, à leur terre. Des communautés qui sont parfois en difficulté, souvent en diminution. La tragédie des chrétiens d’Orient c’est l’émigration. Je pense à l’Irak, au sud-est de la Turquie, un petit peu à l’Égypte, au Soudan. J’ai découvert de la souffrance mais aussi beaucoup de beauté. C’est cela aussi le message que je veux porter. Dans tout ce que l’on entend en ce moment, j’aimerais apporter par mon témoignage une bonne dose d’espérance. Un témoignage d’humanité, il y a beaucoup d’humanité en Orient. On entend parler de persécutions, c’est un mot fort, qui recouvre des situations que l’on retrouve, c’est vrai. Qui existent dans certains pays comme la Syrie, l’Irak, un peu l’Afghanistan. Mais il y a aussi des communautés de différentes religions qui cohabitent ensemble depuis des siècles. Il y a beaucoup de bon dans l’humanité. Malheureusement, il y a des systèmes politiques ou religieux obscurs qui explosent au Moyen-Orient, mais j’ai été beaucoup marqué par le bon côté de l’humain dans ce voyage. J’ai aussi découvert que beaucoup de choses étaient possibles. Le plus dur du voyage a été avant le départ. Tous les gens qui vous disent qu’en Irak c’est la guerre, qu’en Arménie il fait —25°C… Les barrières sont mentales, l’imagination nous fait nous représenter des problèmes qui sont beaucoup plus faciles à aborder dans la réalité. Il y a eu des difficultés, les passages des frontières, la rudesse du climat, le froid ou la chaleur, la solitude… Mais il y a beaucoup de choses qu’on croit insurmontables et qui au final sont faciles. On peut encore aujourd’hui faire des choses belles en les faisant de manière simple. J’aimerais faire passer ce message-là. Et puis le message spirituel de ce christianisme d’Orient que j’aimerais faire découvrir par une approche humaine. L’approche qui a été la mienne durant mon périple. Je pense que de cette manière-là on apprendra à mieux les connaître et on sera amené à plus de proximité avec eux, dans la prière, pour les aider, notamment à pouvoir rester chez eux. Vous ne nous donnez pas de détails anecdotiques… Je m’en rends compte. Il y a un travail de maturation et de tri que je réserve au livre que je prépare. Que vous raconter d’ « amusant » ? J’ai été arrêté au Yémen pendant 48 heures. Ça a été un moment d’angoisse, surtout pour le livre, j’ai craint qu’ils ne le détruisent. J’ai eu un accident en Éthiopie, assez grave. Ce qui n’a pas été facile également c’est l’arrivée à Jérusalem, en apprenant ce que devenaient les communautés d’Irak que j’avais rencontrées si peu de temps auparavant, l’enlèvement du père jésuite Alexis Kumar en Afghanistan. Je retiens des figures marquantes qui ont jalonné le voyage. Le prêtre d’une communauté souterraine d’Ouzbékistan, une sœur d’Arménie qui s’occupe d’un orphelinat où j’ai passé Noël 2012. Après un an de voyage seul et dans les moments de solitude on se demande ce qu’on fait là. Surtout que je n’étais envoyé par personne. J’avais conscience que je pouvais disparaître le lendemain. C’était fragile, c’était beau. Peut-être beau parce que fragile… À part ma famille et mes amis qui me suivaient sur la page Facebook, je n’étais rattaché à rien. J’avais le sentiment de vivre quelque chose de fort, de le vivre et de le transporter avec moi dans ce livre. Et j’avais une responsabilité. Je suis content tout de même que cela se termine sur un beau message d’espérance qui me dépasse. Aussi pour ces communautés chrétiennes qui m’ont vu et qui m’ont suivi par Internet, qui ont prié pour moi. Je me rappelle avec émotion de communautés en Asie centrale qui se mettaient tout autour de la voiture et qui récitaient un « Je vous salue Marie » pour que j’arrive à Jérusalem. J’ai commencé mon voyage avec un pape et je l’ai fini avec un autre, c’était « surréaliste ». Que le nouveau pape ait achevé le livre est un cadeau aussi pour tous ces chrétiens d’Orient. Je vais maintenant pouvoir déposer le livre auprès des franciscains du Saint-Sépulcre à Jérusalem. [|Livre_pape.jpg|]