Il y a de quoi se poser des questions sur la possible absence de neurones au creux des crânes des dirigeants des télévisions du monde entier. Ce soir, la 5 abrite une production sur le Linceul qui semble venir des États-Unis : je crois n’avoir jamais autant été subjugué par l’énormité des sottises entendues. Un quart d’heure durant un adepte de l’ineptie tint le crachoir, cherchant à nous faire croire que, vers 1280, l’on avait inventé la photographie juste pour disposer d’un cliché, un seul, mais quel cliché !, celui que la cathédrale de Turin conserve depuis 1578, long de presque cinq mètres de longueur et d’un mètre onze de largeur. Il insistait : « J’ai la preuve que… », voulant prouver que sa thèse était exacte en fabriquant, pour nous bluffer – à moins qu’il ne soit d’une singulière naïveté -, une photographie « médiévale », soi-disant très nette, d’une petite tête : dès qu’agrandie, l’image montra les limites de cette « netteté », restant très éloignée des douze critères de « l’image linceul » que l’on aurait d’abord dû énumérer… mais alors on aurait vite compris que l’on n’avait en face de soi qu’un charlatan…
En 1280, on aurait donc su, rien qu’en claquant des doigts, réaliser le chef d’œuvre photographique qui ne fut atteint qu’en 1930 ? Le photographe Enrié n’eut aucune difficulté à vaincre parce que les bonnes techniques existaient : mais au XIIIe siècle ? Alors, l’archéologie n’existait pas et pourtant le photographe improvisé dont nul ne connaît le nom réussit à faire une image correspondant point par point au texte évangélique, ce qui est tout de même l’exploit 27 fois répété par le vrai document retiré du Tombeau vide…
Juste une remarque : Monsieur Allen aurait dû, pour nous convaincre, photographier un mort en état de rigidité cadavérique très prononcé ; sa tête aurait dû faire un angle de 70° par rapport au corps ; les jambes se devaient d’être fléchies l’une et l’autre avec des pieds dans l’alignement des jambes et percés au beau milieu de leur plante… Il aurait dû, nécessairement, faire en sorte qu’il n’y ait pas d’empreinte sous les tâches de sang, innombrables, et que ce sang soit resté absolument intact… Un sang dont on se garda précautionneusement d’un bout à l’autre de l’émission d’évoquer ce caractère d’« impossibilité »…
Il aurait fallu, nous explique-t-on, une exposition en plein soleil de ce cadavre d’au moins huit heures … Comment Monsieur Allen se serait-il débrouillé pour obtenir un tel cadavre « modelé » pour ressembler à celui de Jésus tel qu’il devait être vu, ce que l’on comprend précisément par les évangiles ?
Bref, une énorme opération de supercherie carabinée. Comment des gens sérieux peuvent-ils exiber, sur un sujet sérieux, un tel plaisantin ? La rédaction de la 5, qui parfois et pourtant nous donne des émissions qui valent le coup d’être suivies, comment s’est-elle résolue à cet mascarade ?
Cependant, il y eut bien pire en matière de plaisanterie minable : un bonhomme rigolard passait une couleur bleue avec un tampon sur un tissu de lin posé par dessus une « statue plate » représentant un visage que l’on nous affirma être très ressemblant à celui de Turin, ce qui fit rire, aussi grincer des dents, ceux qui ont vu le vrai… Le tissu de lin imbibé de sauce bleue fut ensuite introduit dans un four afin d’y cuire : l’image sortit enfin, et fut montrée pour ce qu’elle était, une petite horreur qui n’avait en gros quasi rien de commun avec l’image de Turin etc.. L’extraordinaire est que ce fantaisiste associa l’exactitude de son produit au sérieux de la datation par le carbone 14, ce qui fut tout de même un soulagement étant donné qu’aujourd’hui nous savons ce que la télévision ne peut savoir – n’ayant pas eu le temps de se tuyauter depuis 1988 auprès de ceux qui ont réellement étudié les résultats affichés –, que le carbone 14 1 est désormais invalidé pour dater de vieux tissus ayant beaucoup vécu. Inutile désormais de se livrer à des supputations, de croire utile de reprendre la datation etc.
Vers la fin de l’émission j’aurais écumé si je n’avais pas gardé, grâce à ma femme, un semblant d’indifférence : par bonheur, il fut enfin reconnu, du bout des lèvres, que peut-être l’hypothèse de Raymond Rogers concernant la couleur jaune paille, caractéristique de ce que l’on nomme « réaction de Maillard »2, pouvait constituer une hypothèse plus sérieuse… cela dit sans que l’on ait cherché à aller plus loin.
Par contre, nous avons eu droit à une sorte de roman inventé par une tête chercheuse du Vatican à propos des lettres découvertes autour du visage par le Professeur Marion3 et qu’elle situe au Iié siècle : alors que trois des épigraphistes les plus sérieux les reconnaissent comme du IIIe siècle. Elle parle de Pilate, répétant l’erreur déjà commise à la fin du siècle dernier : Pilate ne pouvait pas savoir qu’il y aurait près de la tête de Jésus enseveli deux mots grecs signifiant « ombre de visage »… Comment l’aurait-il su avant même la résurrection ?
Le consternant d’une telle supercherie médiatique, c’est qu’au fur et à mesure que passent les années, les gens de télé semblent n’avoir rien appris et rien lu : c’est pourquoi par exemple ils n’avancent aucun fait concernant l’histoire du Linceul avant le 13e siècle, comme si les sindonologues avaient vécu depuis 1988 comme tétanisés sur place et incapables de continuer leur travail de recherche. Ainsi, rien, mais rien de rien sur le document majeur dit Codex de Pray, lequel ne présente que… quinze correspondances avec le Saint Linceul (dit Saint Suaire) qui est à Turin. Quinze … soit une de plus que nécessaire pour être absolument certain, statistiquement , que le Codex nous montre le même document que celui que l’on nous donne à vénérer à Turin lors des ostentions.
La seule hypothèse sérieuse est que le Linceul aurait été caché au plus haut de la Porte principale des remparts d’Édesse, vers 225-227, lorsque le petit roi Agbar, petit-fils d’Agbar Le Grand, promit aux Romains de Caracalla qui l’assiégeaient de détruire le Tétradiplon, nom alors donné au Linceul (soit plié en deux puis en quatre…). L’évêque alors, ayant appris cette trahison, la rendit impossible par son stratagème… C’est ainsi que le Linceul resta invisible jusqu’en 544, ce que raconte avec une foule de détails le chroniqueur du sixième siècle. Étonnant pour un document qui, fut-il affirmé à plusieurs reprises, n’avait été vu pour la première fois que vers 1357…
Ce sont de tels faits médiatiques qui me dégoutent profondément : comme attenter ainsi à la vérité ? On peut douter de tout à propos du Linceul parce que, peut-être, l’on comprendrait mal l’ensemble des découvertes, mais douter de cette façon absolue parce qu’on ne veut pas que ce soit le dernier vêtement de Jésus c’est agir selon une démarche intérieure parfaitement inadmissible. Rejeter dans le néant les travaux sérieux dont on peut trouver les publications pour favoriser notamment les « ridiculeries » d’un monsieur Allen, presque toujours invité par les trois chaînes, voilà qui passe l’entendement et jette sur toute la profession télévisuelle 4 un doute collectif sur son honnêteté, sur ses capacités intellectuelles…
On parle souvent de déontologie : voilà un exemple spectaculaire du mépris absolu dans laquelle on tient cette pauvresse.
Documents joints
- L’exposé sur le carbone 14 dans « Le Linceul de Jésus de Nazareth, cinquième évangile ? » va de la page 132 à 159 : il fait un point exhaustif sur cette question ? Celui qui le lit est vacciné contre les supercheries, fussent-elles récurrentes.
- Cette couleur ne peut se produire que lors d’une telle réaction dite de Maillard. Elle fournit en effet des mélanoïdines jaune-paille à structure amino-carbonyle, ce qui est rendu possible par la décompostion des produits corporels qui libèrent les amines primaires nécessaires. Mais la réaction devant être rapide exige la présence de sucres réducteurs, qui peuvent être fournis par l’amidon. Or, explique le Pr Rogers, les fibres, rouies avant tissage, ont alors dû être ensimées, c’est-à-dire enduites d’un corps gras pour en faciliter le tissage. Cependant, il faudrait en outre que la température ait été poussée, les réactions de Maillard étant fort lente à température faible. Mais l’amidon hydrolisé aurait pu activer les feux, si l’on ose dire : il fallait que tout soit prêt au bout d’environ une trentaine d’heures. Ici, l’on est dans le domaine des pures suppositions…
- Ce fut le professeur Marion, professeur d’optique à l’institut national d’optique, qui découvrit ces lettres, en analysant les contrastes existant entre pixels, et non Thierry Castext, auteur par contre de remarquables photographies d’une grande nouveauté, dont l’une se voit page 19 du n°3441 de la France Catholique.
- Toute cette profession en effet, puisque les résultats sont les mêmes, que ce soit sur la 2, la 3 et la 5…